La structure crisique au cœur du pouvoir américaniste

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Il est bon de suivre les chroniqueurs selon leurs spécialités pour, dans certaines circonstances où l’on voit ces spécialités brusquement s’élargir ou se transformer, comprendre qu’un processus dont on a observé quelques signes par ailleurs devient vraiment sérieux. Ainsi de Justin Raimondo, dans sa chronique du 5 novembre 2010, sur Antiwar.com.

Raimondo est un activiste fameux du mouvement anti-guerre, qui a milité systématiquement contre toutes les manifestations de la politique belliciste et expansionniste de son pays. Pour lui, ce fut toujours là la menace principale… Mais voici ce qu’il écrit :

«…Because the biggest threat to our national security isn’t military – it’s economic. Our economic terror alert, if such a thing existed, ought to be at the brightest red, because what we’re facing is the biggest threat to our national security ever: I’m talking about the spiraling national debt, and the ongoing destruction of the dollar.»

Raimondo continue en désignant le coupable, qui n’est ni un général, ni une horde de neocons ou de sénateurs pro-israélien, ni Israël, ni le président, – sinon celui de la Federal Reserve, justement…

«The day after the election, the Federal Reserve made a little-noticed announcement that it’s printing up another $1 trillion. Go here for a fuller explanation of how and why it happened, and what it means. Suffice to say here that what goes up must come down: a bubble, inflated, must eventually pop. That’s simple enough, but let’s take it one step further: the hubris that inspires the Fed to print up more play money, which will drive up inflation, increase the cost of imports (i.e. everything), and make goods more expensive for average Americans is in the same league as that which inspired George W. Bush and his minions to declare a “war on terrorism,” invade the Middle East, and imagine they would prevail.

»The irony is that the former will be the undoing of the latter: the destruction of the dollar means the implosion of the American empire, and the relegation of the US to what used to be called – in more politically incorrect times – a “Third World” nation…»

Puis il poursuit sa logique, et se tourne à la fois vers Tea Party et l'entrée impressionnante de ce mouvement dans le processus législatif, et vers la nécessité de contraindre et de réduire les dépenses publiques, – thème cher à Tea Party, justement. Et Raimondo en vient à un autre thème qu’il n’a pas l’habitude d’aborder, qui est celui des dépenses militaires, du gouffre à $milliards qu’est le Pentagone.

«The tea partiers, however, don’t seem like the types who are easily scared, and it seems to me they are likely to react by going where they are told only angels fear to tread. Well, no tea partier is an angel, but perhaps a good many of them are contrarians who will dare to go against the “conventional wisdom” in Washington, and the so-called conservative movement, and begin to ask some basic questions. Starting with: why are we spending more on our military than the defense expenditures of all other nations on earth combined? Why is this untouchable? Because if they don’t ask these kinds of questions, their entire effort is futile and their movement is doomed to fail.

»The politicians who lead them, or who have jumped on the tea party bandwagon without being rudely pushed off, have a political and moral responsibility to … well, lead. And leading, in this context, means raising the “defense” issue, and questioning why a bankrupt nation such as ours thinks it can afford an empire.

»Ron Paul makes this point at every opportunity, and now that his son is in the Senate, one hopes he’ll raise the issue, too. Progressives are rightly challenging the tea partiers and demanding to know: okay, now that you’re in power, what specifically are you going to cut?...»

Notre commentaire

@PAYANT On ne s’étonnera évidemment pas de voir toutes ces questions liées entre elles, puisque, selon la logique de monsieur de La Palice, elles le sont évidemment. Mais elles le sont selon des connexions parfois indirectes, parfois confuses, parfois contradictoires, – mais peut-être arrive-t-on à un moment où tous ces freins du rangement du jugement général tendent à disparaître…

Il est inhabituel de voir Raimondo s’intéresser justement à toutes ces questions dans une de ses chroniques, lui qui a jusqu’ici limité son commentaire critique aux activités guerrières et de sécurité du système. Lorsqu’il abordait parfois la question de Tea Party, ce qui arrivait parce que les éléments libertariens présents dans ce mouvement intéressent évidemment Raimondo, lui-même libertarien, c’était pour s’interroger sur la position directe de ce mouvement par rapport à ces mêmes questions du bellicisme et des guerres extérieures. Par contre, Raimondo s’est très rarement intéressé à la question de la politique de la Federal Reserve et du sort du dollar qui en dépend, ainsi qu’à la question du budget de la défense, sinon d’une façon accessoire ou marginale. Dans cet article, au contraire, on voit comment il trace un lien direct entre la politique de la Fed avec sa décision dite QE2, la question du dollar (voir ce que pense de ces deux questions Evans-Pritchard, le 2 novembre 2010 dans le Daily Telegraph), la question du déficit public et du budget du Pentagone, la question de l’attitude de Tea Party vis-à-vis de tous ces problèmes, autant celui de la Federal Reserve que celui du budget du Pentagone, et, finalement, la “question de l’empire” et des guerres extérieures.

On répétera que le lien entre tout cela est évident, et c’est effectivement le cas même si ce lien est parfois indirect. Nous voulons simplement faire observer que cette évolution du commentaire de Raimondo reflète effectivement une situation nouvelle où, à la suite des élections midterm et de l’affirmation de Tea Party, tous ces problèmes se trouvent rassemblés et confrontés d’une manière directe cette fois, notamment et principalement au sein de l’appareil législatif du système de l'américanisme. Il s’agit d’un rassemblement de toutes les tensions diverses, de toutes les crises diverses de la structure crisique qu’est devenue la crise générale du système de l’américanisme, – et un rassemblement qui, bien évidemment, ne peut mener qu’à des situations d’affrontement direct puisque nous sommes au cœur du pouvoir du système de l’américanisme, là où les décisions essentielles se prennent (aujourd’hui plus que jamais, alors que le président Obama se trouve dans une position de très grande faiblesse après les élections midterm).

Il s’agit en effet d’une occurrence où tous les pouvoirs, les centres de pression, les lobbyings corrupteurs, les centres d’influence vont exercer leurs pressions qui, en raison de la diversité des crises, ne s’exerceront pas dans un sens similaire mais dans des sens divers et, de plus en plus souvent, dans des sens confrontationnels. Il n’y aura aucune orientation décisive, aucune force irrésistible, mais un climat général de tension encore renforcé par les éléments même du pouvoir américaniste qui sont faits en général, au contraire, pour apaiser les situations de confrontation et permettre à la direction du système de fonctionner le plus efficacement possible pour les intérêts généraux du système… Mais il n’y a plus de situation d’existence des “intérêts généraux du système” qui satisfasse peu ou prou tous les centres de pouvoirs et les centres d’influence en présence. La perspective est bien celle de l’affrontement et du désordre.

Le résultat général est que cette fameuse structure crisique, qui est potentiellement explosive, qui va se trouver concentrée dans le centre même du pouvoir du système de l’américanisme, sera dans une situation où l’étincelle déclenchant l’explosion a le plus de possibilité de se manifester. C’est ce que nous signifie indirectement cette chronique de Raimondo, où l’on voit ce chroniqueur s’intéresser à des sujets qu’il laisse d’habitude de côté. Il ne fait aucun doute que tout cela est le fruit des élections midterm et de l’irruption de Tea Party ; c’est surtout le fruit de l’idée que tout le monde se fait, plus ou moins consciemment, du rôle justement explosif que devrait jouer Tea Party au cœur du pouvoir du système de l’américanisme, – et que ce rôle se concrétise ou pas importe peu, du moment qu'il y a étincelle et explosion… Il y a une mécanique psychologique en marche, qui va influer sur toutes les psychologies des acteurs en place, y compris celles des gens de Tea Party ; y compris celles des caciques (l’establishment) du parti républicain, qui détestent Tea Party et le craignent à la fois, et seront donc amenés à accorder à cette faction une importance considérable qui, en retour, poussera les membres de Tea Party à se montrer résolument activistes, parce que c’est leur raison d’être et ce qui leur donne cette position nouvelle de puissance…

D’une façon involontaire et d’une façon très efficace, beaucoup plus efficace que s’il faisait une analyse concrète et rationnelle de cette situation, Raimondo, par la forme inhabituelle de sa chronique, nous informe là-dessus. Il nous dit que le 112ème Congrès des Etats-Unis, qui sera inauguré le 1er janvier 2011, est une poudrière au cœur du système de l’américanisme. Tout indique qu’elle explosera.


Mis en ligne le 5 novembre 2010 à 19H14