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15 septembre 2003 — Le “non” suédois à l’euro est aussitôt expliqué comme une conséquence du comportement “anti-européen” des Français et des Allemands, à cause du non-respect des critères de Maastricht. Cette explication est fortement appuyée par John Vinocur, de l’International Herald Tribune, et, en général, par les commentateurs officiels américains. Cela est conforme à la nouvelle politique US de “désagrégation” de l’Europe, qui est désormais suivie sans vergogne par Washington et applaudie par les journalistes officiels du régime.
Observons, en passant, que l’explication conduit tout de même à une contradiction. Cela n’embarrassera nullement les commentateurs US ni leurs relais en Europe, et surtout en France.
• Aujourd’hui, la France (avec l’Allemagne) est accusée d’entraver le renforcement et l’établissement de l’Europe par le biais du renforcement de l’euro, principal instrument selon ces mêmes commentateurs critiques de l’“Europe-puissance”.
• Depuis toujours, mais de façon forcenée depuis l’automne dernier, la France est accusée par les commentateurs US et leurs relais européens de vouloir établir une “Europe-puissance” pour contrer les États-Unis.
Il faudra réconcilier ces deux accusations, l’une et l’autre aussi nécessaires à la propagande états-unienne. On compte sur la faible mémoire de nos contemporains.
A côté de cela, le vote suédois peut être apprécié à la fois comme moins important qu’on ne croit, et plus important qu’on ne dit. Ses conséquences nous apparaissent différentes de celles qu’on énonce. Elles tournent autour de deux faits :
• L’évidente persistance du fait national, avec l’impuissance au-delà du descriptible de la bureaucratie et des institutions européennes à établir un semblant d’identité européenne capable de séduire un citoyen normal.
• L’affaiblissement du fait économique dans la réalité européenne, pour définir la réalité européenne.
Les conséquences du vote suédois auront d’abord de fortes dimensions politiques, qu’il faut apprécier non pas en fonction d’une logique européenne interne ni d’une logique économique. L’enjeu est politique, dans une époque éminemment politique.
• Le vote suédois contrecarre objectivement l’unité économique de l’Europe ainsi que ses dimensions hors du noyau central continental. Transcrit en termes actuels, cela signifie que c’est un coup porté à l’élargissement de l’Europe et à la conception économique qui l’accompagne. (De ce point de vue, les Américains de l’administration GW qui crient “au loup” devant une éventuelle future possible puissance européenne n’ont toujours pas compris, — au contraire de leurs amis britanniques, tendance Blair — que plus l’Europe est grande, moins elle est politique, plus elle est économique, moins elle est puissante dans les domaines qui comptent [sécurité, défense]. A cet égard, l’élargissement est une catastrophe voulue par le conformisme des temps. Le vote suédois est un frein notable sur la route de cette catastrophe. Les Polonais vont sans doute trouver habile de se rapprocher des Suédois et s’excluront d’autant plus du noyau central.)
• Le vote suédois ne pourra que renforcer les tendances centripètes européennes, notamment la tendance à aller vers un “noyau dur” organisé autour d’un renforcement de la sécurité et de la défense (France, Allemagne, Benelux, avec des continentaux comme l’Italie et l’Espagne en attente d’un éventuel changement de gouvernement chez eux). C’est là la seule voie pour évoluer vers l’“Europe-puissance” tant crainte par les Américains.
• Le vote suédois est une catastrophe de plus pour le pauvre Blair, en le privant encore plus de son “pilier” européen qui forme l’une des branches maîtresses de sa politique (avec les relations avec les USA). En effet, on voit mal Blair risquer ce qui lui reste de tête dans un référendum britannique sur l’entrée dans l’euro, quasiment voué à l’échec après l’expérience suédoise. Donc, le vote suédois renforce jusqu’à la tragédie la crise britannique : il prive le Royaume-Uni de son rapprochement vers l’Europe, ne lui laisse que l’alliance avec les USA, c’est-à-dire l’aventure irakienne et une administration GW Bush en déroute (avec une opinion publique hostile à l’aventure irakienne et à l’administration US...).
En d’autres mots, le vote suédois rend la situation européenne conformiste (élargissement, tout-économique, institutions européennes, etc) encore plus dramatique. Il doit accélérer la poussée vers des mesures radicales pour sauver l’impulsion européenne (“noyau central”, accent mis sur la sécurité). Pour le reste, il ne rompt rien des liens de la Suède avec l’Europe : la Suède va devenir le partenaire privilégié de l’axe franco-allemand dans l’industrie de défense, à la place du Royaume-Uni.