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4709 décembre 2009 — Le sommet de Copenhague sur la crise climatique étant ouvert, il s’agit d'en dire le moins possible à propos des débats byzantins qui le caractérisent. Il s’agit plutôt de profiter de cette occasion pour embrasser, une fois de plus, la question de la crise climatique dans sa réelle dimension.
Un élément récent qui s’est développé est un renforcement du scepticisme à l’égard de la thèse, ou plutôt de l'appréciation généralement admise des causes de la réalité et de la forme de cette réalité du réchauffement climatique. Le scepticisme est alimenté par le “scandale” prestement surnommé “Climategate”, dont diverses sources nous entretiennent. Différentes nouvelles, hypothèses, affirmations et dénonciations tournent autour de “Climategate”, y compris l’hypothèse d’une intervention des services de renseignement russes (voir The Independent, du 7 décembre 2009).
Nous ne saurions trop recommander la lecture de ce bref commentaire de Tom Engelhardt, en ouverture d’un texte de Bill McKibben («Why Copenhagen May Be a Disaster»), sur son site TomDispatch.com, le 6 décembre 2009. Il nous dit un peu de l’essentiel autour de cette affaire.
«Let me be blunt about what amazes me when it comes to global warming. In the U.S., it’s largely an issue for Democrats, “progressives,” liberals, the left, and I simply don’t get that. Never have. If the word “conservative” means anything, the key to it must be that word at its heart, “conserve”; that is, the keeping or not squandering of what already is, especially what’s most valuable.
»And for us humans, what’s better than our planet? It’s the only home we’ve got and – though I was one of those 1950s boys who read H.G. Wells and Isaac Asimov, as well as plenty of pulp sci-fi, and spent too much time dreaming about other planets and the stars – probably the only one we’ll ever have. For us, there is nowhere else. Wreck it and you wreck us.
»Don’t think for a minute that global warming will destroy planet Earth. It’s already made it through worse moments than ours, and worse climate conditions than industrial civilization has to offer. Planet Earth has no sense of time. Give it 10 million, 20 million, 100 million years, and it will reconstitute itself in some fashion and spin on, life included, until our sun gives out. But the way things are going, we may not do so well.
»The Soviet Union, that “evil empire,” fell after only 70 years, to everyone’s amazement. Barely the span of human life. If we – or at least our various civilizations – were to disappear in the coming century or so, after only a few thousand years on this planet, it would be no less short, no less amazing, no less unexpected. But it’s possible. That anyone doubts the existence of global warming as a threat to our existence seems no less amazing to me. That, at this crucial moment, on the eve of a gathering of the world’s nations in Copenhagen to try to pound out some kind of agreement for the abatement of greenhouse gases, opinion polls show Americans actually losing interest in global warming, or even in the belief that it’s happening at all, is depressing indeed. (Only 35% of Americans, according to a recent Pew poll, for example, think global warming is a “very serious problem,” a drop of nine points in six months.) To find “conservatives” obsessed over the fact that climate-change scientists turn out to be frustrated, careerist, even mean-spirited, and willing to simplify or fiddle with their complex figures to deal with opponents they consider dangerous idiots (“Climate-gate”) is simply to meet human nature, not a conspiracy of monumental proportions.
»The most recent information is clear enough. The world is changing, and not for the better…»
@PAYANT Le “Climategate” fait aujourd’hui les gorges chaudes des “anti-réchauffement climatique”, désignés très méchamment selon les normes sémantiques et virtualistes du système comme des “négationnistes”. Il dénonce le plus grand complot de tous les temps, sans doute pour briser la très belle civilisation qui marche si bien tous les jours et nous procure tant de satisfaction d’être. Engelhardt résume bien le propos en observant que “Climategate” montre qu’il y a chez les scientifiques suivant l’évolution de la crise climatique du côté de l’“interprétation officielle” (et encore faut-il savoir ce qu’il en est), mais surtout partisan d’une mobilisation maximale contre la crise, des gens qui emploient des procédés de manipulation, qui songent à leur carrière, qui font des coups fourrés, etc. – comme leurs adversaires ne se privent pas de faire, et bien plus qu’à leur tour puisqu’ils ont, eux, le soutien dissimulé et quasi-institutionnalisé à la fois des groupes pétroliers dont nous connaissons le palmarès et la grande rigueur intellectuelle et humanitaire. Tout cela n’a aucune signification pour la réalité de la crise climatique prise dans toute son ampleur eschatologique, avec ses implications directes et indirectes avec la crise du système, avec des conséquences directes et catastrophiques sur ce qu’il reste d’équilibre à ce pauvre monde. L’enjeu n’est pas la vertu du scientifique mais le sort commun du système, de la civilisation et “du reste”.
“Climategate” est une polémique humaine, trop humaine, à l’intérieur du système, qui ne concerne absolument pas les véritables dimensions de la crise du système, qui s’en désintéresse même comme d’une guigne, avec le soutien constant, parmi d’autres, du Times de Londres de Rupert Murdoch. Même si elle est eschatologique, la crise climatique traitée de cette façon, par le plus petit bout possible des us et coutumes de notre vanité satisfaite et hystérique, fait partie intégrante de la machinerie interne de la crise du système lorsqu’elle est ramenée à des querelles de clocher de la vanité de l’espèce, des prétentions moralisatrices sur l’objectivité de la science, des hystéries humaines sur le complot qui ne cesse de courir, pour ce qui est de l’ère chrétienne, depuis l’an 1 de notre ère et les manipulations et mystères du destin de Jésus-Christ; elle fait partie de cette machinerie interne de la crise, que l’origine de la question du dérèglement du climat soit décomptée à 90%, 55%, 20%, 5% ou à – 35% d’origine humaine. Elle a un côté de très grand débat, d’immense polémique excitée et hystérique sur le formidable problème du sexe des anges postmodernistes, mais nullement inspiré par des anges, alors que la chute menace et que l’orage immense gronde.
A côté des manipulations diverses et autres du mouvement, “Climategate” et tout ce qui va avec ne montrent qu’une chose très précisément: l’extraordinaire discrédit des autorités officielles. Il a suffi que les dirigeants politiques du monde entier s’éveillent à la crise climatique (automne 2006, rapport Stern) pour que le parti du “négationnisme” fasse tâche d’huile (dito, de pétrole). Certains attribuent le développement du “négationnisme” à la croyance de ses partisans dans le capitalisme intégral et le marché libre que les mesures pour la lutte contre la crise climatique menaceraient en partie; il y en a certainement, mais nous croyons que, pour l’immense majorité, ce développement répond d’abord à un rejet de la parole des dirigeants du système – autre legs du système – en même temps qu’à une défense malheureusement dérisoire contre l’angoisse évidente que suscitent les perspectives évidentes de la crise. (Ce “négationnisme” est aussi celui de la réalité, pratique inspirée par nos autorités politiques, qui l’ont développée pour leur compte et à tant d’autres propos comme un des beaux-arts.)
C’est très compréhensible, cette contestation du pouvoir établi, qui ne peut pas plus s’empêcher de respirer que s’empêcher de mentir. Il n’empêche que l’air qu’il respire est aussi celui que nous respirons et que, dans cette attaque précisément, les négationnistes qui laissent à penser qu’ils dénoncent le système qui les manipule, en fait protègent objectivement le système qui détruit notre univers – et c’est le même, d’ailleurs. Engelhardt a encore raison, qui dit aux “conservateurs” (US) qui forment l’essentiel des négationnistes: il y a “conserver” dans le mot “conservateur” et, par votre position, vous vous retrouvez objectivement au côté de ceux qui détruisent ce que votre engagement politique devrait vous conduire à protéger de toutes vos forces.
Copenhague vient là-dessus comme un énorme cheveu sur la soupe puisque, de toutes les façons, son résultat ne satisfera personne, ni les “négationnistes”, ni les partisans maximalistes de l’attaque contre la crise du réchauffement climatique. Copenhague fait aussi partie du domaine de la “polémique humaine à l’intérieur du système”, avec des dirigeants du monde entier qui sont pour l’essentiel des partisans à 100% du système qui nous détruit, qui viennent pour négocier leur participation à la lutte contre le réchauffement climatique en fonction de leurs prévisions économiques et de leurs intérêts politiques, voire de leurs échéances électoralistes. Cela nous en dit beaucoup sur les pratiques et la solidarité des forces de ce monde, alimente encore les polémiques politiques et autres mais cela ne peut en aucun cas être la cause d’une surprise quelconque qui nécessiterait une révision déchirante sur la réalité de la crise. Qu’est-ce que tout cela change à la réalité de la crise du monde?
Il serait bon, pour apprécier l’évaluation et l’échelle de l’importance des événements du monde, de parvenir à faire la différence entre l’accessoire et l’essentiel. L’accessoire, les débats sans fin sur la responsabilité des uns et des autres, sur la vertu des uns et des autres; l’essentiel, la crise.
Lorsque nous parlons à propos de la crise climatique, nous voulons parler d’une crise qui ne peut être réduite à ceci (réchauffement du climat) ou à cela (émission de CO2, et la faute à qui), avec les polémiques qui vont avec. Nous parlons d’un processus en constante accélération de la dévastation générale et systémique (c’est-à-dire, issue d’un système) de l’univers où nous vivons, tant climatique qu’environnemental, que démographique, que psychologique, culturel, politique et le reste; nous parlons d’un événement qui n’a pas de but ni de port, ni de sens, qui se développe à une allure en constante accélération et avec une force très grande, dont l’unique effet est la déstructuration dans le sens de la dégradation partout où le processus peut être poussé. Il s’agit de la Grande Crise de la déstructuration de notre univers dont l’un des effets est la destruction de notre environnement et de notre climat, parallèlement à la grande crise de la déstructuration de notre civilisation. Quels que soient les arguments, il nous semble grossièrement absurde de penser qu’il n’y ait pas un rapport absolument intime, jusqu’à la complète identité, entre ceci et cela; c’est un tribut naturel que notre esprit doit rendre à la puissance déchaînée qui est celle de notre civilisation, dont nous sommes si fiers.
Lorsque nous parlons d’une dimension eschatologique de la crise, nous voulons dire que cette crise porte sur des éléments dont l’évolution est hors de notre contrôle, d’une part; d’une crise du développement d’une civilisation dont le contrôle nous a totalement échappé, d’autre part. Double absence de contrôle, dimension eschatologique s’exprimant à un double propos.
Cette crise n’est ni accidentelle ni fortuite. Elle est l’enfant direct et logique d’un choix de civilisation que nous avons fait, en parfaite inconscience sur les modalités techniques de la chose, mais en parfaite conscience, ou qui aurait dû l’être, de cette pente fatale qui mène notre “deuxième civilisation occidentale”, qui est le choix de l’“idéal de puissance”. C’est le choix de la thermodynamique (voir Le choix du feu, d’Alain Gras), autant que la dynamique déstructurante du technologisme et des armements, bientôt renforcé par la communication, née des deux révolutions (l’américaine et la française), qui forment les piliers historiquement originels de cette “deuxième civilisation”. Son orientation déstructurante, sa culture de la tension, de la concurrence et de la production sans le moindre frein, nourrissent l’issue catastrophique à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. La crise climatique stricto sensu, appendice gigantesque de la dévastation des structures de notre univers, ou de la déstructuration du monde, est comme une gigantesque cerise qui écrase le gâteau infect, cette bouillie pour les chats qu’est devenue notre civilisation nihiliste.
Nous n’étonnerons personne parmi nos lecteurs fidèles et réguliers en soulignant que c’est là un des pans principaux de la thèse de notre livre La grâce de l’Histoire, dont nous vous parlons beaucoup et qui vous sera proposé très rapidement. La cohérence de la thèse nous conduit à refuser absolument de séparer la responsabilité humaine dans son esprit du réchauffement climatique, le réchauffement climatique de la crise climatique, la crise climatique de la crise de l’environnement, la crise de l’environnement de la crise de déstructuration de l’univers, la crise de la déstructuration de l’univers de la crise de la “deuxième civilisation occidentale”, la crise de la “deuxième civilisation occidentale” de la crise de notre “choix du feu” dans le sens le plus large, la crise de notre “choix du feu” de “la responsabilité humaine dans son esprit” (la boucle est bouclée) – tout cela, dans une chronologie rétrospective dont les éléments s’emboîtent comme dans une poupée russe à double sens mais selon une importance de la responsabilité grandissante où l’espèce humaine, et l’Occident plus généralement, sont absolument impliqués. Maintenant, s’il plaît à telle ou telle conscience de couper les cheveux en quatre et de décompter les e-mails comploteurs des scientifiques, libre à elle puisque la démocratie triomphe. On a les occupations qu’on veut et les urgences qu’on peut.
Si la lutte contre le réchauffement climatique peut contribuer à détruire certains éléments de ce système, comme elle y conduira nécessairement, on ne peut évidemment que la soutenir avec plus de force et sans la moindre illusion sur le sens de la chose. Si elle peut arriver à en faire s’interroger un peu plus d'un sur la validité du modèle d’économie de force qui a conduit à cette infection épouvantable qu’est devenue notre civilisation, on doit nécessairement la soutenir comme dans une bataille où l’essentiel est d’identifier l’ennemi principal sans se faire la moindre illusion sur ses alliés de circonstance ni même sur l’issue de la bataille… A côté de cela, il y a la vertu des rigoureux amateurs de science à qui on ne la fait pas, qui préfère une “vérité” dont ils sont persuadés d’être assurés et qui profite en attendant à Exxon et à BP, et à la poursuite du processus de destruction du monde. Il devrait aussi y avoir, pour eux, la nécessité de distinguer l’accessoire de l’essentiel. Si la vertu existe encore, ce qui est une affirmation risquée, c’est dans cette lucidité qu’elle se trouve et nulle part ailleurs.
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