La thèse de la Chine, “miroir” de la puissance US

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Il y a, depuis le 18 janvier, un article qui circule largement sur les réseaux d’information de la véritable puissance de la communication d’aujourd’hui, qui est Internet. Il s’agit de l’article de Rodger Baker, de Stratfor.com, que nous reprenons sur ce site le 20 janvier 2011, sur Ouverture libre. On trouve cet article, bien entendu en lecture libre, le 18 janvier 2011 sur Stratfor.com ; le 19 janvier 2011, sur China Military Power Mashup ; le 20 janvier 2011 sur Atimes.com.

Ce sont des exemples parmi d’autres. L’analyse de Baker sera très largement diffusée et lue. Nous la tenons comme un des textes qui reflètent, tous sujets confondus, la plus grande proximité entre les vues de Stratfor.com et de la DIA du Pentagone, et, en général, de toute la communauté d’évaluation et de renseignement du Pentagone. (Les liens de Stratfor.com et la DIA, certainement du point de vue de l’état d’esprit pour être courtois, sont connus et archi-connus.)

Au départ de cette spéculation, un événement lors de la visite de Gates en Chine, l’annonce du premier vol de l’avion à technologie furtive chinois J-20… Il s’agit de la réaction du président Hu à une question de Gates sur cet événement, et une spéculation aussitôt apparue du côté US concernant les relations de Hu (le pouvoir civil chinois) et les militaires chinois ; la spéculation fut si rapidement élaborée qu’on l’aurait crue préparée à l’avance, n’attendant qu’un événement pour en justifier la diffusion… Ceci, dans un texte de China Military News du 17 janvier 2011, repris de Foreign Policy, sous le titre «Hu's Really in Control in China?», de Drew Thompson : «However, China's assertive tone and confrontational approach toward neighbors and the United States over the past year raises questions about China's intent. Shortly after the J-20 took its first test flight in front of spectators lining the periphery of the airfield, Gates reportedly asked Hu about the fighter plane, only to be met with blank stares and confusion from both civilian and military officials in the room. Immediately after the meeting, speculation ran rampant that Hu had been unaware of the test flight.»

Notre commentaire

@PAYANT Ce texte de Stratfor.com que nous citons et reproduisons est important, notamment par son contenu certes, mais aussi et surtout selon notre point de vue, par son caractère que nous qualifierions, selon notre propre jugement, de “semi-officiel”. Il s’agit effectivement d’une évaluation de la position des militaires chinois dans le pouvoir en Chine qui correspond non seulement aux analyses du Pentagone, mais aux intérêts du Pentagone, – lesquels jouent évidemment un grand rôle dans l’orientation des analyses US dans ce domaine. Dans cette occurrence, le caractère “privé” ou “indépendant” (les guillemets ne manquent pas) de Stratfor.com permet de “blanchir” l’analyse, comme on fait avec l’argent, pour lui donner un vernis d’objectivité.

Nous ne discuterons certainement pas du fond de l’analyse qui nous est donnée, d’un pouvoir militaire chinois qui se renforce et qui acquiert un poids et une autonomie de décision de plus en plus grands. C’est pure spéculation de la part des sources US, avec tous les caractères de la qualité souvent variable des informations, de la subjectivité surréaliste propre à la psychologie de l’américanisme, avec le caractère de l’inculpabilité, de la démarche constamment centripète de toute analyse bureaucratique (toujours tenant compte en priorité des nécessités et des exigences de la lutte pour le pouvoir à Washington), enfin des intérêts du Pentagone et du Complexe… Cela fait beaucoup trop de “si” pour accorder une importance excessive à cette analyse qui se voudrait très large et indicative de tendances stratégiques fondamentales à partir d’une vision américaniste des rapports entre les militaires et le pouvoir civil en Chine. C’est là, nous semble-t-il, dans le fait de la “vision américaniste”, le point à la fois le plus significatif et le plus important de cette analyse.

Les analystes américanistes observent la situation chinoise à la lumière de deux facteurs essentiels de propagande américaniste, c'est-à-dire du virtualisme américaniste (quoi qu’il en soit de la réalité, ces analystes acceptent eux-mêmes comme vraies les données virtualistes)  : 1) la Chine n’est pas une démocratie (en plus de son passé communiste !), elle ne peut donc fonctionner que comme une dictature telles que celles que les USA sont habitués à manipuler ; 2) la Chine est néanmoins, mais surtout, une très grande puissance, concurrençant directement les USA, et donc son système de gouvernement, sa structure même ne peuvent être qu’un reflet des équivalents US car rien ne peut dépasser les USA qui n’ait quelque chose des USA… Moyennant quoi, les analystes américanistes attribuent aux militaires chinois une position de force en raison de la brutalité dominatrice inhérente à l’establishment dans une dictature comme celles qu’ils identifient, et, d’autre part et surtout, une position en cours d’évolution vers équivalence de celle l’establishment militariste US dans l’équation du pouvoir à Washington, faite de forces concurrentes sans aucune transcendance souveraine, ou régalienne, pour imposer une hiérarchie et une autorité. Le résultat est une tendance à observer comme un fait objectif, et à envisager comme un fait probable, une position de quasi prépondérance des militaires chinois au sein de “l’équation” du pouvoir chinois. Il s’agit d’une projection “en miroir”, sur la position chinoise, de la situation et de la position de l’establishment militaire US à Washington. L’analogie va jusqu’à insister sur le déclin de l’économie chinoise, ou “la fin du ‘miracle économique’ chinois”, qui élargit l’équivalence à celle de la situation de tout le pouvoir aux USA même, donnant encore plus, par valeurs relatives, une position de puissance aux militaires tel que la perçoivent le Pentagone et ses forces associées (dont le schéma de la situation US est celui d’une puissance en déclin économique qui ne maintient son statut que par la puissance militaire).

L’analyse générale de la puissance militaire chinoise et de son statut au sein du pouvoir chinois ne tient aucun compte des valeurs de souveraineté et de hiérarchie propres aux grandes nations avec une dimension régalienne. Lorsque des militaires jouent un rôle dans la Chine moderne, c’est souvent dans les instances politiques elles-mêmes, c’est-à-dire sous le couvert de la légitimité, – même la légitimité incertaine du régime communiste (rôle du maréchal Lin Biao dans les années 1960 jusqu’à sa mort en 1971). Au contraire, l’analyse de Stratfor.com semble dupliquer une position que les militaires US ont de plus en plus conscience d’occuper, qui est une position d’influence majeure sur le pouvoir civil et politique sans avoir à sortir de leurs structures, mais en tant que tels en général (le pouvoir politique à l’intérieur du Système que donnent aux militaires leur poids de bureaucratie et d'influences diverses, ainsi que leur rôle dans la politique extérieure). Il nous apparaît assez probable que l’une des tendances principales des militaires US et du système du Complexe militaroi-industriel sera de plus en plus de chercher des interlocuteurs militaires du côté chinois, comme ils firent pendant certaines périodes avec les militaires soviétiques, de façon à tenter de renforcer mutuellement les pouvoirs respectifs des deux establishment militaires dans leurs environnements respectifs. Il n’est nullement assuré que les militaires chinois veuillent et même puissent faire cela ; la tendance rejoint la même erreur d’analyse pour ce qui concerne les pouvoirs civils, faite il y a deux ans, à propos du mythique et fort bref projet de G-2


Mis en ligne le 20 janvier 2011 à 12H16