La “turbo-Histoire” à un train d’enfer

Messagerie

   Forum

Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 994

7 avril 2004 —

Pour définir les événements de Madrid entre le 11 et le 14 mars, nous avions proposé, comme premier titre de notre rubrique “de defensa”, dans le numéro de notre Lettre d’Analyse du 25 mars, (Vol19, n°14) : « La turbo-Histoire », d’après l’expression employée par Edward Luttwak pour désigner le super-capitalisme des années Clinton (« turbo-capitalism» »). Aujourd’hui, la turbo-Histoire est passée de l’Espagne (l’Europe et les relations transatlantiques) à l’Irak (l’embrasement) : non seulement turbo-Histoire mais une “swinging turbo-History”, passant d’une crise à l’autre. Les hommes qui croient avoir maîtrisé le temps et l’espace du monde pour imposer “leur” histoire ont déchaîné une tempête dont ils commencent à mesurer les effets. A la tête de ce mouvement sans précédent, une pathétique marionnette à l’esprit vide, qui n’aura jamais l’humanité d’une des grandes figures catastrophiques dont l’Histoire abonde, qui est manipulé par des gens de sac et de corde, qui ne cesse de manifester sa foi intense, qui se balade dans sa bulle. Les fous ont pris le pouvoir à l’asile psychiatrique, cela on le savait, — mais des fous de cet acabit ?

En Irak, première préoccupation des Américains, enjeu militaire et stratégique pauvre par rapport à ce dont disposent déjà les États-Unis, invasion justifiée, à parts égales, par la vanité, la sottise et l’obsession pathologique (avec une couche d’ivresse fabriquée par le virtualisme, pour faire tenir le fond de teint), en Irak la révolte éclate en une insurrection qui tend à se généraliser. Le sénateur Kennedy, le vieux lion de la famille qui ne mâche plus ses mots depuis un an, laisse tomber qu’ il s’agit désormais du “George’s Bush Vietnam”. La traduction est inutile. John Kerry, qu’on dit même un peu gêné par la violence extraordinaire des attaques de Kennedy (son mentor pour cette campagne présidentielle), n’y va tout de même pas de main morte lorsqu’un micro est laissé branché par inadvertance : « The candidate was heard berating the Bush team in front of an open microphone as “the biggest liars you ever saw”. ». Certains stratèges républicains commencent à dire ouvertement que, désormais, la présidence en jeu.

Au vrai, GW, plus que jamais isolé dans sa bulle, s’est replié sur la vieille garde (Cheney, Rover), — un peu à la manière de Nixon se reposant sur Ehrlichman et Haldeman au plus fort de la crise du Watergate, avant d’être obligé de leur demander de démissionner, avant de démissionner lui-même. Désormais, les neo-cons ne sont plus “néos” du tout dans les allées de la Maison-Blanche, et l’aventure irakienne est complètement portée au débit des folles illusions idéologiques qu’ils auraient réussi à instiller à l’équipe dirigeante. D’ailleurs, les néo-conservateurs se taisent, tétanisés, paralysés par les réactions inattendues et détestables de la réalité confrontée à leur conception du monde.

Kennedy, dans le discours cité, évoque clairement le Watergate en élargissant la critique à toute l’action du gouvernement : Kennedy « said in the speech that on education, health care and the economy “ as on Iraq — this president had created “the largest credibility gap since Richard Nixon”.The choice of phrase was symbolic. » La phrase est symbolique et l’audace du propos effrayante : Washington pourrait-il se payer une crise type-Watergate en pleine année électorale, alors que l’Irak sombre dans l’insurrection armée ? Que l’administration est exposée dans ses montages de myriades de mensonges, de manipulations, d’invention ? Le régime tiendrait-il ?

Mais nous tenons une bonne carte en réserve : l’attentat terroriste contre les US, qui justifierait de postposer l’élection présidentielle. Le site BuzzFlasf.com, site activiste démocrate, en parle à nouveau. Signe qu’effectivement, certains démocrates peuvent craindre cette sorte de “riposte” du destin, éventuellement organisée par la bande à GW.

Observez donc l’Histoire en train de se faire, à un rythme d’enfer. Elle nous réserve encore des surprises car, littéralement, tout est possible.