La stratégie AfPak en lambeaux

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Lorsque l’administration Obama annonça une nouvelle stratégie US en Afghanistan, en février 2009, sous l’acronyme AfPak (Afghanistan-Pakistan), cela sous la pression d’analyses alarmistes concernant le sort de l’arsenal nucléaire pakistanais, trois éléments devaient converger pour mettre en place cette stratégie. Ils devaient donner une cohérence militaire et politique (élargie au Pakistan) à cette guerre, et ainsi impliquer un sens collectif à une action à la fois plus coordonnée (politique-militaire) et élargie (au Pakistan). Les trois élements sont aujourd’hui tous les trois en échec.

• Une amélioration décisive de la situation militaire en Afghanistan? Les dernières nouvelles montrent au contraire une aggravation inquiétantes de ces conditions, qui commencent à peser sur le potentiel de combat US. Le degré de pertes commence à équivaloir sinon à dépasser, en proportion des troupes engagées, celui de l’Irak aux pires moments. Le Washington Post consacre un article ce 31 octobre 2009 aux pertes US, annonçant notamment plus de 1.000 blessés en trois mois. Les blessures causées surtout par des attaques au véhicule piégée (IED) sont en général très graves et impliquent une fin du service actif pour les soldats qui en sont affectés.

«Expanded military operations, a near-doubling of the number of troops since the beginning of the year and a Taliban offensive that has included a proliferation of roadside bombings have led to the great increase in casualties. U.S. troops in Afghanistan are suffering wounds at a higher rate than those who were serving in Iraq when violence spiraled during the military "surge" two years ago. In mid-2007, 600 U.S. troops were wounded in Iraq each month out of about 150,000 troops deployed there. In Afghanistan, about 68,000 troops are currently installed, with about 350 wounded each month recently.»

• Le deuxième facteur impliquait une meilleure coopération avec le président Karzaï, ou son successeur après les élections, c’est-à-dire d’abord une légitimation du président afghan, quel qu’il soit, après les élections de septembre. L’élection de Karzaï est si contestée que le principe d’un deuxième tour a été décidé. Mais cette “réparation” d’urgence du processus est elle-même en lambeaux, avec la probable décision de l’adversaire de Karzaï au second tour de se retirer, après des discussions infructueuses entre les deux. Huffington.News annonce la chose le 31 octobre 2009: «Talks between Afghan President Hamid Karzai and challenger Abdullah Abdullah have broken down, and Abdullah is likely to pull out of next week's presidential runoff, a person with knowledge of the talks said Friday. An announcement could come as early as Saturday but more likely Sunday, the person said.»

• Une coopération intensive avec le Pakistan dans la guerre en cours était également une condition nécessaire, avec notamment une coopération politique extrêmement resserrée. Le voyage (trois jours) que vient d’effectuer Hillary Clinton au Pakistan est, à cet égard, un échec significatif. Les conditions de la visite ont été très dures, très polémiques, Hillary faisant d’abord des déclarations très critiques contre le Pakistan puis se jugeant obligée d’adoucir ces déclarations devant les très vives réactions. La secrétaire d’Etat a consacré le troisième jour de sa visite à des contacts divers avec la population et des groupes représentatifs et a pu mesurer le degré d’hostilité à l’encontre des USA. L’essentiel dans ce cas et ce qui est bien la mise en cause de la doctrine AfPak, est le refus par les Pakistanais d'une solidarité entre le Pakistan et les USA dans cette crise. Cette attitude est chaque jour renforcée, évidemment, par les attaques nombreuses, souvent par drones, lancées par les forces US au Pakistan. Le Daily Telegraph du 30 octobre 2009 résume en quelques phrases le problème abyssal posé par les relations entre les USA et le Pakistan…

«Hillary Clinton faced anger during her visit to Pakistan after she attacked the failure of the government to tackle al-Qaeda. The US Secretary of State also faced angry questions about America's use of drone attacks inside Pakistan as she ended her three-day visit on Friday. [...] Her visit was intended in part as a charm offensive in a country steeped in anti-American sentiment. Pakistanis seem utterly uncertain whether the US is a friend or foe. […] However the comments of a journalist, Asma Shirazi, during an interview broadcast live on Friday typified the strength of criticism Mrs Clinton faced. “We are fighting a war that is imposed on us. It's not our war. It is your war,” said the journalist. “You had one 9/11. We are having daily 9/11s in Pakistan.”»

@PAYANT

Notre commentaire

On pourrait observer que l’administration Obama recueille les fruits amers d’une politique de l’administration précédente. Mais cette politique-là n’est-elle pas, de toutes les façons, la politique américaniste classique: incapacité de faire une guerre proportionnée et adaptée, emploi aveugle de moyens violents sans aucun respect des souverainetés, “alliances” forcées par des pressions de toutes sortes, mépris presque naturel, presque instinctif pour tout ce qui rapproche de la souveraineté des autres, et ainsi de suite? Poser la question, c’est y répondre.

Ce qui est en cause avec les divers échec constatés ci-dessus, c’est le principe même d’une “grande stratégie” dans ce conflit dans la région, la tentative de rationnaliser selon les nomes du Pentagone un ensemble de situations caractérisées par un désordre que l’intervention américaniste/occidentaliste n’a fait qu’alimenter, que renforcer. Cet échec conceptuel stratégique de l’administration Obama constitue le facteur de base de la crise afghane. Cette administration a été incapable d’“occidentaliser”, d’“américaniser” le conflit par la raison. Mais cette tentative apparaît évidemment dérisoire aujourd’hui, face aux conditions de désordre de la situation, où les experts-raisonneurs et les donneurs de leçon ont l’essentiel des responsabilités.

Si, finalement, Obama décidait de céder au général McChrystal et d’accepter l’envoi d’au moins 45.000 hommes supplémentaires, le tableau dressé ci-dessus suffirait à annoncer l’échec de la tentative, malgré les pompeuses affirmations d’un changement de “stratégie” (de l’antiterrorisme à l’anti-insurrectionnel, ou anti-guérilla). D’abord, il ne s’agit pas d’un changement de stratégie mais d’un changement de tactique – le stratégie, elle, étant bien celle de AfPak, et dans l’état où on la voit. Ensuite ce changement de tactique, qui correspond bien à la rationalisation faussaire par réduction et parcellisation du problème, est un sophisme complet. Dans cette sorte de guerre, on fait tout en même temps, selon les circonstances, parce que les adversaires pratiquent à la fois guérilla et terrorisme: de l’antiterrorisme là où il le faut, de l’anti-guérilla là où cela s’impose, et, par-dessus tout, la tactique habituelle de tenter de rallier la population. Les Français ont fait tout cela en Algérie (avec succès, eux, malgré une politique qui changea en 1960), et les communistes avaient déjà énoncé tous les principes de ce type de guerre où toutes les formes d’action étaient mêlées. .


Mis en ligne le 31 octobre 2009 à 07H05