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1455Le problème de la re-localisation de la base du U.S. Marine Corps de Futenma, à Okinawa, est en train d’entrer dans sa phase explosive. Le Premier ministre japonais Yukio Hatoyama est dans une impasse, alors que son échec à résoudre le problème a fait chuter sa popularité de 72% à 20,7% de soutien dans la population. Le problème de Hatoyama est que les autorités locales (Okinawa) ne veulent plus de la base de Futenma, et que toutes les autres zones prospectées pour une re-localisation ont vu leurs propres autorités locales refuser cette perspective. Yukio Hatoyama risque son poste, à l’occasion d’élections en juillet prochain et diverses voix et grands médias réclament sa démission s’il ne résout pas le problème au 31 mai, – le délai qu’il s’est lui-même fixé. Une dépêche d’AFP (via Spacewar.com), le 5 mai 2010, expose cette situation extrêmement délicate du Premier ministre japonais.
• Du côté US, l’intransigeance est totale et contribue notablement à enfermer le Premier ministre japonais dans son impasse en l’humiliant d’une façon irrémédiable, qui peut entraîner sa chute. Dans le Los Angeles Times du 6 mai 2010, l’excellent auteur Chalmers Johnson fait une analyse critique virulente de l’attitude de Washington: «The United States is on the verge of permanently damaging its alliance with Japan in a dispute over a military base in Okinawa. […] …I deplore even more the U.S. government's arrogance in forcing the Japanese to this deeply humiliating impasse. The U.S. has become obsessed with maintaining our empire of military bases, which we cannot afford and which an increasing number of so-called host countries no longer want. I would strongly suggest that the United States climb off its high horse, move the Futenma Marines back to a base in the United States (such as Camp Pendleton, near where I live) and thank the Okinawans for their 65 years of forbearance.»
• Le 6 mai 2010, Dmitri Kossyrev, de Novosti, fait une excellente analyse du problème, en ne ménageant pas ses critiques de la politique US. Dans sa conclusion, il pose bien l’enjeu du conflit entre le Japon et les USA.
«Hatoyama est pressé par le temps, mais ce n’est rien en comparaison avec les problèmes rencontrés par toute la politique étrangère de l’administration américaine qui se trouve toujours à court de temps. Les changements se produisent trop rapidement dans le monde, difficile d’y mettre un frein et plus difficile encore de formuler de nouveaux objectifs. En effet, l’accord conclu avec le Japon en 2006 était un produit de la politique non pas même de Bush, mais de son Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld considéré actuellement comme le symbole de l’échec global américain. Par conséquent, c’était un produit d’une autre époque. Bref, alors qu’il ne s’agissait que de transférer une petite base militaire américaine sur une île japonaise calme, on ne sait sur quelle fourmilière le pied a été posé...»
@PAYANT Voilà une situation encore très particulière et spécifique, que le commentateur russe saisit bien dans certains de ses composants, notamment cette idée que les bases US au Japon sont simplement “d’une autre époque”, point final. (“Autre époque”, évidemment, que celle où le Pentagone tout puissant imposait à ses pays vassaux sa politique, au prix de situations extraordinairement déséquilibrées, humiliantes et intenables pour les pouvoirs politiques en place. Mais l’on comprend bien que l’emploi du temps passé pour décrire cette situation est une erreur de situation. Le temps présent est nécessaire parce que le Pentagone, malgré ses revers sans nombre, ses impuissances diverses étalées au grand jour, vit toujours dans cette “autre époque”, sans aucune restriction, sans possibilité de révision…)
La complication de cette situation, ou sa “beauté” disons, avec une pointe d’ironie, c’est la façon dont le système de l’américanisme, précisément le Pentagone bien entendu, parvient à force d’aveuglement à transformer une affaire des plus mineures en une bombe à retardement qui peut mettre à mal les relations de sujétion totale du Japon aux intérêts stratégiques US. Mais c’est le caractère essentiel de ce système de puissance brute de ne savoir ni composer, ni reculer tactiquement, pour ménager un partenaire qui a besoin d’un peu d’autonomie, au moins d’une apparence d’indépendance. Encore ne sommes-nous même pas là au niveau de ces grands principes, mais simplement du sentiment d’excédation de la population japonaise forcée de supporter le comportement des soldats US, – connus pour leur comportement avec l’absence totale de reconnaissance de l’identité des autres, du respect de territoires étrangers et alliés aussitôt annexés effectivement comme annexes américanistes; tout cela, sur le fond du stationnement massif de forces US sans la moindre raison stratégique, simplement pour l’omniprésence de ce monstrueux système de puissance, par ailleurs marqué par l’impuissance qu’on sait.
L’intransigeance US conduit donc le Premier ministre japonais à une situation de complet blocage puisqu’il est engagé dans la promesse de la décision (avant le 31 mai) de déplacer la base de Futenma vers une autre localisation au Japon, et que personne au Japon n’en veut. La stupidité du système de l’américanisme, tendance Pentagone, pourrait donc conduire à une démission humiliante du Premier ministre Yukio Hatoyama, dont le successeur, quel qu’il soit, n’aura de consigne plus pressante que d’obtenir, voire d’ordonner le départ des 2.000 Marines de Futenma. C’est-à-dire, un risque réel d’une très réelle rupture stratégique entre le Japon et le Pentagone (pour faire court). Comme on l’observe depuis plusieurs mois, un problème mineur déboucherait sur la mise en lumière du problème fondamental des relations stratégiques entre les USA et le Japon, marquées par un déséquilibre d’une “autre époque”. Si l’on en arrive à ce point, le problème sera devenu fondamental car il n’y aura plus d’alternative entre un arrangement sur une question mineure (la localisation ou le retrait d’une base de 2.000 Marines) et une rupture pure et simple des arrangements de sujétion stratégique total du Japon aux intérêts stratégiques du Pentagone, – ou, plutôt, à ce que le Pentagone estime absurdement être “ses intérêts stratégiques” puisque, en l’occurrence, il se trouverait dans la situation éventuelle de tout perdre pour la question de la localisation d’une base mineure. Mais, encore une fois, il n’y a rien à attendre en matière de finesse tactique (compromis, arrangement) de la part d’un tel système.
L’autre enseignement de cette affaire porte sur la puissance de la pression populaire, même et surtout inorganisée, même et surtout sans but stratégique précis, face à l’inconsistance des positions des dirigeants politiques. Le Premier ministre Hatoyama sait bien, lui, que la question centrale c’est l’extraordinaire irréalisme de l’arrangement stratégique actuel entre le Japon et les USA, et le piètre cas que cet arrangement fait de la souveraineté du Japon. Mais la faiblesse du système général interdit à ces hommes politiques de considérer les réels problèmes dans leurs vraies dimensions, et de les exposer tels qu’il sont d’autant que l’intransigeance du Pentagone lui interdit des arrangements au moins cosmétiques permettant une exposition publique qui ne soit pas trop absurde ni insupportable. Eux aussi, les hommes politiques japonais, comme le Pentagone de son côté, se trouvent réduits à des positions de “tout ou rien” qui font surgir des possibilités de situation de rupture. La pression populaire, relayée par le refus des diverses autorités locales consultées d’accueillir une nouvelle base, n’a, elle aussi, aucune véritable conscience, ou aucune conscience précise de la véritable dimension stratégique de l’enjeu. C’est ce qui fait sa force dans ce cas précis, considéré objectivement par rapport aux intérêts japonais: elle n’est freinée par aucune considération pondératrice, justement parce qu’elle a appris à vivre sans considération de souveraineté où les grands enjeux stratégiques peuvent être pris en compte et, dans ce cas, avec la possibilité d’une pondération pour éviter une situation de rupture. Privée de cette appréciation souveraine, la pression populaire ne considère que ses intérêts locaux, et ceux-ci la poussent à rejeter sans aucun compromis la perspective de la base. L’arrangement USA-Japon, si méprisant pour la souveraineté du Japon, se retourne contre les intérêts des USA. A cet égard, dans le cadre du système de la communication tel que nous le connaissons, la pression populaire a de fortes chances de l’emporter contre la pression du Pentagone sur les hommes politiques japonais, puisque la faiblesse de ces derniers qui les a toujours fait céder au Pentagone les rend aujourd’hui (dans ces “autres temps”) incapables de résister à une véritable pression populaire telle qu’elle se manifeste. Dans le système général actuel caractérisé par tant d’ impuissances diverses, autant celle du personnel politique que celle, plus générale, du système du technologisme dont le Pentagone est le représentant principal, les grandes décisions et les grands événements naissent de circonstances futiles et dérisoires que le système de communication relaie sans aucune considération pour leurs conséquences. C’est la caractéristique d’un système bloqué et soumis à des tensions internes considérables que son blocage empêche de pondérer.
Mis en ligne le 8 mai 2010 à 06H14