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165711 août 2014 – Rappelons effectivement que nous nous étions penchés sur cette question de la définition de l’action des Russes dans la grande crise autour du chaudron ukrainien, au lendemain des “contre-sanctions” annoncées par le gouvernement russe. Le 8 août 2014, effectivement, nous posions la question de savoir si les Russes, dans cette partie, agissent par stratégie ou par tactique, s’ils agissent “en réaction ou bien [selon] un dessein plus vaste”. Le passage concernée est le suivant :
«La tendance générale est certainement de considérer que les Russes ont agi avec sang-froid, détermination et habileté. [...] Mais la question principale est de savoir s’il s’agit de stratégie ou de tactique : les Russes agissent-ils (fort bien, certes) en réaction ou bien ont-ils un dessein plus vaste où les décisions d’hier ont une place bien déterminée ? Notre conviction est qu’il s’agit bien plus de tactique que de stratégie... [...] La chose n’est d’ailleurs pas nouvelle puisque, depuis 3 ou 4 ans, les Russes ont été contraints de faire une place majeure à l’hypothèse qu’ils se trouvent face à des “partenaires” complètement irrationnels et imprévisibles, qui agissent “comme des fous”. (Voir par exemple Lavrov, le 6 février 2012.) Ils sont donc dans une position défensive, contraints de s’adapter aux sinuosités extraordinaires du bloc BAO, agissant selon les qualités russes à cet égard, de prudence, d’opiniâtreté, de patience et de détermination, et s’appuyant sur la solidité structurante de principes dont la seule évocation est totalement absente de l’action du bloc BAO ; quand ils frappent, les Russes, ils frappent juste, bien et (assez) fort, mais ils n’ont pas résolu l’énigme pour autant. Notre conviction est que [Poutine] a sans aucun doute les qualités russes qu’on a mentionnées, mais il n’a pas nécessairement, ou ne laisse pas libre cours à ce “brin de folie” qu’on trouve également dans l’esprit russe, qui pourrait le conduire à tenter “un gros coup” produisant un “choc psychologique extraordinaire” pouvant amener à un basculement et à un effondrement du Système, avec toute sa surpuissance passant définitivement au service de son autodestruction. Ce constat n’implique pas que les Russes, emportés par les événements, ne saisissent pas une telle tactique maximaliste à un autre moment, – mais cela sera, à notre sens, “poussés” ou “contraints” c’est selon, par les événements. A tous ces constats limitatifs, on ajoutera une réflexion supplémentaire qui les relativise considérablement, avec la réponse négative qu’elle suscite immanquablement : est-il nécessaire qu’ils (les Russes) résolvent l’énigme, et sont-ils les seuls à pouvoir éventuellement provoquer “un choc psychologique extraordinaire” ? Du moment qu'ils “tiennent leur rang”, – ce qu'ils font...»
“Tenir son rang”, le mot (“tenir”) est important, aussi important que la posture est rare dans ces temps de basses eaux. Quoi qu’il en soit, aussitôt après ces considérations, un homme est apparu à nouveau sur le devant de la scène, par les canaux habituels du système de la communication. Il s’agit de Sergei Glaziev, conseiller spécial de Poutine. Le 19 juin 2014, nous écrivions à son propos, à la suite d’un article qu’il avait fait paraître dans Argumenti Nedeli, et que présentait Valentin Mandrasescu, le 18 juin 2014 pour The Voice of Russia... (Dans son article, Glaziev détaillait «un plan contre le dollar, sous la forme d’une “coalition anti-dollar” comme premier pas d’une “coalition anti-guerre” pour stopper la politique d’agression des USA...»)
«D’une façon générale, Glaziev est considéré comme un conseiller influent de Poutine (depuis 2010), mais représentant bien entendu la tendance radicale, la plus antiSystème, de la direction russe. C’est lui qui a conçu et mis en place le schéma de l’union eurasiatique qui est la grande idée de Poutine pour structurer une entité qui équilibre, sinon concurrence les grands ensembles du bloc BAO. Le projet de Glaziev n’a bien entendu guère de rapport direct et organique avec l’union eurasiatique, c’est plutôt une proposition de circonstance qui s’inscrit dans un dessein antagoniste, (ou un dessein “défensif antagoniste”), comme riposte à ce qu’il juge être une offensive antirusse des USA voulue comme décisive, par le biais de la crise ukrainienne. Glaziev pense que son projet rencontrera les vœux du “corporate power” européen (de l’UE), qui se trouve menacé de pertes colossales (il les chiffre autour de $1.000 milliards) si les sanctions dites de “troisième phase”, proposées par les USA, étaient mises en action. (Ce que Glaziev décrit comme le plan antirusse des USA passe nécessairement par cette troisième phase des sanctions.)»
... Nous sommes entrés dans la “troisième phase” des sanctions. Que dit Glaziev ? Justement, il parle ... Bloomberg.News rapporte, le 9 août 2014, des déclarations faites au cours d’une interview par Olga Tanas. Glaziev y est décrit comme un provocateur, poursuivant des conceptions nationalistes, statistes, etc., et ayant comme tâche d’“effrayer les élites” pour les amener à soutenir le pouvoir et sa politique («With the country’s richest businessmen shaken by the deepening rift, Glazyev’s flair for provocation is needed to “intimidate the elites,” according to Mikhail Vinogradov, head of the St. Petersburg Politics Foundation...»)
«There’s a war waged against Russia with economic sanctions and military conflicts roiling Ukraine to Iraq, according to Glazyev, 53... [...] Setting the world ablaze is the U.S., where “hawks” are provoking a global conflict “with the aim of establishing control not only in Europe, but also in Russia, Ukraine,” Glazyev said in an interview in Moscow on Staraya Ploshchad, where the presidential staff has its headquarters. [...] Months of a slow boil of European and U.S. sanctions against Russia over Ukraine have done little more than harden a siege mentality in the Kremlin, thrusting controversial advisers like Glazyev to the forefront in Putin’s showdown against erstwhile Cold War foes.»
»Russia can’t go it alone against the U.S. and must create an “anti-war coalition” to check the “aggressor,” Glazyev said. “The point of a series of regional wars organized by the Americans, especially today’s catastrophe in Ukraine, centers on the U.S. securing control over all of north Eurasia” to bolster “its position against China,” Glazyev said. “That’s how the U.S. military and oligarchs are trying to maintain leadership in the global competition with China.”
»The effort will backfire, said Glazyev, who spoke before a round of retaliatory steps announced by Russia yesterday banning food and agricultural products for one year from the U.S., the EU, Norway, Canada and Australia. The U.S.-led “economic war” against Russia will ricochet, leaving the EU to pay the steepest costs in the conflict, he said.
»The trading bloc stands to lose about 1 trillion euros ($1.3 trillion), an estimate he says includes the possible bankruptcy of several European banks and companies toppled after the cutoff in financial and economic ties. An energy crisis in Europe will bring a sharp spike in prices and a loss of competitiveness for European producers. Meanwhile, Turkish, Chinese and east Asian nations will fill the void left by the departure of their European rivals from the Russian market. The fallout will cost 250 billion euros for Germany alone while pushing the three Baltic states to the brink of an “economic catastrophe,” he said. Lithuania and Latvia will lose the equivalent of half of their entire economic output, and the cost for Estonia will reach 50 percent more than its gross domestic product, Glazyev said.
»Where does that leave Russia? ... “Task no. 1 is to block those threats to economic security that are now coming from the U.S., neutralize them by reducing the dependence of our external economic activity on the mercy of American politicians, whose aggressiveness threatens the entire world,” he said. To further insulate its economy, Russia should abandon the use of the U.S. dollar as a reserve currency, according to Glazyev. Russia, which international reserves are the world’s fifth-biggest, needs to diversify its holdings to include China’s yuan, India’s rupee and Brazil’s real. “If a country aspires to reserve status for its currency, it should behave properly, and that isn’t the case today,” Glazyev said.
»Still, turning Russia into a ringed-off economic fortress isn’t at the heart of Glazyev’s prescriptions. Faced with a souring climate abroad, the country should promote import substitution and policies aimed at reversing the brain drain that’s sapped Russia’s scientific prowess. “What could serve as our chief response is the implementation of a plan for fast-track development of the Russian economy on the basis of a new technological order,” he said. “This plan includes a transition to a sovereign monetary system underpinned by internal sources of credit, an active policy of innovation and support for progress in science and technology.”
»Glazyev is at pains to emphasize that Russia, a “victim of aggression,” must build bridges with the international community to rein in America’s “aggressive, paranoid political leadership.” Penalizing European or U.S. companies is “counterproductive” because they can serve as allies in a conflict that doesn’t serve their interest, according to Glazyev.»
L’orientation implicite, pour la Russie elle-même, qui sourd de ces déclarations de Glaziev renvoie, dans l’esprit de la chose, sinon à un modèle autarcique pour la Russie par le développement interne d’activités souveraines essentielles jusqu’alors satisfaites par des exportations mises en cause par les sanctions du bloc BAO, dans tous les cas à un modèle qui dispose de la maîtrise souveraine de ses capacités essentielles. (Même si la chose n’est pas nécessairement décrite ainsi, ni l’accent mis sur cet effet, c’est pourtant à notre sens le principal que nous en percevons pour l’évolution de la Russie face aux pressions du bloc BAO : bien loin de s’incliner, parce qu’il n’y a d’ailleurs aucune possibilité réelle de s’incliner, l’évolution vers un “contre-modèle” pour réfuter le modèle qui lui est imposée de facto.)
C’est, volens nolens, ce que décrit, toujours dans l’esprit de la chose, un Richard Connolly, co-directeur du centre des études européennes et eurasienne de l’Université de Birmingham, sur le blog dit-Conversation, qui rassemble un nombre appréciable de sponsors ressortant tous de l’“axe transatlantique” de type culturel et universitaire, et notamment exprimée dans le paradigme du modèle libéral/hyper-libéral. Déjà, le 23 juillet 2014, Connolly avait averti contre l’effet paradoxal de la politique des sanctions, pouvant renforcer la structure étatique et, objectivement, renforcer la Russie dans la situation présente où la politique domine les grandes orientations en la faisant évoluer vers l’autarcie. Le 7 août 2014, sanctions décidées et contre-sanctions russes affichées, Connolly écrit, – après avoir offert sa version d’une économie russe moins prospère qu’on n’a dit, entre 2000 et 2012, et en attente de réformes de ce fait, – que le débat en cours en Russie entre libéraux et statistes, qui aurait dû tourner en faveur des premiers en raison de l’idée alors en vogue de la nécessaire intégration de la Russie dans le monde globalisé (le Système, le bloc BAO), risque bel et bien de basculer dans l’autre sens, au profit des seconds... :
«None of this is news to Russia’s policy makers and there has been a vigorous public debate on potential ways to reignite growth. One notable contribution to the debate was the “Strategy-2020”, a liberal, market-oriented agenda for economic reform formulated in 2012 by a group of academics and state bureaucrats. This advocated lower spending on defence, public order and security to pay for a new, knowledge-based path of economic development through more investment in spending on education, health care, infrastructure, and research and development (R&D). Proponents of liberal reform have also called for a reduction in state interference in the economy, support for a stronger legal system, and measures to reduce corruption and the abuse of private businesses by state officials.
»But the liberal agenda was challenged by an alternative solution to Russia’s slowing economy, envisaging a greater role for the state. Statist policy proposals emphasise the importance of a rapid growth in defence spending, both on military forces and on weapons systems produced by the domestic defence industry. They also advocate the use of state financial resources to boost investment in Russia’s domestic manufacturing industry.
»On the eve of the Ukraine crisis, the debate was evenly poised. Not for the first time in Russian history, policy makers found themselves at a crossroads. In one direction, liberals called for greater reform to help the private sector; in the other, statists pushed for greater defence spending, and an expansion of state-driven lending and spending on domestic industry. In practice, although the government was committed to increasing defence spending, many of the components of the liberal economic agenda remained in place, not least the commitment to fiscal discipline. However, the Ukraine crisis and the subsequent imposition of Western economic sanctions may have altered the balance of power in favour of the statists. By affording them the opportunity to promote the virtues of economic self-sufficiency, statists are able to push an agenda that calls for a reassessment of Russia’s role in the global economy, especially in the so-called strategic sectors of the economy: energy, defence and finance.
»At this stage, the course of action chosen by the Russian government in response to economic sanctions is of crucial importance, not just to the economy, but also to the wider political and social development of the country. If policy makers choose to abandon a model based on market-based integration with the global economy in favour of a state-driven, quasi-autarkic model of development, the consequences will be profound, not only for Russia, but also for its neighbours.»
Il nous importe assez peu d’apprécier la logique économique et les affrontements de conceptions économistes dans ce tableau. Ce qui importe, entre le discours de guerre du nationaliste Glaziev et les appréciations du professeur Connolly sur l’évolution possible/probable de la Russie vers un “anti-modèle libéral” par le retour au statisme, c’est la forte logique du phénomène d’évolution antagoniste qui se traduit au niveau principiel en élargissant à cette occasion le champ de la réflexion, entre une réalisation totalement hostile au domaine principiel, et une contre-proposition qui lui est favorable, – on dirait, “par principe”. Cette logique se manifeste dans l’antagonisme entre, d’une part, la règle de la compétitivité qui est une orientation formelle exprimant aujourd’hui le mieux la doctrine hyper-libérale du libre-échange, avec pour attribut essentiel de repousser toute intervention régalienne en favorisant systématiquement le bénéfice de l’actionnaire privé, c’est-à-dire de l’“investisseur” privé remplaçant la puissance publique en neutralisant effectivement ses effets régaliens ; et le principe de la souveraineté d’autre part, considéré du point de vue de la puissance publique et dans toute son extension puisque couvrant au moins les champs de la défense et des technologies, de l’énergie, de la finance.
(Un élément intéressant signalé par Connolly, exploitable contre les thèses défendues dans les milieux où il professe, est ce passage où il signale la demande des libéraux russes pour un “système légal plus fort et des mesures pour réduire la corruption et les abus contre le secteur privé par des fonctionnaires publics”. [Ce facteur est accompagné d’une référence à une étude de Mars 2014 du RIUS de Chatham House et de l’université de Birmingham contre les processus assimilés à de la corruption ou à une sorte de “totalitarisme étatique” de certains faits de nationalisation en Russie : le fait de la nationalisation n’est pas loin d’être assimilé à un acte de corruption et de banditisme d’État. On voit dans quelles conceptions l’on se trouve.] Il s’agit moins d’une entreprise de promotion de la vertu que de la réorientation des moyens du pouvoir économique ; c’est-à-dire la réorientation du système légal dans un sens favorable au corporate power, comme on commence à le sentir dans le bloc BAO au niveau international, au gré de diverses interventions légales [voir le 29 juillet 2014] ; et le renversement du sens de la corruption, de façon à ce que la corruption favorise une structure économique privée contre une structure statiste. A côté de cette dénonciation implicite de la corruption qui favorise l’État contre les entreprises privées, il n’est pas dit mais il est évidemment acquis que la corruption, sous le nom de lobbying, dans un sens favorable au corporate power, est la principale force de pression aux USA et à Bruxelles, siège de l’UE. Pour résumer, on comprend bien que la situation de l’évolution structurelle économique en Russie, au moment de la crise ukrainienne et liée à elle indirectement, est perçue comme une menace structurelle directe contre le système libéral du bloc BAO/et anglo-saxon : nous sommes au cœur grondant de l’affrontement, selon l’inspiration directe du Système.)
S’il ne nous importe pas de discourir à propos de la divergence économique considérée dans le cadre de l’évolution de la Russie, c’est parce que nous estimons que nous ne sommes pas, ou plutôt que nous ne sommes plus, dans le cadre de la crise ukrainienne et selon une tendance développée depuis quelques années, dans un “monde économiste” (un monde conduit par la doctrine de l’économisme, ou l’économie considérée comme facteur essentiel sinon exclusif du développement). Alors que Glaziev et Connolly ne parlent que d’économie au sens large, ils décrivent une situation avec son évolution qui est nécessairement et fondamentalement politique, avec ses dimensions diverses composant la puissance (défense, finance, souveraineté économique, ententes géopolitiques, etc.). D’ailleurs, aucun des deux ne s’en conte là-dessus, et ils ont tous deux conscience de l’énormité de l’enjeu politique qui est en cours, et cela refoulant jusqu’à la marge et jusqu’à l’accessoire les appréciations véritablement économiques (économistes) d’un modèle ou l’autre.
Dans cette dynamique et selon cette orientation, la logique de la crise ukrainienne, avec les énormes déplacements de force et de pression qu’elle engendre, bouleverse les divers “agendas” établis en fonction d’une situation où la dynamique de surpuissance du Système était encore à peu près contrôlable. On observe que l’évolution des BRICS, aussi bien, sinon encore plus désormais que l’évolution de l’OCS, jusqu’alors conditionnées par une approche prudente et mesurée sont désormais et en quelques mois accélérées par des considérations politiques et stratégiques urgentes. On comprend sans aucun doute, de plus en plus précisément à mesure que l’énormité de l’événement se concrétise, que la soudaine accélération de l’Organisation de Coopération de Shanghai, avec son extension jusqu’à l’Iran en formant une énorme masse euro-asiatique face à l’OTAN et au bloc BAO, n’a aucune autre explication pour son déclenchement que celle de la crise ukrainienne. («It does not need much ingenuity to figure out that the SCO is taking the decision to admit India [etc.] at a defining moment in the post-Cold War era politics», observe MK Bhadrakumar le 7 août 2014. «In sum, the induction of India, Pakistan and Iran would become a game-changer for the SCO. For the first time in modern history, a collective security organisation would be taking shape in a huge landmass on the planet inhabited by some three billion people.»)
Les propositions de Glaziev au moins dans leur esprit sont, à terme très rapide, à la fois inévitables et nécessaires en raison de l’évolution de la situation et de la constante pression de l’ultimatum des USA à la Russie, toujours dit ou évoqué dans des termes extrêmement brutaux, qui ne laissent place à aucune nuance. (“Vous êtes avec nous ou contre nous”, “vous adoptez le modèle hyperlibéral ou nous vous anéantissons”, “la Russie est un problème énorme pour les USA dans sa mission-Système, et «nous, aux USA, on ne résout pas les problèmes, on les écrase»”). Ces propositions-Glaziev sont alors à considérer nécessairement en fonction des forces et des pressions qui les justifient, qui sont d’essence politique et stratégique, venues directement de la crise ukrainienne. Aussi l’espèce de modèle autarcique, statiste, etc., qui se dessine à une très grande vitesse lui aussi et dans le chef de la Russie, n’est-il rien d’autre qu’un modèle politique souverainiste, d’ascendance gaulliste si l’on veut, développé à la force des événements. (Connolly, lui, évoquait le 23 juillet 2014 un retour de la Russie vers le modèle soviétique, pas complètement mais presque... Les Anglo-Saxons, fussent-ils professeurs et éminents, ne sont jamais à court de ces clichés qui permettent, bien mieux qu’un long discours à-la-française avec sa tendance à la nuance et à la finesse, un rangement rapide, manichéen, grossier mais efficace, à la gloire de l’Empire, de l’“anglosphère”, de l’anglosaxonisme, du “my country right or wrong” & compagnie dans le défilé des clichés.)
La question n’est pas de savoir si ce “contre-modèle” souverainiste russe va réussir, s’il va se développer, s’il va rencontrer d’autres adeptes, parce qu’au regard de la rapidité du développement de la situation de crise la logique en route dépasse et marginalise complètement cette forme de spéculation. Les événements seuls et avec une très grande puissance, et notamment la “guerre des sanctions” où le Système montre toute sa capacité véloce et son habileté extrême à donner à l’adversaire des verges pour le fouetter, décident dans ce sens. Glaziev ne fait qu’évoluer vent arrière, en toute sérénité finalement, avec ses propositions qui peuvent être décrites comme provocatrices pour satisfaire la tendance aux clichés, mais qui s’inscrivent pourtant parfaitement dans l’évolution des choses et dans la course du temps contracté et de l’accélération de l’histoire ... Idem pour l’élargissement de l’OCS, qui suit les mêmes tensions et la même dynamique. La force des choses est que tout cela s’édifie à très grande vitesse dans l’esprit antagoniste qu’impose une furieuse hostilité marquée, ou à peine masquée selon à qui elle est dirigée, du “modèle libéral”, c’est-à-dire du Système et du bloc BAO, à l’encontre de tout ce qui lui résiste et de tout ce qui n’est pas lui. Le fait de la Russie proclamant de facto, ou montrant sa volonté par ses projets d’arrangement économiques et structurels d’évoluer vers un “contre-modèle” souverainiste, constitue à lui seul une formidable provocation de communication qui exacerbe le déchaînement du Système, de sa surpuissance, donc de sa surpuissance se transformant en autodestruction. Dans tous les cas, il est pour nous, le système de la communication nous le signale, la marque d'une guerre totale et sans retour entre la Russie et le Système.
Ainsi, ce qui apparaît comme une tactique maximaliste, sinon une tactique provocatrice de Glaziev selon certaines considérations internes, apparaît aussi et, très vite, apparaît d’abord comme une stratégie fondamentale dictée, imposée par les événements. On voit que cette stratégie est marquée de la nécessité fatale de faire tout ce qu’il est possible de faire pour réaliser la démonstration de la justesse de la position russe, qui s’exprime notamment, par le biais des contre-sanctions russes, par une poussée sérieuse d’incitation indirecte au processus de mise en cause et d’effondrement éventuel de l’ensemble européen, à peine remis de ses séquence catastrophiques des années 2010-2013. (Ainsi serait rencontré plus ou moins le vœu de Paul Craig Roberts d’une “attaque” massive de la Russie contre le Système.) Plus encore et mieux encore, la tactique-devenant-stratégie, capable éventuellement d’inspirer les amis des BRICS et du SCO du point de vue politique, ne peut se réaliser vraiment qu’en devenant antiSystème. Pour se réaliser effectivement, elle a besoin, comme aliment de son évolution, de la poussée vers l’effondrement de l’autre, du processus dd&e caractéristique du Système, retourné contre le Système dans un mouvement d’inversion caractéristique, selon le schéma de l’aïkido japonais que nous mentionnions (le 2 juillet 2012) comme élément opérationnel central de résistance face au Système, d'une résistance antiSystème.
... On comprend bien, dans ce cas, qu’il s’agit bien moins ici du sort de la Russie que de l’évolution générale des forces, au cœur du Système et contre le Système ; c’est-à-dire, au cœur de notre civilisation devenue “contre-civilisation”, de l’évolution de forces qui se réveillent et se révèlent pour résister de plus en plus furieusement contre cette contre-civilisation jusqu’à une mise en cause qui serait un élément-clef accélérateur de l’effondrement. Ainsi, ce qui paraît être et qui est d’ailleurs conçu comme tel par la Russie au départ, comme une succession d’ajustements tactiques de la Russie face aux attaques lancées contre elle, – et nécessairement lancées contre elles puisqu’elle est l’obstacle fondamental par excellence, – tout cela, répondant à notre question initiale pour cette analyse, tendrait à devenir une stratégie antiSystème fondamentale, fondée effectivement sur la posture de la résistance. Les Russes à-la-Poutine ne veulent certainement pas expressément cela, – sauf peut-être les maximalistes nationalistes, souverainistes, mystiques, etc., y compris les Glaziev, les Rogozine et les Douguine, – mais tout se passe comme s’ils étaient conduits à le vouloir. Les événements et la pression du Système ne leur laissent aucun choix, si bien qu’ils sont, littéralement, ces Russes et la Russie, le bras du destin.
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