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3926Après avoir lu le texte ci-dessous, l’esprit est partagé entre plusieurs stupéfactions d’horreur. Comment se peut-il que des centaines de millions, voire peut-être plus d’un, deux milliards et ainsi de suite de personnes sur cette étrange planète qui prétend tout savoir, puissent encore tenir les États-Unis d’Amérique et son ignoble progéniture qu'est l'américanisme, l’entité qui est la plus grande assassine et la plus épouvantable barbare de l’Histoire, y compris des horreurs “indicibles” du XXème siècle, pour un exemple de vertu et un modèle de civilisation ? Que vaut l’histoire, officielle ou même un peu indépendante mais pas trop, si elle passe sous silence comme elle le fait tel et tel événements abominables dont l’entité est la productrice, comme un Orque monstrueux ? Comment s’étonner encore une seconde que la Corée du Nord, toute ridicule et absurde puisse-t-elle nous paraître, soit ce qu’elle est, et qu’elle tente de toutes les façons de se constituer un arsenal nucléaire ?
Il s’agit de la campagne aérienne de bombardement stratégique des hordes américanistes contre la Corée du Nord de 1950-1953 avec son paroxysme en 1950-1951, qui est la plus meurtrière de l’histoire. Cette campagne, contre une population de 9,7 millions d’habitants fit 990.000 morts civils (estimation basse) ou 2 millions de morts (estimation LeMay, qui est le héros de cette sorte d’affaire). Les campagnes stratégiques aériennes contre l’Allemagne et le Japon firent respectivement (estimations hautes) 600.000 et 900.000 morts civils, contre des populations de 67 et 72 millions d’habitants respectivement. La massivité brutale de la campagne en Corée est mise en évidence par le fait que l'essentiel de ce résultat fut obtenu en quelques mois alors que les campagnes aériennes stratégiques contre les villes de l’adversaire durant la Deuxième Guerre mondiale durèrent respectivement deux ans (Allemagne) et un an (Japon).
Le 25 juin 1951, un an exactement après le commencement du conflit, le sénateur Stennis interrogeait au Congrès le Général O’Donnelly, commandant des forces de bombardement aérien de l’USAF en Extrême-Orient (« La Corée du Nord a été détruite, n’est-ce pas ? ») : « Oh oui... Je dirais que l’ensemble, presque toute la péninsule coréenne est juste un terrible amas de ruines. Tout est détruit. Il ne reste rien digne de ce nom qui soit encore debout... Juste avant que les Chinois n’arrivent, nous avions cessé les opérations. Il n’existait plus d’objectifs en Corée. »)
L’USAF utilisa la technique mise au point par la RAF en 1943 contre les villes allemandes, et perfectionnés par l'orfèvre, le Général Curtiss LeMay en 1944-1945 contre les villes japonaises : bombes explosives soufflantes pour détruire les édifices, suivies de bombes explosives, napalm, phosphore, etc., pour allumer des incendies gigantesques, terminées par des bombardements anti-personnels pour contrecarrer l’action des pompiers et des services sanitaires. LeMay, qui commandait le Strategic Air Command depuis 1948 (l’aviation en Corée étant dirigée par le Général Stratemayer) est l’esprit qui souffle sur l’incendie derrière cette offensive contre la Corée ; il estimait que, dans un conflit, tous les habitants d’une nation ennemie doivent être considérées comme des ennemis et tués comme doivent l'être tous les soldats ennemis, avec leur pays ravagé à mesure ; on pourrait peut-être lui reprocher d’avoir oublié les animaux, domestiques et sauvages ?
L’US Navy était plutôt opposée à ces bombardements-massacres, avec l’intérêt corporatiste de récupérer les missions stratégiques si l’USAF en était privée (“Révolte des Amiraux” de 1949, ou les nouveaux porte-avions de la Navy perdirent contre les gros B-36 du SAC). MacArthur refusa d’abord ce plan d’offensive aérienne stratégique puis, à partir de novembre 1950, alors que la Chine entrait dans le conflit, l’autorisa : « Brulez cette ville si vous le désirez, dit-il à Stratemayer. Non seulement cette ville, Strat, mais brulez et détruisez toutes ces autres villes que vous considérez comme d’une valeur militaire quelconque à l’ennemi, pour que cela leur serve de leçon. » Stratemayer exécuta l’ordre selon la nomenclature-LeMay (tuer des civils comme s’ils étaient des soldats, transformer l’ennemi en “terre brûlée” comme Sherman avait fait avec la Géorgie en 1864), tandis que MacArthur commençait à envisager de lancer l’une ou l’autre bombe atomique sur la Chine avant d’être limogé par Truman. Le président jugea l’addition (la BA) et le plat du jour (la Chine) un peu trop épicés.
Le texte ci-dessous donne des détails saisissants, venus d’archives et des quelques historiens qui ont examiné cette période, sur le paysage lunaire qu’était devenue la Corée du Nord, tandis que les habitants survivants vivaient “comme des taupes”, sous terre, dans des souterrains de fortune, d’énormes tranchées renforcées par du bois et recouvertes de vagues protections. Il est infiniment probable que personne dans l’administration Trump et autour n’a la moindre connaissance, ni le moindre intérêt pour ce que subit la Corée de Nord en 1950-1953, qui a laissé dans ce pays une trace durable dans la mémoire à l’encontre de cette barbarie sans exemple, tombée du ciel selon une doctrine de destruction totale, – The American Way of War, – à laquelle les chefs américanistes se sont le plus souvent conformés.
Dans cette époque d’orgie mémorielle et de repentance, le trou noir historique que constitue la dévastation de la Corée du Nord est l’un des cas les plus exceptionnels de suppression d’un événement de cette importance, sans la moindre difficulté dans la mesure où la Guerre de Corée n’a jamais intéressé le public ni vraiment le monde politique aux USA. Les seuls échos qu’on en ait eu viennent de Hollywood et portent sur l’infamie communiste et les troubles psychologiques des soldats US (le fameux “lavage de cerveau”, illustré par le film The Mandchurian Candidate, la solitude des soldats US rentrant de Corée dans Comme un torrent), sur l’héroïsme des pilotes US (Les ponts de Toko-Ri), voire sur l’héroïsme humanitaire (Les Ailes de l’Espérance). Des Nord-Coréens et des bombardements, pas un mot... Il faut donc insister sur ceci : il n’y eut besoin ni de censure, ni de contrainte, non pas pour évacuer les bombardements-massacres de la mémoire, mais simplement pour les empêcher d’y figurer. Cela ne nous intéressait pas, point final.
Même parmi les spécialistes, qui trouvent toutes les informations qu’ils veulent sur les bombardements stratégiques de la Deuxième Guerre mondiale, la guerre aérienne en Corée se concentre sur les engagements de combat aérien entre MiG-15 et Sabre et, d’une façon générale, sur le domaine tactique. L’affrontement MiG-Sabre est évidemment plus excitant que le spectacle des monotones chapelets de bombes déversés par les bombardiers US. En conséquence, les raids stratégiques (essentiellement des B-29 SuperFortress) ne sont jamais détaillés, et surtout pas dans leurs effets.
Comme le texte le met en évidence, aucune étude ne fut réalisée par l’USAF sur cette campagne aérienne stratégique contre la Corée du Nord, au contraire des deux campagnes de la Deuxième Guerre mondiale, qui furent l’objet d’études minutieuses, avec les effets sur l’économie, sur l’infrastructure, sur la population, avec des témoignages divers, etc. (Le United States Strategic Bombing Survey, ou USSBS, édita 208 volumes pour l’Europe et 108 pour le Japon et le Pacifique, – cette dernière étude tout comme les chiffres des pertes déjà signalées comptant celles causées par les deux bombes atomiques sur le Japon.) D’une certaine façon, on peut dire qu’aucun document analytique de cette forme ne fut réalisé non plus pour le Vietnam, notamment pour les bombardements stratégiques sur le Nord. (Les Pentagon Papers divulgués en 1971, est le même type d’étude que USSBS, mais portant sur l’aspect militaro-politique de l’engagement US entre 1945 et 1967, donc d’un sujet très différent de USSBS. Bien entendu, ces documents classified furent divulgués par Daniel Ellsberg, le premier “lanceurs d’alerte” de notre période.)
Ensuite, cette attitude de ne rien dire des pertes adverses, surtout civiles, après avoir abondamment disserté de l’écrasement autorisé des immondes, civils compris, pendant la Deuxième Guerre mondiale, devint systématique dans la communication US. Pour la guerre du Golfe, il a été signalé par des “sources internes” présent sur la scène du crime que le président Bush-père décida brusquement l’arrêt des opérations et la fin de la guerre en voyant, sur CNN qu’on avait branché sur un écran dans la Salle d’Ops’ de la Maison-Blanche, une retransmission d’une attaque très violente effectuée par des avions US contre cette route fameuse filant vers l'Irak, encombrée de convois mêlant civils et militaires fuyant le Koweït dans la déroute et le chaos les plus complets. La vision des pertes et des dégâts considérables occasionnés par ces attaques-massacres parut aussitôt au président extrêmement dommageable pour le statut et la réputation des USA : on peut faire et l’on fait, mais il ne faut surtout pas que l’on voir, encore moins que l’on regarde. Dès l’automne 2002, avant la deuxième attaque contre l’Irak, le Général Frank, qui commandait Central Command et les forces qui allaient être engagées, annonça que la politique officielle du Pentagone était désormais de ne plus effectuer le décompte des pertes civiles dans les conflits. C’est le régime qui est suivi aujourd’hui d’une façon systématique, aveuglant la vérité des pertes effrayantes subies par les populations des divers pays agressés par les USA, essentiellement toujours par voie aérienne.
Il y a une constante dans ce que nous nommions plus haut The American Way of War, qui est au reste le titre d’un classique de Russell F. Weigley paru en 1960, c’est cette volonté d’éradication totale de l'ennemi dont l’USAF est sans aucun doute la plus évidente représentante et la plus zélée exécutante, avec comme héros de la chose le singulier Général Curtiss LeMay, l’homme qui rêvait de renvoyer tous les pays que les USA attaquent à l’Âge de Pierre (“back to Stone Age”). Cette constante se décline selon deux lignes de référence : le rôle mythique et mystique décidément de l’aviation (laquelle manqua beaucoup au Général Sherman) et le suprémacisme américaniste (anglo-saxon).
• Le rôle de l’aviation est central, non seulement à cause des capacités opérationnelles de cette arme, mais également à cause de sa représentation mythique et de son envolée mystique. Bien des expressions, dont le sens est évidemment mystique montrent cette relation très spéciale que les USA ont avec l’aviation, – de “The Wild Blue Yonder” qui est une image allant jusqu’à signifier l’infini, a “Sky [Is] the Limit” qui marie étroitement l’accès au Ciel par l’aviation à l’image de Dieu, etc. Cette perception rencontre par conséquent l’image exceptionnelle de la Nation choisie par Dieu que l’américanisme se fait des USA, et dès lors l’aviation constitue une activité à part, hors des servitudes terrestres, comme elle l’est d’ailleurs opérationnellement par la rupture des liens avec la pesanteur, les contraintes terrestres, etc.
Dans ce contexte, l’arme aérienne, et particulièrement l’arme stratégique, est conçue comme une sorte de bras armé d’une punition divine dont les USA seraient le messager en un sens, comme on est le messager de Dieu après tout. Ainsi les bombardements prennent-ils presque un caractère divin... Cette idée se retrouve aussi chez les Britanniques, comme nous le notions dans La Grâce de l’Histoire à propos de bombardements du Bomber Command sur Hambourg :
« L’ex-trotskiste Christopher Hitchens, converti à ce bellicisme libéral occidental si spécifique à notre civilisation postmoderniste, qui a soutenu avec constance les entreprises du Pentagone et du système de l’américanisme à l’ombre de formules telles que “les bombardements humanitaires” (Vaclav Havel), expliqua avec une emphase presque théologique ce qu’il jugeait de profondément juste, dans le sens de la plus belle morale possible, dans les bombardements stratégiques de l’Allemagne : “Il y a quelque chose de glorieusement biblique et quelque chose d’affreusement utilitaire dans ce long débat entre les écoles divergentes d’historiens et de stratèges. Dans le Vieux Testament, Dieu envisage avec réticence de faire preuve d’indulgence pour les ‘villes de la Plaine’, à la condition qu’un certain nombre d’hommes bons soient identifiés comme habitant dans ces villes. Le nom de code de la RAF pour la première campagne de raids incendiaire massif sur Hambourg fut “Opération Gomorrhe”. Il s’agissait d’une ville qui avait [pourtant] toujours refusé de donner la majorité au parti nazi. […] Alors, pour ce cas, et tout athée que je sois, je dois invoquer quelque chose qui se rapproche de la référence biblique. Il était important non seulement que le système nazi fût vaincu, mais [que l’Allemagne nazie] fût totalement détruite et détruite sans le moindre sentiment de retenue. Les Nazis avaient affirmé qu’ils étaient invincibles et invulnérables : très bien, dans ce cas ils devaient connaître la plus basse des humiliations. Plus de retenue ni d’illusion, comme avec la droite allemande d’après 1918 et son coup de Jarnac. Voilà une considération contre laquelle il vous est impossible d’argumenter.” »
• Le May n’était pas un intellectuel trotskisto-biblique comme Hitchens, mais sans doute n’aurait-il pas démenti cette conception biblique des bombardements s’il l’avait connue. On déduit donc aisément que cette stratégie, cette conception, ce mysticisme et ce symbolisme, etc., sont fortement liés au sentiment de suprémacisme qui n’est pas celui des blancs comme l’on dit en général dans nos temps de si audacieuse pensée, qui n’a aucun rapport avec le colonialisme traditionnel ni même l’esclavage “classique”, – bien des théoriciens progressistes-sociétaux devraient revoir leurs belles théories et des polémistes sociétaux-progressistes leur verve-tendance, – mais plutôt celui des Anglo-Saxons et des américanistes particulièrement, qui ont organisé leur suprémacisme en des actes bureaucratiques globaux ordonnant l’opérationnalisation essentiellement de l’outil aérien qui est chargé de faire tabula rasa. Ce n’est ni une conquête, ni une annexion, ni une colonisation, c’est tabula rasa, où la terre écorchée vive (“scorched”) où rien ne repousse sinon les produits efficients de l’américanisation lorsque l’heure sera venue... Et l’aviation à cet égard, ou l’USAF, ou le SAC de LeMay, c’est l’instrument de ce suprémacisme, ou si l’on veut “la main de Dieu” qui doit punir tous ceux qui ont failli, les “sauvages”, – qu’ils soient Japonais, Allemands, Nord-Coréens, Vietnamiens, Irakiens, Afghans, et même Français puisqu’on y est (allez demander aux Normands et notamment aux habitants de la ville de Caen ce qu’ils pensent des carpet bombings de l’USAAF pour leur “libération”, à l’été 1944.)
... C’est bien le plus stupide de tous les commentateurs américanistes, Thomas Friedman, le plus gros, le plus flasque, le plus lourd, le plus vain, qui écrivit que les avions F-15 de McDonnell Douglas (depuis racheté par Boeing, le gros Friedman a du mal à suivre) servait finalement à faire le ménage pour que McDonald puisse installer ses boutiques avenantes, – “McDonnell-McDonald, vous avez compris l’astuce ?”...
« Certains commentateurs le sont au vitriol, d’autres à la pointe mouchetée. Friedman, lui, serait plutôt un commentateur-bulldozer. C’est lui qui, en avril 1999, alors que l’US Air Force pilonnait Belgrade, notamment avec des McDonnell Douglas (maintenant Boeing) F-15E Strike Eagle, écrivait que les avions de combat McDonnell servaient (avec leurs bombes) à faire la promotion de l’entreprise civilisatrice et postmoderniste des restaurants McDonald (“McDo”). McDonnell-McDonald, — vous avez compris l’astuce ? Il n’empêche, le bulldozer a parfois du bon quand la chose à traiter a la consistance et le volume des pensées grossières et des images qui pèsent des tonnes. »
Cela écrit, voici le texte de Ted Nace sur CounterPunch, le 8 décembre 2017, traduit par les soins aimables et compétents du Sakerfrancophone. Le titre est de dedefensa.org.
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Alors que le monde voit de plus en plus les tensions et la rhétorique belliqueuse entre les États-Unis et la Corée du Nord s’accroîtrent, l'un des aspects les plus remarquables de la situation est l'absence de reconnaissance publique pour la raison profonde des craintes nord-coréennes. L'ambassadrice des États-Unis à l'ONU, Nikki Haley, a qualifié d'« état paranoïde » l'état de peur des Nord-Coréns qui est la conséquence de l'horrible campagne de bombardements incendiaires menée par l'armée de l'air américaine pendant la guerre de Corée et le bilan sans précédent de ces actes.
Même si tous les faits ne seront jamais connus, les preuves disponibles indiquent que les bombardements incendiaires des villes et des villages nord-coréens ont causé plus de morts civiles que toute autre campagne de bombardements de l'histoire.
L'historien Bruce Cumings décrit cette campagne comme « probablement l'un des pires épisodes de violence américaine, sans retenue, contre un autre peuple, mais c'est certainement celui que les Américains connaissent le moins ».
La campagne, menée de 1950 à 1953, a tué 2 millions de Nord-Coréens, selon le général Curtis LeMay, chef du Strategic Air Command et organisateur du bombardement incendiaire de Tokyo et d'autres villes japonaises. En 1984, LeMay a déclaré à l'Office of Air Force History que les bombardements de la Corée du Nord avaient « tué 20% de la population ».
D'autres sources citent un nombre légèrement inférieur. Selon un ensemble de données élaboré par des chercheurs du Centre pour l'étude de la guerre civile (CSCW) et l'Institut international de recherche sur la paix à Oslo (PRIO), la « meilleure estimation » des décès civils en Corée du Nord est de 995 000 personnes, avec une estimation basse de 645 000 et une estimation haute de 1,5 million.
Bien qu’inférieure de moitié à l'estimation de LeMay, celle de CSCW / PRIO de 995 000 morts dépasse toujours le nombre de victimes civiles de toute autre campagne de bombardements, y compris les bombardements alliés des villes allemandes durant la Seconde Guerre mondiale, qui ont coûté entre 400 000 et 600 000 vies humaines ; les bombes incendiaires et les bombardements nucléaires sur les villes japonaises, qui ont causé entre 330 000 et 900 000 morts ; et les bombardements subis par l'Indochine de 1964 à 1973, qui ont fait entre 121 000 et 361 000 morts dans l'ensemble au cours des opérations Rolling Thunder, Linebacker et Linebacker II (Vietnam) ; et enfin les opérations Menu et Freedom Deal (Cambodge), et l'operation Barrel Roll (Laos).
Le lourd bilan des bombardements sur la Corée du Nord est particulièrement notable compte tenu de la population relativement modeste du pays : seulement 9,7 millions de personnes en 1950. En comparaison, il y avait, en 1945, 65 millions de personnes en Allemagne et 72 millions au Japon.
Les attaques de l'US Air Force contre la Corée du Nord ont utilisé les tactiques de bombes incendiaires développées lors des bombardements de l'Europe et du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale : explosifs pour détruire les bâtiments, napalm et autres produits pour démarrer les incendies et empêcher les équipes de pompiers d'éteindre les flammes.
L'utilisation de ces tactiques n'était pas gagnée d'avance. Selon les politiques américaines en vigueur au début de la guerre de Corée, les bombes incendiaires dirigées contre les populations civiles étaient interdites. Un an plus tôt, en 1949, une série d'amiraux de la marine américaine avait condamné de telles tactiques dans un témoignage devant les instances du Congrès. Au cours de cette « révolte des amiraux », la Marine avait critiqué ses collègues de l'armée de l'air, affirmant que les attaques menées contre les populations civiles étaient contreproductives d'un point de vue militaire et violaient les normes morales universelles.
Arrivées à un moment où les tribunaux de Nuremberg ont sensibilisé la population aux crimes de guerre, les critiques formulées par les amiraux de la Marine ont trouvé une oreille favorable auprès de l'opinion publique. Par conséquent, attaquer les populations civiles était interdit par la politique américaine au début de la guerre de Corée. Lorsque le général de l'Armée de l'Air George E. Stratemeyer a demandé la permission d'utiliser les mêmes méthodes de bombes incendiaires, sur cinq villes nord-coréennes, que celles qui « ont mis le Japon à genoux » le général Douglas MacArthur a rejeté cette requête en invoquant une « politique générale ».
Cinq mois après le début de la guerre, le général MacArthur changea de position et accepta la demande du général Stratemeyer, le 3 novembre 1950, d'incendier la ville nord-coréenne de Kanggye et plusieurs autres villes : « Brûlez si vous le désirez. Et pas seulement ça, Strat, mais brûlez et détruisez, comme une leçon, l'une ou l'autre de ces villes que vous considérez comme ayant une valeur militaire pour l'ennemi. » Le même soir, le chef d'état-major de MacArthur a déclaré à Stratemeyer que le bombardement incendiaire de Sinuiju avait également été approuvé. Dans son journal, Stratemeyer a résumé les instructions comme suit : « Chaque installation, équipement et village en Corée du Nord devient maintenant une cible militaire et tactique. » Stratemeyer a envoyé l'ordre à la Fifth Air Force et au Bomber Command de « détruire tous les moyens de communication et toutes les installations, usines, villes et villages ».
Alors que l'Armée de l'Air était franche dans ses propres communications internes sur la nature de la campagne de bombardements y compris des cartes indiquant le pourcentage exact de destruction par le feu dans chaque ville – les communications à la presse décrivaient la campagne de bombardements comme étant uniquement dirigée contre « les concentrations de troupes ennemies, les entrepôts d'approvisionnement, les usines de guerre et les lignes de communication ».
Les ordres donnés à la Fifth Air Force étaient plus explicites : « Les aéronefs sous le contrôle de la Fifth Air Force détruiront toutes les autres cibles, y compris tous les bâtiments susceptibles d'être utilisés comme abris. »
Moins de trois semaines après l'attaque initiale de Kanggye, dix villes ont été incendiées, dont Ch'osan (85%) ; Hoeryong (90%) ; Huich'on (75%) ; Kanggye (75%) ; Kointong (90%) ; Manp'ochin (95%) ; Namsi (90%) ; Sakchu (75%) ; Sinuichu (60%) et Uichu (20%).
Le 17 novembre 1950, le général MacArthur a déclaré à John J.Muccio, ambassadeur des États-Unis en Corée : « Malheureusement, cette région deviendra un désert. » Par « cette région » MacArthur désignait toute la zone entre « nos positions actuelles et la frontière ».
Alors que l'Armée de l'air continuait à brûler les villes, elle gardait une trace attentive du niveau de destruction qui en résultait :
* Anju – 15%
* Chinnampo (Namp'o) – 80%
* Chongju (Chŏngju) – 60%
* Haeju – 75%
* Hamhung (Hamhŭng) – 80%
* Hungnam ( Hŭngnam) – 85%
* Hwangju (Comté de Hwangju) – 97%
* Kanggye – 60% (réduction par rapport à l'estimation précédente de 75%)
* Kunu-ri (Kunu-dong) – 100%
* Kyomipo (Songnim) – 80%
* Musan – 5%
* Najin (Rashin) – 5%
* Pyongyang – 75%
* Sariwon (Sariwŏn) – 95%
* Sinanju – 100%
* Sinuiju – 50%
* Songjin (Kimchaek) – 50%
* Sunan (Sunan-guyok) – 90%
* Unggi (Comté de Sonbong) – 5%
* Wonsan (Wŏnsan) – 80%
En mai 1951, une équipe internationale d'enquête a déclaré : « Pendant toute la durée de leur voyage, les membres n'ont pas vu une ville qui avait été épargnée, et il y avait très peu de villages non endommagés. »
Le 25 juin 1951, le général O'Donnell, commandant du Bomber Command de l'armée de l'air en Extrême-Orient, a témoigné en réponse à une question du sénateur Stennis :
– ... la Corée du Nord a été pratiquement détruite, n'est-ce pas ?
– Oh oui... Je dirais que l’ensemble, presque toute la péninsule coréenne est juste un terrible amas de ruines. Tout est détruit. Il ne reste rien digne de ce nom qui soit encore debout... Juste avant que les Chinois n’arrivent, nous avions cessé les opérations. Il n’existait plus d’objectifs en Corée.
En août 1951, le correspondant de guerre Tibor Meray déclara qu'il avait été témoin « d'une dévastation complète entre le fleuve Yalu et la capitale ». Il déclara qu'il n'y avait « plus de villes en Corée du Nord. J'ai l'impression que je voyage sur la lune parce que je n'ai vu que de la dévastation. Chaque ville était un ensemble de cheminées. »
Plusieurs facteurs étaient combinés pour augmenter les pertes humaines dans les attaques de bombes incendiaires. Comme on l'avait appris pendant la Seconde Guerre mondiale, les attaques incendiaires pouvaient dévaster les villes à une vitesse incroyable : l'attaque à la bombe incendiaire de la Royal Air Force à Würzburg, en Allemagne, durant les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale, n'avait duré que 20 minutes, avec des températures estimées à 1500 – 2000 degrés-centigrades.
Un autre facteur contribuant à la mortalité des attaques a été la sévérité de l'hiver en Corée du Nord. À Pyongyang, la température moyenne basse en janvier est de -13 degrés. Après le bombardement le plus sévère, qui a eu lieu en novembre 1950, ceux qui ont échappé à la mort immédiate par le feu ont été exposés à un risque létal par hypothermie dans les jours et les mois qui ont suivi. Les survivants ont créé des abris de fortune dans des canyons, des grottes ou des caves abandonnées. En mai 1951, une délégation de la Fédération démocratique internationale des femmes (WIDF), en visite dans la ville bombardée de Sinuiju, a déclaré :
« La grande majorité des habitants vit dans des abris en terre soutenus par du bois récupéré. Certains de ces abris ont des toits faits de tuiles et de bois, provenant des bâtiments détruits. D'autres vivent dans des caves qui sont restées après le bombardement et d'autres dans des tentes couvertes de chaume avec des charpentes de bâtiments détruits et dans des huttes faites de briques et de gravats non maçonnés. »
À Pyongyang, la délégation a décrit une famille de cinq membres, y compris un enfant âgé de huit mois, vivant dans un espace souterrain mesurant deux mètres carrés auquel on ne pouvait accéder qu'en rampant dans un tunnel de trois mètres.
Un troisième facteur mortel était l'utilisation intensive du napalm. Développée à l'Université de Harvard en 1942, la substance collante et inflammable a été utilisée pour la première fois pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle est devenue une arme majeure pendant la guerre de Corée, durant laquelle 32 557 tonnes ont été utilisées, selon une logique que l'historien Bruce Cumings a caractérisée ainsi : « Ce sont des sauvages, ce qui nous donne le droit de déverser le napalm sur des innocents. » Longtemps après la fin de la guerre, Cumings décrit sa rencontre avec un vieux survivant :
« Au coin d'une rue se tenait un homme (je pense que c'était un homme ou une femme aux larges épaules) qui avait une croûte violette particulière sur chaque partie visible de sa peau – épaisse sur ses mains, mince sur ses bras, couvrant entièrement sa tête et son visage. Il était chauve, il n'avait ni oreilles ni lèvres, et ses yeux, sans cils, étaient d'un blanc grisâtre, sans pupilles... Sa croûte violacée résultait d'une aspersion de napalm, après quoi le corps de la victime non traité devait, en quelque sorte, se guérir lui-même. »
Au cours des négociations d'armistice à la fin des combats, les commandants américains n'avaient plus de villes à cibler. Afin de faire pression sur les négociations, ils ont envoyé les bombardiers sur les grands barrages coréens. Comme rapporté par le New York Times, l'inondation causée par la destruction d'un barrage a « nettoyé » quarante-cinq kilomètres de vallée et détruit des milliers d'hectares de riz nouvellement plantés.
Dans la foulée des campagnes contre l'Allemagne et le Japon, après 1945, un groupe de recherche du Pentagone composé de 1 000 membres a effectué une évaluation exhaustive des bombardements stratégiques, connue sous le nom de « United States Strategic Bombing Survey ». Cette enquête a publié 208 volumes pour l'Europe et 108 volumes pour le Japon et le Pacifique, contenant le décompte des victimes, des entretiens avec des survivants et des enquêtes économiques. Ces rapports, industrie par industrie, étaient si détaillés que General Motors a utilisé les résultats pour poursuivre, avec succès, le gouvernement américain pour 32 millions de dollars de dommages à ses usines allemandes.
Après la guerre de Corée, aucune enquête sur les bombardements n'a été faite, à part des cartes internes montrant les destructions ville par ville. Ces cartes ont été gardées secrètes pendant vingt ans. Au moment où les cartes ont été discrètement déclassifiées en 1973, l'intérêt de l'Amérique pour la guerre de Corée avait disparu depuis longtemps. C'est seulement au cours des dernières années que la vue d'ensemble a émergé, grâce à des études d'historiens tels que Taewoo Kim du Korea Institute for Defense Analyses, Conrad Crane de l'U.S. Military Academy et Su-kyoung Hwang de l'Université de Pennsylvanie.
En Corée du Nord, la mémoire est toujours vivante. Selon l'historien Bruce Cumings, « c'est le premier sujet que mon guide avait abordé avec moi. » Cumings écrit :
« La mécanique déchaînée des bombardements incendiaires a sévi dans le Nord pendant trois ans, produisant un peuple de taupes, survivant dans le désert, qui a appris à aimer l'abri des grottes, des montagnes, des tunnels et des redoutes, un monde souterrain qui a servi de base à la reconstruction du pays et au souvenir d'une haine féroce dans les rangs de la population. »
À ce jour, les bombardements incendiaires des cités nord-coréennes, des villes et des villages restent pratiquement inconnus du grand public et ne sont pas pris en compte dans les débats médiatiques sur la crise, en dépit de la pertinence évidente, pour la Corée du Nord, de poursuivre le développement d'une dissuasion nucléaire. Pourtant, à défaut de connaître et de confronter ces faits, le public américain ne pourra pas commencer à comprendre l'angoisse qui motive fondamentalement les attitudes et les actions nord-coréennes.