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54419 novembre 2007 — Hier 18 novembre, dans The Observer, on trouve la très longue et édifiante histoire du Marine James Blake Miller, Lance Corporal au 8ème bataillon, 1er régiment de Marines, engagé dans la bataille de Falloujah en novembre 2004. L’article est du photographe Luis Sinco, Américain d’origine philippine, dont une des photos qu’il prit de Miller à l’occasion de cette bataile acquit une soudaine célébrité en étant diffusé partout aux USA. La photo devint le symbole des ”boys” qui se battaient en Irak, Miller devenu le “Marlboro Man”, archétype imaginaire du jeune Américain, rude soldat et patriote. Plus tard, on apprit que Miller était malade, des suites de troubles psychologiques occasionnés par la guerre, le fameux PTSD (“Post-Traumatic Stress Disorder”). Le symbole était également victime et l’histoire de Miller prisonnier du système devint pathétique.
Le long article de Sinco détaille le destin qu’on dirait classique d’un jeune Américain d’origine modeste, sans avenir dans son Etat pauvre du Kentucky, s’engageant dans les Marines, acquérant la célébrité qu’on sait, puis connaissant des circonstances de plus en plus chaotique. Sinco a retrouvé Miller lorsque la nouvelle fut connue que le jeune homme, victime du PTSD, avait dû quitter les Marines et se trouvait en difficultés. Depuis, Sinco s’est chargé épisodiquement de Miller qui continue à souffrir des suites de son séjour en Irak et de sa célébrité faussaire. Aujourd’hui, Sinco semble être devenu le seul espoir du “Marlboro Man” de Falloujah dont Washington D.C. n’a plus grand’chose à faire.
«[A veterans' treatment programme, arguably the best in the nation, Moe Armstrong] says Miller is “playing out his symptoms on cue”, adding: “He's just keeping his head above water. He can't afford any downtime because it allows him to think.” Harkness holds out hope that Miller will eventually seek intensive therapy of the kind she offered. “He won't come in for help because a part of him is very macho,” she said. “He really comes across as the Marlboro Man. My fear is that at some point, it's all going to come crashing down.”
»To me, she said: “You are a constant object for Blake. You are the only person to follow him from the war zone to back home. You have a bond. He would be much lonelier and lost without you.”
»Some experts estimate that 30 per cent of the troops who have seen combat in Iraq will suffer from PTSD. As that thought lingers in my head, I remind myself that the sweetest victory is survival. The rest of life is a glittering gift, tempered in the forge of Falluja.
»Sometimes in the night, I hear a grenade launcher belching rounds. Or maybe it's just Miller gunning his Harley. He's roaring over Foggy Mountain, the wind blowing by, cleansing his thoughts. Blake, son, I know it sounds crazy, but my mind always takes me back to that distant rooftop in Falluja, where I snapped your picture. I think of that sunrise, bright and warm, and how lucky we were to see it.»
Cette histoire personnelle et pathétique renvoit évidemment à la question sociale intérieure qu’est devenue la guerre en Irak (et en Afghanistan) pour l’Amérique, par le biais des vétérans de ces conflits. Des indications récentes concernant plusieurs aspects portant sur les relations entre les guerre en Irak et en Afghanistan et les questions sociales qu'elles soulèvent ont été données. Elles concernent la question des suicides et autres aspects sociaux d’une part, la question des désertions d’autre part.
• La question des suicides (voir aussi notre lecteur “Rakk”, sur le Forum, en date du 16 novembre). On se réfère ici à un texte de The Australian.com du 17 novembre
«At least 6256 US veterans took their own lives in 2005, at an average of 17 a day, according to figures broadcast last night. Former servicemen are more than twice as likely than the rest of the population to commit suicide. Such statistics compare to the total 3863 US military deaths in Iraq since the invasion in 2003 – an average of 2.4 a day, according to the website icasualties.org. (…)
»The rate of suicides among veterans prompted claims that the US was suffering from a “mental health epidemic” – often linked to post-traumatic stress.
»CBS News claimed the figures represented the first attempt to conduct a nationwide count of veteran suicides. The tally was reached by collating suicide data from individual states for veterans and the general population from 1995.
»The suicide rate among Americans as a whole was 8.9 per 100,000, but the level among veterans was at least 18.7. That figure rose to a minimum of 22.9 among veterans aged 20 to 24 — almost four times the non-veteran average for people of the same age. There are 25 million veterans in the US, 1.6 million of whom served in Afghanistan and Iraq.
»“Not everyone comes home from the war wounded, but the bottom line is nobody comes home unchanged,” said Paul Rieckhoff, a former marine and founder of Iraq and Afghanistan Veterans for America. A separate study published last week shows that US military veterans make up a quarter of homeless people in the US, even though they represent just 11 per cent of the adult population.»
• Un autre texte concerne les désertions, avec les chiffres officiels montrant une augmentation importante pour 2007.
«Soldiers strained by six years at war are deserting their posts at the highest rate since 1980, with the number of Army deserters this year showing an 80 percent increase since the United States invaded Iraq in 2003.
»While the totals are still far lower than they were during the Vietnam War, when the draft was in effect, they show a steady increase over the past four years and a 42 percent jump since last year. (…)
»According to the Army, about nine in every 1,000 soldiers deserted in fiscal year 2007, which ended Sept. 30, compared to nearly seven per 1,000 a year earlier. Overall, 4,698 soldiers deserted this year, compared to 3,301 last year.»
La situation dont rendent compte ces diverses circonstances montre une pénétration insidieuse mais puissante de la société US, par les troubles extrêmement nombreux et puissants dus aux guerres actuelles, et certainement aggravés par les conditions de ces guerres. Si le chiffre de 500.000 vétérans souffrant de PTSD (30% des 1.600.000 vétérans) est juste, c’est une masse considérables.
L’emploi massif de la Garde Nationale et de la Réserve, qui sont essentiellement de recrutements locaux, implique que des citoyens souvent intégrés dans les communautés correspondantes sont touchés par des affections ayant des conséquences sociales. En retour, cette situation interfère sur les équilibres sociaux, plus que dans le cas des unités régulières de l’U.S. Army, laquelle fait de plus en plus souvent appel à des “citoyens” en situation incertaine depuis que les exigences de recrutement ont baissé (marginaux des villes, membres de bandes de jeunes, immigrants en attente d’être naturalisés, etc.). Cet emploi des forces régionales constitue un facteur politique indirect important parce qu’il crée des situations de disparité entre Etats, voire surtout entre certains Etats et le gouvernement central, dans la mesure du traitement différent des vétérans par les Etats.
D’une façon générale, la situation des vétérans aggrave considérablement la situation sanitaire et sociale des USA déjà exécrable, notamment la situation pathétique du traitement des maladies mentales et le problème des “sans domicile fixe” (SDF). Si l’on voit que les vétérans en général forment un quart des SDF américains (alors qu'ils ne forment que 11% de la population), près de la moitié de ceux d'Irak et d'Afghanistan passent par ce stade de SDF après leur retour des théâtres d’opération.
La gravité de la situation des vétérans retour d’Irak et d’Afghanistan et la publicité qui commence à être faite à cette situation (voir les films d’Hollywood sur la question irakienne), poussent à la concrétisation sociale du problème et à la possibilité d’une certaine organisation des vétérans en général (non réduits à telle ou telle guerre). Le chiffre de 26 millions de vétérans (de toutes les guerres étrangères des USA) est cité, ce qui correspond grosso modo au pourcentage important de 11% de la population. Il existe chez eux ou autour d’eux, dans la population US, un sentiment grandissant d’injustice et de dommages subis par ces citoyens US à cause d’une politique (la politique d’expansion belliciste) suivie par Washington et l’élite washingtonienne. Les vétérans sont en train de devenir le signe humain et social tangible de l’imposture de la politique belliciste du système, et des catastrophes irakienne et afghane. Dans le climat de contestation grandssant aux USA, il n’est pas impossible qu’un mouvement politique naisse, si une organisation efficace peut être mise en place.
Il existe un précédent fameux: les vétérans de la Première Guerre mondiale. Egalement traités sans la moindre attention comme le sont ceux d’aujourd’hui, dans une époque de très faible capacité de services publics et de situations sociales contrastées (les années 1920, marquées par les inégalités et la réduction maximale de tout service public, très semblables à ce point de vue de l’époque actuelle), les vétérans se formèrent en un groupe contestatataire puissant lors de la Grande Dépression. Leur marche sur Washington, en 1932, menaça directement la sécurité de la Maison-Blanche et nécessita l’intervention de l’armée (sous le commandement du général MacArthur) et une répression brutale.
(On sait que la possible tentative de coup d’Etat fasciste envisagée en 1933, lors de contacts avec le général Butler, prévoyait justement l’utilisation des vétérans de la Première Guerre modiale. On a récemment reparlé de cet épisode, et il a été rappelé que Butler avait été contacté à cause de sa popularité chez les vétérans. Les comploteurs estimaient que Butler aurait pu en faire une masse de maoeuvre pour faire pression sur le gouvernement et déclencher leur “coup d’Etat”.)
L’analogie de la Grande Dépression et de Butler est documentaire. Elle ne signifie certainement pas qu’on puisse envisager pour aujourd’hui une issue dans ce sens. Cela nous paraît improbable. Elle signale simplement qu’il existe un précédent où les vétérans furent regroupés en une force politique cohérente. Cela pourrait se reproduire, mais, à notre sens, selon des modalités et des techniques originales et différentes. Bien entendu, leur potentiel d’action est essentiellement de contestation sociale, par conséquent politique dans la situation envisagée, du système actuel.