La Syrie réveillera-t-elle le BRICS ?

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Dimanche, après avoir rencontré le ministre brésilien des affaires étrangères Antonio Patriota, le ministre russe des affaires étrangères Lavrov déclarait que «si les pays du BRICS ont réellement leur mot à dire, le scénario libyen ne se répètera pas en Syrie». Après une rapide consultation des autres pays du groupe (le BRICS), le ministre russe a été assez loin dans son appréciation de l’évolution de la situation syrienne, au nom des pays du groupe BRICS. (Selon Russia Today, le 4 septembre 2011.)

«BRICS nations will try to prevent a Libya-type scenario playing out in Syria. This commitment has been outlined by Russia's foreign minister, Sergey Lavrov. The minister’s comments on behalf of BRICS countries – Brazil, Russia, India, China, and South Africa – came after a meeting with his Brazilian counterpart, Antonio Patriota, on Sunday.

»“We strongly believe it is unacceptable to instigate the Syrian opposition to continue boycotting suggestions to start a dialogue,” Sergey Lavrov said. “This is a call for a repeat of the Libyan scenario. The BRICS nations will not allow this to happen. The UN Security Council will not tolerate how its resolutions are being implemented.” Lavrov said the UN Security Council should demand an end to the violence in Syria – no matter who it arises from – and move all parties into dialogue.»

Le site Russia Today, à nouveau, reprend (le 5 septembre 2011) l’information et la développe sous la forme d’une interview d’un expert indien, le Dr Sreeram Chaulia, professeur à l’Ecole Jindal des Affaires Internationales. Le Dr. Chaulia adopte la thèse d’une expansion d’une stratégie néocoloniale de la part des pays du bloc BAO. Il estime que les pays du groupe BRICS, dont le sien, sont naturellement désignés pour s’opposer à cette dérive néocoloniale, notamment à l’ONU et dans le domaine des sanctions que le bloc BAO impose en général à un pays, comme première étape avant d’envisager une invasion de ce pays, ou une intervention directe dans ses affaires intérieures.

«“We need to prevent that and the only way to do it is for BRICS to put up a united front,” he said. “It is necessary to contest hegemonic ambitions.”

»He believes that BRICS is a microcosm of the movement towards a genuine multi-polar world. “And you can only have genuine multi-polarity through joint action by BRICS nations to prevent this,” he said. “But whether they can succeed or not is a matter of also of power projection on the ground. Diplomatically, yes – Russia, China, India, Brazil, even South Africa have sent emissaries to Syria and they are all involved behind the scenes.”»

L’originalité de l’appréciation du docteur Chaulia est qu’il envisage le cas où le groupe BRICS n’arriverait pas à stopper le dérive américaniste-occidentaliste vers l’intervention. On en arriverait à un moment où l’option militaire serait envisagée, et ce pourrait être le cas pour la Syrie. Que faire dans ce cas ? Chaulia a une réponse toute prête : l’Iran.

«“The only deterrent preventing another Libya-like intervention from the West is the fact that Iran supports the Syrian regime,” he said. “They will materially prevent a takeover of Syria the way the Western powers have now pretty much taken over Libya – by hijacking the UN resolutions to protect civilians.”

»Chaulia believes that it is important for BRICS to co-ordinate with Iran and make sure that there is a “peaceful transition of power” and move to democracy, which is the main message the bloc’s members are sending. “And in fact that is a better message than the ‘big stick method’ of imposing immediate sanctions to ‘save lives’ the Europeans and Americans are talking about,” Chaulia concluded.»

Le groupe BRICS a traversé une période difficile ces derniers mois, correspondant exactement à une période difficile où la Russie a perdu sa ligne diplomatique habituelle. Le vote de la résolution 1973 de l’ONU en mars (“protection des civils” en Libye), qui transgressait un principe (la non-ingérance dans les souveraineté nationale) au nom d’une situation (massacres de civils) dont on a vu depuis qu’elle était pour le moins relative, a été de la part de la Russie une erreur commise par le fait d’une paresse du raisonnement, et de l’illusion qu’une ligne diplomatique raisonnable pourrait être suivie dans ce cadre avec le bloc BAO. La transgression d’un principe est un fait indubitable, dont le précédent reste, tandis que le jugement d’une situation dépend de nombreuses contingences, surtout dans cette époque marquée, sinon manipulée, par le système de la communication. (Par “principe”, nous entendons une dynamique de structuration comme la souveraineté ou la légitimité, à ne confondre en aucun cas avec un choix idéologique, une alliance, etc.)

La Russie ainsi égarée, le groupe BRICS, qui dépend surtout d’elle pour les impulsions diplomatiques (la Chine, plus puissante, préférant rester sur sa réserve), n’a pas tenu les promesses que certains, – dont les Russes, d’ailleurs, – avaient faites en son nom à propos de la Libye. L’idée est évidemment qu’un tel rassemblement de puissances émergentes, même informel et même suscité par la seule dimension économique, a vocation de rechercher une certaine unité de coopération, de coordination et d’action diplomatiques ; cela est d’autant plus vrai lorsque les relations internationales sont sous l’empire d’une force déstructurante et dissolvante telle que le bloc BAO. Le groupe BRICS devrait alors retrouver le legs des pays non-alignés des années 1950 (la conférence de Bandoeng), avec la Russie cette fois complètement intégrée par ses choix diplomatiques et l’absence complète de la dimension idéologique.

Evidemment, la suggestion du docteur Chaulia va beaucoup plus loin que cette seule appréciation théorique, en évoquant si précisément le cas de l’Iran. L’hypothèse constitue un cas beaucoup moins conventionnel, et ouvre des perspectives étonnantes en apparaissant comme une menace directe contre les constructions d’antagonismes accordées à la narrative américaniste-occidentaliste. L’hypothèse serait encore plus importante, si l’Iran se prêtait au jeu, pour l’Iran lui-même que pour la Syrie, en extrayant ce pays du purgatoire assigné par cette narrative du bloc BAO.

Peu importe pour l’instant le destin de cette proposition et la validité de l’hypothèse. Il reste un enseignement majeur. Si le groupe BRICS veut passer des bonnes intentions à une action effective dans les relations internationales, il se trouvera aussitôt en position d’antagonisme avec les schémas les plus importants de la narrative BAO. Pour l’instant, cette question de l’action du groupe BRICS reste cantonnée à un regroupement autour de la proposition de résolution de la Russie pour l’ONU, concernant la Syrie, qui est actuellement examinée conjointement avec l’autre proposition, du bloc BAO. Outre la Chine, les autres pays du BRICS soutiennent à fond cette proposition, ont annoncé les Russes le 29 août 2011. (On doit d’ailleurs noter, peut-être avec une certaine ironie, que les Français ont fait savoir qu’ils jugeaient qu’il y avait une possibilité de synthèse des deux résolutions, qu’eux-mêmes se jugeaient fort proches des Russes sur la question syrienne. Après l’aventure libyenne et en attendant la livraison du porte-hélicoptères Mistral à la Russie, la diplomatie française montre une grande capacité de souplesse. Les Russes, eux, ont qualifié de “partiale” la résolution du bloc BAO, où la France a sa part.)


Mis en ligne le 6 septembre 2011 à 17H08