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1810Il est extrêmement difficile de mesurer l’action du système de la communication en général et de la nébuleuse de l’information qu’est devenu le fait de “la presse” en général, singulièrement dans une crise aussi rapide, confuse et imprévisible que fut celle de l’attaque chimique du 21 août en Syrie. Mais cette difficulté elle-même témoigne d’un fait nouveau : ce que nommons “la presse-Système”, jusqu’alors soutien inconditionnel du Système et sans rival sérieux durant ces périodes paroxystiques où l’appareil de communication des directions politiques en place fonctionne à son maximum de puissance dans le sens de la propagande de guerre, s’est trouvée d'une façon significative dans une position de faiblesse et même d’impuissance. Le caractère de la crise, justement, en témoigne, avec ses volte-face inattendus et, finalement, l’abandon pour cette phase du projet d’attaque de la Syrie. Le constat qu’on peut et qu’on doit faire est que le monde dit “alternatif”, l’action des réseaux et de la communication, surtout au niveau de l’information, ont eu un effet remarquable, direct et indirect, qu’ils ont largement influencé et relayé l’opinion publique, qu'ils ont enfin décisivement contribué à cette évolution de l'abandon de l'attaque. Si certains (Foreign Policy, le 24 septembre 2013) peuvent écrire, à propos du discours d'Obama à l'Assemblée de l'ONU hier, «Bad News. The American Empire is dead», c'est largement à cause de, ou plutôt grâce à cette action.
Ce fut un phénomène de communication remarquable, difficilement descriptible dans le détail et même dans la forme mais dont on peut finalement affirmer qu’il fut déterminant dans le volte-face d’Obama le 31 août 2013 (appel au Congrès), puis dans la dissolution accélérée de ce que le Système espérait être le soutient inconditionnel de ce Congrès, et qui s’est avéré être devenu exactement l’inverse au bout de trois ou quatre jours de temps. Cette rapidité, elle aussi, témoigne de la spécificité remarquable du phénomène, de la rapidité de son évolution, de l’impuissance soudainement apparue du Système. Nous observions cela, dans tous les cas les prémisses du phénomène, le 29 août 2013, parlant justement d’un “bruit de communication dissidente”, insaisissable, difficilement compréhensible dans sa formation et dans ses composants, et pourtant déjà extraordinairement efficace, – et toujours plus ensuite, comme la suite l’a montré...
«Le climat a été notablement dramatisé, d’abord par les autorités-Système dans un premier temps, avec l’habituelle montée de la tension pour préparer psychologiquement un climat favorable à une acceptation de l’attaque. D’une façon inhabituelle par rapport au schéma habituel, cette phase de “montée la tension” est aujourd’hui remplacée par une situation d’incertitude due à divers facteurs (voir deux textes dans ce sens, du 29 août 2013 et du même 29 août 2013), qui n’implique nullement un apaisement de la tension mais diversifie cette tension en jetant le doute sur les capacités et les intentions du Système. En même temps et parallèlement, on a assisté et on continue d’assister à une formidable pression venue de nombreuses sources de la communication dissidente (“presse alternative” et de la dissidence, internet, etc.) développant nombre de théories impliquant les autorités-Système d’une façon ou l’autre, avec, souvent évoquée également, la possibilité d’un conflit au plus haut niveau. La diversité des thèses qui sont développées par cette “opposition” au Système, est très grande jusqu’à parfois s’opposer, et c’est un phénomène relativement nouveau dans une crise où, naturellement, le Système est impliqué et reste la cible principale ; on avait déjà eu un aperçu de cette diversité contradictoire dans l’opposition avec l’affaire Snowden/NSA, certains avançant des thèses hostiles à Snowden. Dans ces crises, et particulièrement dans cette phase paroxystique de la crise syrienne, les “complots”, montages, desseins cachés qui sont affirmés sont très divers, parfois même antagonistes, seulement unis bien entendu par leur hostilité à l’encontre des acteurs principaux du Système.
»De ce point de vue, cette action générale n’a pas l’efficacité antiSystème qu’elle devrait avoir pour être considérée avec avantage parce qu’elle ne dénonce pas une démarche spécifique. Mais cela n’importe guère, surtout au regard de l’avantage apporté en contrepartie par cette profusion, ce qu’on pourrait définir comme un “bruit” de communication dissidente hostile et constant, d’accusations et de réquisitoires, qui est générateur d’une grande confusion. Ajoutée aux incertitudes qu’on constate dans le chef du Système, ce “bruit” général de la communication hostile forme lui-même un ensemble de grande confusion et devient, dans ce cas, un facteur antiSystème objectif évident. La dramatisation, si nécessaire pour le Système pour la mise en condition générale lorsque l’objectif est bien identifié dans le temps, dans la chronologie, dans les moyens, devient absolument contre-productive dans ce cas où l’objectif se détricote littéralement du fait de la faiblesse du Système (voir par exemple WSWS.org ce 29 août 2013 : «US-NATO campaign to justify Syria war disintegrates as attack looms»).»
Il y a eu d’autres constats faits sur cette action de ce que nous nommons également, pour faire court mais aussi pour faire juste contre le phénomène de presse-Système, – la “presse-antiSystème”, bien sûr. C’est le cas de Infowars.com, le même 29 août 2013, de StoryLeaks.com le 13 septembre 2013 («The real media that has now emerged in place of the depleted mainstream media machine has successfully blocked plans by Obama and his handlers to plunge the international community into a hot World War 3 scenario, and top advisers are on record admitting it. In a truly powerful augmentation of history, spreading the word over staged events like the Syrian chemical attacks has ultimately forced the Obama administration and its affiliates to push back their plans to launch military action. [...] Ultimately, by disseminating this information to what amounts to millions worldwide, we have also delivered talking points and analysis to prominent figures like Ron Paul and Pat Buchanan.»).
Parmi les personnalités du Système, un homme a dominé l’appréciation générale en actant le fait que la puissance générale du fait antiSystème, et notamment de la presse antiSystème, rendait désormais extrêmement difficile de conduire des opérations de communication préparant à l’usage de la force, pour accomplir des buts géopolitiques par cet usage de la force, et donc la presse antiSystème interférant décisivement sur les projets d'emploi de la force. Il s’agit de Zbigniew Brzezinski, dont nous signalions déjà, le 28 novembre 2012, la conscience qu’il avait de ce qu’il nomme “Global Political Awakening”, une mobilisation politique globale de nature antiSystème qui joue désormais un rôle majeur :
«En fait, nous dit Brzezinski, le monde est devenu trop compliqué (le “monde complexe post-hégémonique”), et cette situation dans le désordre le plus complet, pour encore répondre aux lois de la géopolitique ; en cela, nous signifiant, lui, Brzezinski, le géopoliticien glacé et implacable, que l’ère de la géopolitique est close et que lui succède, ou lui a déjà succédé, quelque chose comme l’ère de la communication... [...] D’où le salut de reconnaissance, contraint et sans la moindre complaisance, de Brzezinski à ces nouvelles forces qui s’affirment partout avec fracas, cette pression populaire (le populisme) s’affirmant non par des révolutions, des émeutes, des grèves insurrectionnelles, etc., mais des “événements de communication”, c’est-à-dire des masses révolutionnaires sans révolution, des émeutes sans renversement de gouvernement, des grèves insurrectionnelles sans insurrection. L’important est l’écho de communication qu’on crée, qui paralyse les pouvoirs comme le “regard” du crotale fascine sa proie...»
On a retrouvé Brzezinski dans ses jugements sur la paralysie grandissante des pouvoirs politiques au service du Système face à cette forme nouvelle de lutte et de résistance. Il est intervenu à nouveau durant cette crise du 21 août, le 29 août également, pour signaler combien l’offensive menée par le Système pour obtenir le soutien à une attaque contre la Syrie se heurtait à une formidable résistance, et même à une contre-offensive de ces forces de communication antiSystème, dont cette presse antiSystème désormais si efficace. Nous mentionnions cette intervention de Brzezinski le 16 septembre 2013...
«Il est remarquable que ces appréciations de l’usage de la force, et de l’inefficacité grandissante de ce choix de “politique”, sont d’une certaine façon confirmées par une intervention précédente d’une des grandes voix de l’establishment américaniste, acteur et théoricien d’une politique “réaliste” dure qui ne chicana jamais, justement, sur le moyen de l’emploi de la force. Mais on sait que Zbigniew Brzezinski, qui vaut tout de même mieux que les diverses têtes de piaf peuplant les bureaux majestueux des ministères des pays du bloc BAO, est capable d’acter les bouleversements en cours de la situation générale, et l’affaiblissement à mesure des USA. Son constat sur “l’insurrection du monde”, ou «Global Political Awakening» (voir le 28 novembre 2012), est particulièrement judicieux ... C’est justement ce thème qu’il reprenait [...] pour juger “difficile” d’engager une guerre en Syrie productive de conditions meilleures pour la solution de la crise, volonté de guerre dans le chef bien entendu des USA sous la conduite incertaine d’Obama (et conduite incertaine, justement en raison des conditions rendant “difficile” cette guerre). On voit que Brzezinski met effectivement en question l’efficacité, sinon même la possibilité de l’emploi de la force.
»“During a short interview with Germany’s DW News last Monday, former US National Security Adviser and Trilateral Commission co-founder Zbigniew Brzezinski commented on the growing inefficiency of war due to the increased political knowledge of the public. ‘Given the contemporary reality of what I have called in my writings “Global Political Awakening,” a policy of force based primarily on Western and in some cases former colonial powers does not seem to me a very promising avenue to an eventual solution to the regional problem,’ said Brzezinski, referring to the situation in Syria”...»
Nous croyons qu’il y a eu là, durant cette période entre le 21 août et les 9-10 septembre (plan russe sur le démantèlement du chimique syrien), une action décisive de la nébuleuse antiSystème (dont le public est certes partie prenante, ô combien), et, pour notre compte, de la presse antiSystème. Nous croyons qu’il s’agit là d’un événement de communication de première grandeur, qui sera apprécié comme tel dans la perspective, peut-être même apprécié comme un grand événement de rupture, un événement fondateur de l’investissement du système de la communication par la presse antiSystème.
Nous, à dedefensa.org, nous avons tenu notre rôle dans cet épisode. Il fut ce qu’il devait être, ce rôle, à notre mesure, avec notre part d’influence, avec nos moyens, avec nos lecteurs, avec nos amis en résistance. Cette action affirmée, au nom d’une cause qui nous paraît évidente et dont nos lecteurs comprennent évidemment la justesse selon la logique et la conviction déployées, et la cohérence indiscutable qui les caractérise, nous conduit à d’autant plus insister pour que le soutien dont nous avons besoin soit concrétisé une fois de plus, par les moyens qu’on connaît. Il y a la barre d’affichage de notre campagne de donation remis en tête de la page d’accueil aujourd’hui, il y a nos besoins que nos lecteurs connaissent bien. Il y a notre absence de doute que les lecteurs de dedefensa.org feront une fois de plus ce qu’il faut pour compléter le soutien constant dont nous avons besoin. Il y a, enfin, nos chaleureux remerciements pour ceux de ces lecteurs qui ont déjà affirmé ce soutien, et pour ceux qui, ces jours prochains, affirmeront le leur et boucleront notre mois qui est aussi le leur.
Mis en ligne le 25 septembre 2013 à 05H31