La torture, 2008 et le destin de John McCain

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La torture, 2008 et le destin de John McCain


16 décembre 2005 — Nous ne devons pas cacher les surprises qui continuent à défiler. C’en est une de voir l’administration GW Bush céder face au sénateur John McCain (républicain, mais qu’importent les étiquettes désormais) et à son amendement contre la torture. L’affaire avait été lancée début octobre, d’une façon très surprenante. Tout a été fait pour l’étouffer et l’enliser. Rien n’y a fait.

La Maison Blanche a annoncé qu’elle retirait son opposition à l’amendement McCain : « The White House bowed to international and congressional pressure yesterday and abandoned its opposition to Senate legislation prohibiting the use of cruel, inhuman or degrading interrogation methods of detainees in US custody around the world.

» President Bush had threatened to veto the legislation, proposed by Senator John McCain, on the grounds that it tied his hands in the “war on terror” but the White House agreed to accept the bill after an overwhelming majority in the Republican-dominated House of Representatives backed the McCain amendment on Wednesday night.

» “We've sent a message to the world that the United States is not like the terrorists,” Senator McCain said, sitting next to the president in the Oval Office yesterday. “This will help us enormously in winning the hearts and minds of the people throughout the world in winning the war on terror.”

» Mr Bush said the agreement will “make it clear to the world that this government does not torture and that we adhere to the international convention of torture, whether it be here at home or abroad”. »

L’événement aujourd’hui (mi-décembre) n’a plus la même signification que celle qu’on pouvait envisager lorsque (au début octobre) ses prémisses furent dévoilées. La situation s’est notablement compliquée et aggravée.

Ci-après, nous tentons de détailler les enseignements et conséquences de la nouvelle situation.

• L’administration GW a définitivement perdu le contrôle qu’elle exerçait sur le Congrès depuis le 11 septembre 2001. On savait qu’elle était terriblement affaiblie par les divers avatars rencontrés depuis 2003 et l’invasion de l’Irak. On sait maintenant qu’elle évolue vers l’impuissance, notamment par rapport au Congrè. C’est beaucoup plus grave.

• La conséquence s’apparente toujours au modèle Nixon-Watergate sur la forme et les agissements. L’administration, si elle veut continuer à agir, va devoir le faire d’une façon de plus en plus illégale (elle en faisait déjà beaucoup dans ce domaine) alors qu’elle n’a plus l’autorité pour imposer “son” illégalité. La conséquence sera une multiplication des tensions, des heurts, des scandales potentiels, avec une pression encore accrue sur la politique. A partir de la situation actuelle déjà fournie dans ces différents domaines, on tendrait alors vers le chaos.

• Le Congrès a remporté une victoire mais c’est une victoire à la Pyrrhus. On sait qu’en deux mois, justement depuis octobre et l’inculpation du leader républicain à la Chambre DeLay, ce même Congrès (la Chambre surtout) se trouve de plus en plus embourbé dans divers scandales de corruption qui tendent à le paralyser. De façon indirecte, on pourrait penser que la victoire de McCain est en partie une conséquence de cette situation. Le vote massif de la Chambre en faveur de son amendement, au nom d’arguments humanitaires qui ont bonne presse pour relever une réputation mise en lambeaux par la corruption, n’aurait sans doute pas été aussi massif si les affaires de corruption avaient été moins pressantes. Sa paralysie éloignera également le Congrès (la Chambre) de l’administration GW, dont la fréquentation est de plus en plus douteuse comme le montre l’affaire de la torture. L’heure est à la vertu là où on peut encore la trouver.

• En attendant, deux conséquences extérieures vont prolonger ce débat : d’abord le renforcement de ceux qui, en Europe, refusent l’étouffement de l’affaire des activités de la CIA en Europe. Ensuite, le destin de John McCain.

La position de John McCain est un point très important, qu’on développe en guise de conclusion. Elle sort très renforcée de l’affrontement : McCain a fait plier l’administration sans se compromettre au point de vue du patriotisme, mais en plaidant la vertu américaine. Qu’il soit nécessaire pour les Etats-Unis de réaffirmer leur opposition à la torture à la suite d’une bataille de cette intensité, alors que ce pays est signataire des conventions internationales qui bannissent comme une évidence le recours à la torture, en dit long sur la situation américaniste générale. Mais là n’est pas le débat, quoique McCain veuillent en faire accroire.

Pour ce cas, le débat est politique et la réalité doit être nuancée. John McCain sort de l’affrontement avec des couleurs humanitaires qui le ferait passer pour une “colombe”. L’on sait depuis longtemps que l’homme est paradoxal et qu’une étiquette ne suffit pas à le définir. Outre qu’il est adversaire de la torture pour la bonne réputation de l’Amérique et par respect pour son propre passé, il est un fervent écologiste, notamment parce qu’il habite un beau ranch et aime les paysages de l’Arizona. A côté de cela, c’est un “faucon” qui n’aime rien tant que d’appuyer l’offensive militaire aérienne et terrestre tous azimut, dans toutes les directions possibles, dans toutes les circonstances qui l’imposent à ses yeux (il a la vue perçante). Il l’a montré lors de la guerre du Kosovo, il le montre encore aujourd’hui à l’égard de l’Irak. (Sur cette question, on peut voir l’une ou l’autre chronique de Justin Raimundo. Elles nous disent l’essentiel.)

Pour les partisans de la continuation de la politique de GW Bush après GW, McCain serait une alternative attrayante, avec ses nuances humanistes, à l’actuelle situation washingtonienne. Cela nous fait songer à 2008. On trouve l’écho de cette sorte de réflexion dans les milieux libéraux atlantistes, pour lesquels le soutien à l’administration Bush, avec ses insupportables stupidités et son action brutale, commence à peser vraiment très lourd. On citera à ce propos la conclusion d’une rapide réflexion du Financial Times du 10 décembre. Écrite pour commenter la nouvelle tension transatlantique à propos de la torture et de la CIA en Europe, le FT se désolait de ces circonstances malheureuses pour sa vision du monde ; il élargissait le propos, toujours sur un ton désolé, en décomptant les désaccords transatlantiques ; et il terminait, finaud, en rejetant implicitement la responsabilité de cette situation sur l’administration GW Bush selon la tactique désormais éprouvée et même éculée des pro-américanistes hors-US, — lançant, dans les derniers mots (soulignés obligeamment par nous-mêmes en gras), le nom qui deviendra demain peut-être magique de John McCain: « On the environment, recrimination will also persist. For if the US complains, sometimes with justice, that its allies “free ride” on its security efforts, so the latter see the former as “free riding” on their efforts to clean up the world's atmosphere. Nor will the likely deadlock at next week's World Trade Organisation meeting in Hong Kong be free of mutual blame by Europe and the US. Not all is lost, however, for not all Americans think like President George W. Bush or his deputy. Take their fellow Republican, Senator John McCain; he is both against torture and for emission controls. »

Le slogan est, dans ces officines, déjà rédigé : “John McCain, président en 2008”.