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17 septembre 2002 — Iront-ils en guerre ou n'iront-ils pas ? Sous quelle forme ? Avec quelle stratégie ? Avec quel soutien ? Depuis le 12 septembre (discours de GW), l'affaire irakienne est devenue pour une bonne part l'affaire de l'ONU et celle de la “communauté internationale”. Inutile de conclure quoi que ce soit, tant la confusion est extrême, tant les scénarios de guerre, les hypothèses d'alliance, les propositions de compromis abondent, se croisent et se contredisent ; inutile non plus de se réjouir de cet apparent déplacement vers un pseudo multilatéralisme qui n'est, de la part des USA, qu'une ballade tactique (voir Kagan pour l'explication de texte).
Il faut reconnaître que la préparation à la guerre du Golfe-I présentait au moins un certain ordre, voire une certaine dignité où l'on sentait au moins la tension de la tragédie à venir. Celle-ci, Golfe-II, se prépare dans le désordre le plus complet, désordre intellectuel dans tous les cas, et le reste qui suit, et nous sommes partagés entre ce que nous croyons être la réalité et les diverses virtualités qui composent la préparation de la guerre, entre les spéculations guerrières et le partage des dépouilles.
Il faut tout de même noter cette réalité-là, que nous nommons “la stratégie du bazar” : la préparation de l'après-Saddam, — c'est-à-dire, essentiellement, le partage du gâteau pétrolier de l'Irak. D'une part, il y a un côté “peau de l'ours” puisque, finalement, au cas où on ne l'aurait pas noté, rien n'est encore fait. De l'autre, il y a une indécence peu banale à voir étalée cette concupiscence économique et pétrolière, à lire tous les détails des marchés et des accords en train de se faire. (Au reste, rien n'est fait, répétons-le, et cette fois pour les détails des marchés, et toutes ces précisions peuvent n'être, et sont sûrement pour l'essentiel, des spéculations vaines et des manoeuvres de désinformation à la petite semaine.) Ce qu'il nous importe de noter est que cela se dit et s'écrit partout sans soulever d'observation sérieuse, de protestation substantielle. On parle de la guerre et de ses aspects les plus vils, on parle d'un conflit qui, à la lumière de ces commentaires, à d'abord pour but de faire signer quelques contrats, et cela circule dans l'indifférence générale.
L'article du Los Angeles Times du 13 septembre donne une excellente mesure de ce qui se dit et se noue, éventuellement de ce qui se prépare et se trame si les prévisions sont tenues.
« Bush's speech Thursday at the United Nations marked the start of intense behind-the-scenes negotiations to see what inducements will help convert countries that so far have been balking, at least publicly, at joining the anti-Hussein campaign.
» U.S. officials expect the Turks to ask for weapons and debt relief, the Russians and French for access to Iraqi oilfield business, the Qataris for cash to build an air base, and the Jordanians for guarantees of oil and trade. Officials expect many other countries to join the horse trading, and predict that they won't be shy.
» “Countries in the Middle East take the bazaari approach,” said Danielle Pletka, a former Senate aide who now works at the American Enterprise Institute for Public Policy Research. “Once they know we want to buy ... the sky's the limit.” Said a senior congressional aide, “This is a great time to step forward and get something you want from the United States.” »
Bien évidemment, la même chose se dit et se négocie du côté américain, pour le partage ou la répartition pour les sociétés pétrolières US (avec lesquelles beaucoup de dirigeants de l'administration ont des liens). Les informations générales sur cet aspect des choses sont présentées dans de nombreux articles, dont celui du Washington Post du 14 septembre. Les commentaires, parfois de personnes citées, ne prennent pas de gants, comme on voit ci-dessous, dans l'extrait de l'article du Post, celui de James Woolsey, ancien directeur de la CIA et neo-conservative notoire.
« The importance of Iraq's oil has made it potentially one of the administration's biggest bargaining chips in negotiations to win backing from the U.N. Security Council and Western allies for President Bush's call for tough international action against Hussein. All five permanent members of the Security Council -- the United States, Britain, France, Russia and China -- have international oil companies with major stakes in a change of leadership in Baghdad.
» “It's pretty straightforward,” said former CIA director R. James Woolsey, who has been one of the leading advocates of forcing Hussein from power. “France and Russia have oil companies and interests in Iraq. They should be told that if they are of assistance in moving Iraq toward decent government, we'll do the best we can to ensure that the new government and American companies work closely with them.” But he added: “If they throw in their lot with Saddam, it will be difficult to the point of impossible to persuade the new Iraqi government to work with them.”
» Indeed, the mere prospect of a new Iraqi government has fanned concerns by non-American oil companies that they will be excluded by the United States, which almost certainly would be the dominant foreign power in Iraq in the aftermath of Hussein's fall. Representatives of many foreign oil concerns have been meeting with leaders of the Iraqi opposition to make their case for a future stake and to sound them out about their intentions. »
Toutes ces agitations sont remarquables pour définir le climat établi par cette administration et les conceptions qui l'habitent. Lors de Golfe-I, on parla certes du pétrole, mais d'une façon générale, à la fois stratégique et pour l'économie américaine en général (on se rappelle le «
On a une bonne indication de degré, non pas de décadence du système, mais de sa dégénérescence et de sa perversion. Le cynisme (en général inconscient, car nous avons affaire à des hystériques plus qu'à des cyniques) va de pair, comme dans cette phrase de Woolsey parlant du nouveau gouvernement, pressé de répartir le gâteau pétrolier et manipulé par les USA avant même d'exister, comme d'un « decent government ».
Il est difficile de voir dans une structure aussi corrompu un gage d'avenir, y compris pour les expéditions coloniales grandioses qu'envisagent les grands penseurs martiaux qui fleurissent en son sein, type-Robert Kagan. L'Amérique actuelle est bien la suite dégénérée et entièrement pervertie de ce système qui a dominé la Guerre froide, dont l'historien Derek Leebaert, dans son livre “Fifty Year Wound”, écrit ceci : « L'ascendant de l'Amérique [sur le monde] était celui des enfants de Henry Ford, pas d'Andrew Jackson, qui étaient au travail, cherchant à construire un système, pas un empire. [...] Ce n'était pas la domination du monde ; c'était une ambivalence domestique. Outre-mer, c'était la confusion et l'amateurisme. » Les « enfants d'Henry Ford » avaient encore une certaine allure ; ses petits-enfants n'ont plus que celle de l'actionnaire cupide.