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1017La partie qui se joue dans le Golfe, et plus précisément dans le détroit d’Ormouz, est singulièrement serrée, variée et, d’une certaine façon, extrêmement attrayante, voire distrayante. Ce n’est ni du poker ni des échecs, c’est du billard très rapide, à un nombre de bandes qu’on n’ose plus évaluer et d’ailleurs en constant changement (le nombre des bandes)… Du moins, nous semble-t-il, avec l’entrée en Mer d’Oman, par le détroit d’Ormouz évidemment, d’une armada du bloc BAO, conduite par le USS Abraham Lincoln (porte-avions d’attaque de près de 100.000 tonnes de l’U.S. Navy), ce 22 janvier 2012. Le lendemain, 23 janvier, l’Union Européenne annonçait sa décision d’instaurer l’embargo sur le pétrole iranien… Ainsi faut-il observer le remarquable enchaînement des choses.
• Le 21 janvier 2012, l’adjoint du chef des Gardiens de la Révolution d'Iran, Hossein Salami, annonçait que le probable renforcement naval US dans le Golfe, qu’on peut aussi présenter comme une rotation normale, fait partie d’une “activité de routine”. C’était admettre qu’il ne fallait pas voir dans ce fait une de ces “menaces” si violemment dénoncées par les Iraniens à la fin décembre 2011 et au début de ce mois. La déclaration de Salami engage, notons-le, la partie la plus activiste des forces politico-militaires iraniennes, en l’occurrence les Gardiens de la Révolution.
«Iran's Revolutionary Guard Corps said on Saturday it considered the likely return of U.S. warships to the Gulf part of routine activity, backing away from previous warnings to Washington not to re-enter the area. […] “U.S. warships and military forces have been in the Persian Gulf and the Middle East region for many years and their decision in relation to the dispatch of a new warship is not a new issue and it should be interpreted as part of their permanent presence,” Revolutionary Guard Deputy Commander Hossein Salami told the official IRNA news agency.»
• La déclaration de Salami était présentée, dans la dépêche Associated Press citée, comme une “volonté politique” d’apaiser la tension dans le Golfe, essentiellement la tension avec les USA. («The statement may be seen as an effort to reduce tensions after Washington said it would respond if Iran made good on a threat to block the Strait of Hormuz – the vital shipping lane for oil exports from the Gulf.») Cette interprétation est assez classique et elle est encore atténuée par les commentaires qui ont accompagné, les deux jours suivants, le passage par le détroit d’Ormouz du groupe autour du USS Abraham Lincoln. Ce “groupe” est présenté comme ayant moins valeur opérationnelle que symbolique puisqu’il comportait des unités des marines française et britannique et avait pour but affiché d’affirmer, selon les termes du ministère britannique de la défense, «the unwavering international commitment to maintaining rights of passage under international law.»
• Lundi 23 janvier, l’UE décidait son embargo sur le pétrole iranien. Ainsi entre-t-on dans une situation dont les conséquences sont analysées de façons très différentes selon les sources. Une vaste dépêche d’Associated Press, fait, le 23 janvier 2012, une analyse générale de la situation après la décision de l’UE. Il s’agit d’une analyse classique du système de la communication du bloc BAO, avec les experts qui vont avec. La conclusion en est que l’Iran va se trouver dans une situation de plus en plus difficile, avec des conséquences..., etc. D’autres sources vont à l’inverse, comme ce texte de Russia Today du 20 janvier 2012, qui cite une analyste (Sara Vakhshouri) ayant travaillé comme conseillère de la direction de la National Iranian Oil Company International. Sara Vakhshouri estime que l’Iran a déjà commencé à diversifier ses livraisons vers des pays qui refusent l’embargo et que les principales victimes de l’embargo seront les pays de l’UE qui importent le plus de pétrole iranien, qui sont déjà dans un état économique catastrophique, – effectivement, avec l’Espagne, la Grèce et l’Italie. Le site iranien PressTV.com relaie, le 23 janvier 2012, un professeur de l’Australian National University, Ramesh Thakur, affirmant l’inefficacité et le caractère contre-productif des sanctions.
• Laissons les spéculations économiques, pour nous reporter au constat que la décision de l’UE a amené une nouvelle poussée de “tension”, avec de nouvelles évocations d’un blocage du détroit d’Ormouz. Cette fois, elles viennent de milieux parlementaires et sont évoquées dans différentes dépêches, dont celle de AP du 23 janvier déjà citée. Mohammad Ismail Kowsari, déclarait hier que le détroit “serait définitivement fermé si la vente du pétrole iranien était empêchée de quelque façon que ce soit”. Un autre parlementaire, Heshmatollah Falahatpisheh, affirmait que la fermeture du détroit constitue un des droits de l’Iran, et que cette fermeture devient de plus en plus possible. Dans ces diverses déclarations, on observe, du point de vue de la communication stricto sensu, que la menace de fermeture du détroit ne concerne en aucun cas les navettes des navires de guerre du bloc BAO mais l’intégrité des ventes du pétrole iranien, tout comme ces navettes ne concernent en aucun cas l’Iran mais le droit international d’user du passage d’Ormouz. Ainsi, la question de l’entrée de l’USS Abraham Lincoln et de ses acolytes dans la Mer d’Oman est minutieusement séparée de la question de l’embargo du pétrole iranien.
• …Ce qui nous conduit à la thèse de DEBKAFiles, ce 23 janvier 2012. Le site israélien reste toujours proche des positions de Netanyahou, lorsqu’il s’agit de juger la position d’Obama. Sa principale idée, dans ce texte, est que les affaires de porte-avions et de menace de blocage du détroit sont désormais des gesticulations, et rien d’autre. DEBKAFiles cite le Washington Post, qui parle d’un “envoyé personnel” d’Obama aux dirigeants iraniens, pour relancer une négociation, éventuellement à deux (USA et Iran) sur la question nucléaire, “d’une façon constructive et sérieuse”. Cela suit diverses rumeurs et déclarations de personnalités iraniennes selon lesquelles il y a déjà eu au moins un message secret récent d’Obama à Khameini, le dirigeant suprême religieux de l’Iran. La thèse de DEBKAFiles est donc que BHO “complote” pour trouver un arrangement avec l’Iran, au nez et à la barbe de Netanyahou.
• Accessoirement mais aussi d’une façon révélatrice, on notera la valse des porte-avions, avec notamment la déclaration de Salami mentionnée plus haut. Se référant aux menaces iraniennes du début du mois, DEBKAFiles considère que cette déclaration «came only after Tehran saw the USS Stennis, the object of threat, exiting the Gulf Friday, Jan. 20, and decided it was the Americans who had backed down». Ainsi, le USS Abraham Lincoln, qui remplacerait le USS John C. Stennis, serait une affaire complètement différente… Il n’en reste pas moins que le secrétaire à la défense Panetta a annoncé dimanche que le USS Enterprise, mis en réserve depuis trois ans, avait été réactivé et partait pour le Golfe séance tenante. Pour DEBKAFiles, le commentaire de Panetta vise à nuancer grandement l’interprétation des Iraniens à propos du départ du USS John C. Stennis («…and making it very clear to Tehran that although the Stennis was gone, the Abraham Lincoln was there and the Enterprise was coming “fully prepared to deal with any contingency.”»). A cela, on pourrait ajouter la considération que l’Iran a déjà riposté, si l’on prend d’une façon symbolique un texte de PressTV.com du 22 janvier 2012, présentant l’Enterprise comme un vieux rafiot à bout de souffle : du titre («US to send old warship to Persian Gulf») à une précision dans le texte («The USS Enterprise is the oldest active duty ship in the American naval fleet and its mission dates back to the Cuban missile crisis in 1962 and the Vietnam War.»).
…Ainsi le fond de l’affaire reste-t-il, malgré tout, les relations entre les deux alliés, USA et Israël, c’est-à-dire entre Obama et Netanyahou, et cela sur le fond primordial de la campagne des présidentielles US. Le second soupçonne le premier de toutes les duplicités dans cette affaire iranienne, – et il n’a peut-être pas tort, disons de son point de vue. On peut raisonner à cet égard en observant la position d’Obama vis-à-vis de l’électorat juif US et de ses donateurs pour en déduire, par raisonnement contradictoire, sa position vis-à-vis de l’Iran. Cette position intérieure (pour l’électorat et les donateurs juifs US) est résumée par un film de propagande électorale que l’équipe d’Obama vient de réaliser sur les relations entre les USA et Israël. Dans War in Context, Paul Woodward le présente, ce 23 janvier 2012, sans autre commentaire que le titre («Israel’s man in the White House») ; l’appréciation de cette bande particulièrement remarquable pour sa veulerie électoraliste est parfaitement résumée par ce jugement d’un lecteur, Tom Hall :
«I note that Paul Woodward has posted this excrescence without supplementary comment. The material speaks quite devastatingly for itself. This strident blanket endorsement of Israel, with its unconscionable attribution of all disorders in the region to Israel’s enemies and victims and its portrayal of the Zionist state as utterly without fault or blame, goes beyond anything I have seen before from the re-election campaign of an American President. I don’t know whether Obama actually believes any or all of these lies, but the hypocrisy involved is so vast as to encompass whatever explanation one chooses. When the entire US-Israel venture collapses, it will have come about in no small measure through the sheer weight of moral dishonesty required to sustain it to this lamentable point in our history.»
On peut apprécier, à l’aune de cette veulerie, qu’effectivement la politique d’Obama vis-à-vis de l’Iran pourrait bien être celle de la recherche de l’arrangement, et l’arrangement secret pour ne pas donner un prétexte à la fureur de Netanyahou de s’exprimer. Car, bien entendu, autant qu’il a besoin du soutien de l’électorat juif et des donations qui vont avec, Obama a besoin des suffrages populaires, et il sait que la perspective d’une guerre contre l’Iran est très impopulaire dans l'opinion publique US. A cette lumière, on peut donc admettre que l’hypothèse de DEBKAFiles présente une réelle cohérence, et que les soupçons de Netanyahou ne sont pas sans fondement, même si l’homme est de cette psychologie maniaque et obsessionnelle que l’on sait.
Par conséquent, il importe plus que jamais de suivre les relations entre Netanyahou et Obama, en tenant compte des sentiments proches de la haine qui opposent les deux hommes, qui semblent aussi peu embarrassés de scrupules l’un que l’autre. Ainsi faut-il observer la situation de la crise iranienne en fonction des présidentielles US et admettre que les deux affaires sont conjointement éclairées par l’antagonisme souterrain entre les deux alliés. Compte tenu des moyens de pression de l’un (Netanyahou) sur l’autre (Obama) et des pouvoirs de décision dont dispose l’un (Obama) et dont dépend l’autre (Netanyahou), leur affrontement devient le lien obligé entre la crise iranienne et les présidentielles US, et il est extrêmement serré, sans qu’aucun puisse prendre le pas sur l’autre d’une façon décisive. Il s’agit alors d’une occurrence particulièrement extrême, volatile et explosive, où il n’est pas interdit d’envisager des hypothèses de crise majeure qui lui seraient spécifiques. On a bien entendu à l’esprit l’incident Andrew Adler, qu’on doit juger plus que jamais comme très significatif.
Mis en ligne le 24 janvier 2012 à 06H18