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408Les deux nouvelles qu’on trouve documentée, concernant deux questions d’armement russes, le porte-hélicoptères Mistral français pour la Russie et les missiles sol-air S-300 russes destinés à l’Iran (voir Ouverture libre du 19 juillet 2010), illustrent ce qu’on pourrait définir comme une “tactique” caractéristique de la Russie dans ce domaine. Cette tactique peut paraître exaspérante à certains à cause de ses sinuosités, sauf qu’elle répond bien entendu à des sinuosités politiques de la part d’autres pays engagés politiquement dans ces deux affaires. Nous doutons effectivement fortement qu’il s’agisse de contradictions fortuites mais, au contraire, d’une tactique russe délibérée, qui mérite un commentaire.
@PAYANT Dans les deux cas, les Russes se trouvent engagés avec des partenaires qui jouent eux-mêmes des jeux divers, et la tactique russe revient dans ce cas à tenter d’interférer dans ces jeux, de profiter de leurs faiblesses éventuelles. Il y a un mélange de pressions et de manœuvres, qui ont surtout pour effets d’introduire l’incertitude dans la perception des “partenaires” des Russes.
• Dans le cas du Mistral, voilà un “concurrent” qui surgit d’on ne sait où, venu d’une perspective de coopération avec la Corée du Sud. Quelles que soient la valeur de l’offre d’une coopération avec la Corée du Sud, et le sérieux de l’offre, il est certain que la nouvelle a pour effet d’introduire le trouble chez les Français, quelles que soient les garanties que ces mêmes Français estiment avoir. Quel est l’enjeu pour les Russes ? Principalement, il est de deux ordres : tenter d’obtenir les meilleures conditions possibles pour l’achat du Mistral, notamment pour la construction de plusieurs unités sur les quatre envisagées en Russie. Surtout, il y a la volonté de la part des Russes d’écarter toute interférence idéologique dans l ‘attitude de la France, pour éventuellement dégrader les technologies inclues dans le Mistral. On sait que l’attitude politique française est soumise à des pressions de groupes peu représentatifs politiquement, mais évoluant dans les sphères de la communication, pro-américanistes, en connexion avec les neocons et qui restent sur la ligne politique des années 2003-2008 (anti-russe, partisans des “révolutions de couleur” depuis longtemps complètement discrédités). On sait que cette opposition “mondaine”, type-“parti des salonards”, est très efficace auprès de certains dans l’administration Sarkozy, dont le base d’influence tient grand compte de ces groupes absolument postmodernistes. (Enfin, pour le cas envisagé, il y a aussi la possibilité jamais écartée du sérieux de cette nouvelle proposition de coopération avec la Corée du Sud.)
• Dans le cas du S-300, la partie est très sérieuse. Les insinuations sur une possible nième volte-face des Russes, cette fois en faveur de la possible livraison des systèmes S-300 à l’Iran, a tout à voir avec les interférences d’un pouvoir US incontrôlable, éclaté, qui ne cesse de contrecarrer la position officielle de l’administration Obama de bons rapports avec la Russie. Cette situation est extrêmement active dans le cas de l’Iran, alors que les Russes attendent une certaine discipline US vis-à-vis d’eux, depuis leur vote favorable aux sanctions à l’ONU. L’argument de l’“affaire des espions”, développé par Natowiscz pour expliquer cette nième volte-face russe, est autant un prétexte qu’une réalité, plus même un prétexte, sans doute. La chose fait partie du jeu de pressions russes sur les USA (et sur Israël) pour obtenir une position claire et les compensations US pour la modification de l’attitude russe (vote des sanctions à l'ONU).
Dans les deux cas, les arguments présentés peuvent être aussi bien de circonstance que réels. Il est très difficile de déterminer la part du vrai de celle de l’intoxication. Les Russes ont une “politique de communication” très spécifique. Ils disent beaucoup, dans tous les sens, favorables ou pas à la vente, dans ces affaires de ventes d’armes à très fort enjeu politique. Les informations sont nombreuses et très fractionnées, souvent contradictoires, souvent sans rapport entre elles, souvent sans un suivi précis qui permet d’avoir une idée nette. Cette profusion d’informations éclatées et sans confirmations ou démentis, et souvent très courtes et sans approfondissement, représente sans aucun doute une tactique délibérée, pour entretenir l’incertitude et la confusion sur les positions russes. Cela répond à l’incertitude et à la confusion ressenties du côté russe, de la part des interlocuteurs dans ces affaires très politiques. Les Russes ne craignent pas de perdre de leur crédibilité, car les enjeux politiques que tout le monde reconnaît dans ces cas précis justifie leur “indécision” réelle ou fabriquée.
Il s’agit moins de désinformation au sens strict et contrôlé de la pratique qu’une sorte de désordre savamment entretenu, où la profusion d’informations diverses et souvent contradictoires a remplacé la rétention d’informations du temps de l’URSS, où les diverses informations contradictoires sont délibérément conçues sans liens entre elles, également selon le fractionnement constaté à l’Ouest mais cette fois qui nous paraît plutôt volontaire. Cela permet au pouvoir russe de dégager sa responsabilité, de n’avoir pas à constamment réaffirmer une position officielle, donc d’entretenir cette même incertitude et cette même confusion. Les Russes jouent avec une certaine maîtrise, selon des méthodes spécifiquement russes, dans le grand jeu du système de communication dont l’effet recherché est beaucoup plus de renforcer constamment incertitude et confusion sur leur position, plutôt que de paraître exercer un contrôle strict sur l’information. C’est la façon russe de s’adapter aux règles confuses et exubérantes sur le nombre et la fréquence des informations du système de communication. Sur le terme, la méthode est efficace et pose des problèmes sérieux à leurs interlocuteurs dans l’enjeu de la bataille de la communication.
Mis en ligne le 19 juillet 2010 à 06H09