La tragique absence de tragique de la candidature Obama

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On sait maintenant qui sera le candidat vice-président pour le parti démocrate, au côté de Barack Obama. Le choix du sénateur Joe Biden a été annoncé, notamment par CNN.News, ce 23 août. Sélection sans surprise par rapport aux rumeurs qui couraient ces derniers jours.

La sélection de Joe Biden est considérée par les milieux modérés washingtoniens comme un bon choix, notamment à cause de l’intégrité intellectuelle et morale du personnage. Biden apporte à Obama son expérience en matière de politique extérieure (il est président de la commission des relations extérieures du Sénat). Pour autant, la chose n’est pas nécessairement rassurante, vue de l'extérieur. Dans certains domaines, Biden s’est montré comme un radical et certains commentateurs ne voient pas de différence entre lui et un neocon classique, – par exemple sur la Géorgie, crise dans laquelle Biden a fait assaut d’extrémisme pro-géorgien. La sélection de Biden ne contrecarre en rien les tendances extrémistes de la politique extérieure US, d’autant qu’il devrait, en cas de victoire démocrate, jouer un rôle important de conseiller d’Obama dans ces matières.

D’un point de vue politique plus général, on ne peut dire que le choix de Biden soit révolutionnaire. Il confirme et renforce la tendance de la campagne Obama, depuis juin, à se placer de plus en plus dans un courant conforme au système, à la fois exempt de réformisme déstabilisant vis-à-vis de ce même système, à la fois aligné sur les grandes orientations politiques. Le fait est, comme on l’a déjà remarqué, que cette orientation n’a nullement réussi à Obama, qu’elle n’a cessé au contraire de réduire sa popularité et son avance dans les sondages. Aujourd’hui, Obama, qu’on donnait comme vainqueur assuré en mai dernier, est tellement menacé qu’il n’est pas loin de se laisser enfermer dans l’image du perdant probable.

Le chroniqueur Jeff Madrick met en ligne, le 21 août sur Huffington Post une courte réflexion qui nous semble aller au cœur de la chose, sous le titre: «Obama's Tragic Campaign: Our Last Chance». Madrick voit en effet un échec d’Obama, dont il compare la campagne actuelle à celle de Kerry en 2004, si le candidat démocrate ne retrouve pas une position de rupture, celle qui avait caractérisé sa campagne lors des primaires.

«John McCain's economic programs are so meaningless and damaging they require new adjectives. Absurd won't do.

»But Barack Obama's campaign is tragically modest. A soft kiss on the cheek for those in trouble. And it could cost him the election. More to the point, it will cost America its future.

»His diagnosis is not built genuine analysis – he chooses centrist economists to provide him research he seems to think objective, even scientific. Rather, it is built on what is perceived as politically plausible.

»That is how Clinton formed his policies. Even if times are bad and we are neglecting our assets, only tell the voters what they want to hear. A little push here, a little push there. But don't worry, the age of big government is over. Democrats gave us the Democratic Leadership Council and The Third Way, organizations bankrupt of ideas and guts.

»In fact, America is in far deeper trouble than Obama or his advisers dare to think…»

Madrik détaille cette excessive timidité d’Obama devant les problèmes socio-économiques structurels des USA. Mais il aurait pu prendre la politique extérieure (il le signale sur la fin de son texte), son commentaire aurait été similaire. C’est un état d’esprit qu’il met en cause, la perte du sens de la candidature Obama, sa dilution dans la “politics as usual”…

«I just can't believe this emphasis of Obama's on minor tax cuts. Now is the time to be bold and maintain the courage of one's convictions.

»Obama seems convinced equanimity is the answer. Cut a compromise. The problems are too deep and wide. (The same is true in foreign policy.) Obama's falling behind the curve. The people sense it.

»This is not a class room. It is not a mere conversation. It is a battle for the truth and the future. It may be our last chance.»

Voilà des mots tragiques, – «Obama falling behind the curve. The people sense it.», «It may be our last chance.», – pour décrire une situation qui meurt de stérilité par absence de tragique. Obama avait semblé saisir, lors de sa campagne des primaires, la dimension tragique de la situation américaniste, et il avait semblé tenter de restituer ce qui paraissait une belle intuition. C’est cela qui fit son succès, et non sa jeunesse ou la couleur de sa peau. Ayant abandonné cette orientation, ayant choisi la voie de la médiocrité, il rend sa campagne médiocre et il est devenu un candidat démocrate conforme au système. Il n’est plus à la hauteur de la tragédie américaine. S’il n’a pas de sursaut, son destin politique devient indifférent, qu’il soit ou non élu. L’Amérique poursuivra alors la course qu’elle suit actuellement. Le «It may be our last chance» de Madrick, remarque assez ambiguë, pourrait alors annoncer la dernière chance perdue de l’Amérique, la dernière chance de se relever.

...De ce point de vu, la “dernière chance” d’Obama serait plus que jamais une chute importante dans les sondages, l’obligeant à des mesures désespérées. Un changement complet d’orientation de sa campagne vers le “tragique” serait alors l’option évidente.


Mis en ligne le 23 août 2008 à 12H46