La thèse de Kaletsky

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L’analyse du congrès travailliste que fait Anatole Kaletsky, commentateur du Times que nous avons déjà cité, est surprenante — d’abord parce qu’elle est destinée à surprendre. Kaletsky ne s’en cache pas (aujourd’hui dans le Times), il fait une analyse très différente, et volontairement différente de ses collègues analystes et journalistes :

«In saying this, I know that I am breaking ranks with my journalistic colleagues, who will justly dismiss me as “outside the loop”, unversed in the lobby system, lacking in deep contacts or simply uninformed. However, I feel confident that I have got the real story, while most of the headlines have missed it: the Brown-Blair feud is effectively over, the Labour Party has secured the “stable and orderly transition” it longed for, and the “nervous breakdown” of three weeks ago was actually a healthy moment of catharsis that has improved Labour’s chances of staying in power.»

Que dit Kaletsky ? En gros, que le Labour a connu sa catharsis au début du mois de septembre, au plus fort de la querelle Blair-Brown, qu’il est ainsi allé “au bord de l’abîme” et qu’il a reculé («Labour looked into the abyss and has drawn back»). Après ce moment terrible, Blair et Brown se sont raccommodés vite fait, sont tombés d’accord : Blair aura ses quelques mois pour peaufiner son départ (toujours la même incroyable futilité, quant à ce que nous en jugeons) et, accessoirement, se payer le sémillant leader conservateur David Cameron ; Brown préparera la succession, qu’il prendra en charge quelque part au printemps prochain. L’unité est refaite. Tout le monde a applaudi Blair, dans cette furieuse et surréaliste (toujours selon notre goût) «standing ovation». Réconciliation certifiée, “tout va très bien madame la marquise”. Kaletsky promet un Labour renaissant de ses cendres et de ses chamailleries et l’emportant aux prochaines élections.

Voilà la thèse de Kaletsky. Le chroniqueur ne peut s’empêcher d’une extrême admiration pour Tony Blair («As Tony Blair leaves public life, he deserves much of the praise he enjoyed this week. Britain is more prosperous, more stable, more contented and more respected internationally than it was ten years ago»). Nous avons une peine extrême à le suivre sur ce terrain enchanté de la gloire de Tony Blair, notamment quant à la réelle prospérité du Royaume-Uni ou au respect international pour ce pays, qui est repoussé sans ménagement au profit de la France lorsqu’il prétend jouer un rôle d’arbitre dans une crise majeure comme celle du Liban en juillet-août.

Par contre, le plus grand intérêt de cette chronique est le paragraphe consacré à l’avenir. Quelle que soit la réalité du psychodrame de Manchester, où s’est tenu le Congrès du Labour, on voit ceci qui est essentiel : la politique d’alignement britannique sur les USA est un des grands problèmes qui restent aujourd’hui irrésolus.

«The real problem for Labour in the post-Blair era is a lack of ideas. This ideas deficit, however, is equally profound on the Tory side. In fact the whole British Establishment — not just Labour and Tories, but also the Liberals and most of the media — are in denial about the real challenges for the country in the decade ahead. The toughest of these challenges are not globalisation, climate change and security, since everyone knows what to do about them, even if they are not doing it. The real challenges are in health, education and foreign policy. The cost of health and education will rise so rapidly in the decades ahead that no government will be able to finance them adequately through taxes. US foreign policy is now so dangerous that automatic support for Washington can no longer command public acceptance. Yet discussion of serious reforms in health, education or foreign policy are effectively taboo.»

Alors, bien sûr, d’accord. Si la question des relations avec les USA qu’il faudrait changer, comme le dit Kaletsky depuis longtemps, est effectivement un verrou de l’avenir pour les Britanniques, c’est un verrou absolument fondamental, et c’est bien à Tony Blair qu’on le doit, car c’est Tony Blair qui l’a serré, et serré, et serré à mort comme il ne fut jamais auparavant. Dans ce cas, notre réserve pour l’enthousiasme pro-blairien de Kaletsky est plus forte que jamais, à mesure de notre approbation pour sa prévision selon laquelle la question des rapports USA-UK est aujourd’hui absolument fondamentale, totalement irrésolue et complètement taboue. Elle est pourtant si pressante qu’on ne pourra éviter de l’aborder, — ce que Kaletsky reconnaissait par ailleurs, dans une chronique précédente.


Mis en ligne le 28 septembre 2006 à 15H23