La valse des généraux et le risque de “coup” dans le système US

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Il est possible qu’on puisse trouver quelque intérêt pour avancer dans la compréhension de ce que pourrait être un jour la “stratégie” des USA en Afghanistan, si stratégie il y a, à la lecture de l’article du Washington Post du 9 octobre 2009. Nous pas (on veut dire: pas d’intérêt dans ce sens, la susdite “stratégie” à venir s’avérant être de plus en plus, par avance, une sorte d’énorme usine à gaz pétaradant dans tous les sens). Par contre, l’article est prodigieusement intéressant pour nous montrer la diversité régnant au sein des militaire vis-à-vis de l’affaire du plan de McChrystal et du reste (accord/désaccord sur la question de la stratégie en Afghanistan).

L’article est centré autour de la nouvelle que McChrystal, qui devait venir à Washington ce week-end pour préparer une “réunion décisive”, est prié de rester dans ses quartiers, en Afghanistan, parce que l’heure n’est pas encore aux “réunions décisives”. Voici donc les extraits qui nous intéressent…

«Although the military overwhelmingly supports McChrystal's recommendation for an expanded counterinsurgency, with additional troops in Afghanistan, several senior defense officials said they approve of the way Obama is handling the deliberations.

»“This commander in chief uses the chain of command,” one official said. “There are a lot of military leaders who very much appreciate that.” Joint Chiefs of Staff Chairman Mike Mullen is especially appreciative of the way Obama has turned to him and to Defense Secretary Robert M. Gates to represent the views of the armed forces, the official said.

»But the balance can be a delicate one. Senior Republican lawmakers who support McChrystal's request for more troops began demanding weeks ago that Obama bring the commander back to testify before Congress – as Petraeus did in explaining why President George W. Bush's decision to “surge” thousands more troops into Iraq was the right one.

»Many in the military, however, disagreed with Petraeus's approach and resented his prominence as its spokesman and guarantor, along with his weekly videoconferences and frequent face-to-face meetings with Bush. Petraeus considered himself “an army of one in defending the strategy publicly and in Washington,” according to an officer who served in Iraq during the surge and was familiar with the general's apparent thinking.

»Other current and former senior military officers have questioned whether the fact that McChrystal's recommendation has become public before Obama decides whether to accept it may ultimately undercut his effectiveness. “What he has tried to do,” said a retired senior general and wartime commander of McChrystal, “is to say, ‘I’m not against the president; I'll do what I'm ordered to do.’ But if the administration essentially dismisses his whole theory of the case, then I think he's in a weakened position.”

»Gates has resisted calls for McChrystal to testify, saying that the general is needed at his command post. At the same time, he asked for and received Obama's commitment to a personal appearance by McChrystal at some point in the White House deliberations. “The secretary will work with the president to determine the appropriate time for General McChrystal to come back and meet face-to-face with the president and the rest of his national security team so that he can present his case before any decision is made,” Pentagon spokesman Geoff Morrell said. “It's going to happen. It's just a question of timing.” […]

»Although officials in Washington insisted that the decision to delay the trip reflected only the timing of White House deliberations, this military official said that it was equally a reflection of the desire of both Gates and Mullen to take the lead military role in the discussions. Gates, he said, has worked hard to forge a close relationship with Obama and thinks he can effectively represent the Pentagon's positions.

»Mullen is determined to fulfill his responsibility to represent the views of all the service chiefs in a way he thinks was circumvented under Bush, a Pentagon official said. “Our perspective,” he said, “is that [Obama] prefers to use the chain of command and that he wants to hear what the chiefs think.”»

Voilà ce qui nous importe, qui renvoie par ailleurs à notre Note d’analyse du 29 septembre 2009. Cela nous permet de donner de nouveaux développement sur la situation des militaires au sein du pouvoir US, et vis-à-vis d’Obama, et par conséquent de faire des hypothèses à mesure sur la possibilité de “mouvements” peu constitutionnels de la part de ces militaires…

@PAYANT Nous voyons confirmée l’extrême “parcellisation” du pouvoir, à l’intérieur de l’appareil militaire lui-même, notamment la confirmation de ce que nous disions sur une certaine distance entre l’amiral Mullen et McChrystal, voire McChrystal-Petraeus. L’époque Bush, avec le désordre qui a régné partout, avec l’importance donnée à la chose militaire, mais au travers de certains généraux et au détriment d’autres (des amiraux surtout), n’a nullement fait de l’establishment militaire une force compacte et unie mais une immense puissance considérablement morcelée en divers centres d’intérêt concurrents. Dans le schéma que présente indirectement le Post, et qui correspond à la réalité qu’on peut percevoir, un Mullen est beaucoup plus proche d’Obama que d’un McChrystal.

Notre appréciation est que l’establishment militaire n’est nullement, comme on a tendance à en faire d’habitude, la seule force cohérente et puissante de l’establishment washingtonien. Ce n'est donc pas vraiment la sorte de force qui pourrait décider d’intervenir contre Obama dans certaines circonstances (hypothèse du coup d’Etat). Les militaires ne diffèrent pas des autres, ils sont hyper-bureaucratisés et hyper-politisés dans le sens politicien du terme. Ils ont une solidarité de système et comprennent parfaitement les normes de ce système, la nécessité de l’apparence démocratique, du décorum patriotique et institutionnel, de la pompe des hiérarchies apparentes et tout ce qui va avec. Un McChrystal ne pèse rien dans ce système, en plus sans beaucoup d’habileté politicienne. Un Petraeus peut effectivement devenir une sorte de MacArthur, mais pour des ambitions politiciennes classiques, par le canal du parti républicain, comme Eisenhower. A part cela, Petraeus ne vaut rien; il est haï par ses pairs, il n’a pas le millième de notoriété mythique et d’autorité historique qu’avait un MacArthur. (MacArthur, en 1950, était une sorte de vice-Empereur du Japon et commandant toutes les forces US d’Extrême-Orient. Il était, avec l’amiral Nimitz, le vainqueur de la guerre du Pacifique, qui fut tout de même autre chose que la gâterie du “surge” en Irak. Il était General of the Army, soit un cinq étoiles dans la hiérarchie militaire US, correspondant aux sept étoiles du maréchalat français. Le Joint Chief of Staff tremblait devant lui et il fallut un an à Truman pour oser le relever de ses fonctions alors que MacArthur répétait tout haut, mais sans aucune idée subversive, simplement pour mettre les choses au point et chacun à sa place, que la stratégie qu’on lui imposait en Corée était inepte.)

Petraeus, général-politicien de fortune, n’a aucune autorité pour tenter quoi que ce soit hors des magouilles politiciennes. La haute direction militaire, elle, est complètement dans les normes institutionnelles et dans les divisions d’intérêts bureaucratiques, avec un secrétaire à la défense qui joue le même jeu à la fois bureaucratique et institutionnel. Indirectement, cet article du Post confirme, pour nous, l’absence complète de possibilité d’une action extra-constitutionnelle des militaires. Leur poids dans le système est fort grand, et c’est pourquoi, paradoxalement, ils ne feront rien en-dehors des bornes du système, dans un système qui ne tolère rien hors de ses normes. En fait, il n’existe aucun homme, aux USA, qui ait une véritable conscience des dangers d’effondrement que court le pays, et qui aurait en lui l’éventuelle résolution de tenter un coup d’éclat pour tenter d’écarter cette issue. Le seul dont on a pu penser qu’il échappait à cette règle, c’est Obama lui-même; peut-être est-il, parfois, dans des instants de lucidité solitaire, le seul à effleurer de telles sombres pensées mais, vraiment, il est, dans son cas, si l’on peut dire, de plus en plus “trop tard”.


Mis en ligne le 9 octobre 2009 à 13H17