La vertu de STRATFOR

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Finalement, STRATFOR est rétabli dans ses us et coutumes. Son directeur général et fondateur, George Friedman, s’explique à propos de l’attaque dont le site a été victime. Il détaille les circonstances telles qu’il les connaît, et celles qu’il juge de son intérêt de détailler, proclame une nouvelle marche en avant du site, sa confiance dans l’avenir et ainsi de suite. Nous publions par ailleurs, en Ouverture libre, ce 16 janvier 2012, ce texte qui a sa place dans le dossier de cette intéressante affaire, puisqu’il en donne la version “officielle”, du point de vue de STRATFOR.

Ci-dessous, nous reprenons le passage qui nous intéresse, qui concerne la leçon de morale, et éventuellement de ce qui serait une sorte de “vertu de communication” du type Internet, selon George Friedman et STRATFOR. Friedman s’adresse à ses agresseurs, il tire le bilan de leur attaque, il dresse le constat général, selon lui, de cette aventure. Sa leçon de “vertu de communication” se trouve, à notre avis, dans les paragraphes ci-dessous, et c’est elle que nous nous permettrons de commenter.

«In the days that followed, a narrative evolved among people claiming to speak for Anonymous and related groups. It started with looking at our subscriber list and extracting corporate subscribers who were now designated as clients. The difference between clients and subscribers is important here. A client is someone you do customized work for. A subscriber is simply someone who purchases a publication, unchanged from what others read. A subscriber of The New York Times is not its client. Nevertheless, some of the media started referring to these subscribers as clients, reflecting the narrative of those claiming to speak with knowledge of our business.

»From there, the storyline grew to argue that these "clients," corporate and government, provided Stratfor with classified intelligence that we reviewed. We were no longer an organization that analyzed the world for the interested public, but rather a group of incompetents and, conversely, the hub of a global conspiracy. The media focused on the first while the hacking community focused on the second.

»This was why they stole our email, according to some of them. As one person said, the credit cards were extra, something they took when they realized they could. It was our email they were after. Obviously, we were not happy to see our emails taken. God knows what a hundred employees writing endless emails might say that is embarrassing, stupid or subject to misinterpretation. What will not appear is classified intelligence from corporations or governments. They may find, depending on what they took, that we have sources around the world, as you might expect. It is interesting that the hacker community is split, with someone claiming to speak for the official Anonymous condemning the hack as an attack on the media, which they don't sanction, and another faction defending it as an attack on the rich and powerful.

»The interpretation of the hackers as to who we are – if indeed that was their interpretation – was so wildly off base as to stretch credulity. Of course, we know who we are. As they search our emails for signs of a vast conspiracy, they will be disappointed. Of course we have relationships with people in the U.S. and other governments and obviously we know people in corporations, and that will be discovered in the emails. But that's our job. We are what we said we were: an organization that generates its revenues through geopolitical analysis. At the core of our business, we objectively acquire, organize, analyze and distribute information.

»I don't know if the hackers who did this feel remorse as they discover that we aren't who they said we were. First, I don't know who they actually are, and second, I don't know what their motives were. I know only what people claiming to be them say. So I don't know if there is remorse or if their real purpose was to humiliate and silence us, in which case I don't know why they wanted that.

»And this points to the real problem, the one that goes beyond Stratfor's own problem. The Internet has become an indispensible part of our lives. We shop, communicate, publish and read on it. It has become the village commons of the planet. But in the village commons of old, neighbors who knew and recognized each other met and lived together. Others knew what they did in the commons, and they were accountable.

»In the global commons, anonymity is an option. This is one of the great virtues of the Internet. It is also a terrible weakness. It is possible to commit crimes on the Internet anonymously. The technology that enables the Internet also undermines accountability. Given the profusion of technical knowledge, the integrity of the commons is in the hands of people whose identities we don't know, whose motives we don't understand, and whose ability to cause harm is substantial. The consequence of this will not be a glorious anarchy in the spirit of Guy Fawkes, but rather a massive repression. I think this is a pity. That's why I wonder who the hackers actually are and what cause they serve. I am curious as to whether they realize the whirlwind they are sowing, and whether they, in fact, are trying to generate the repression they say they oppose.

»The attempt to silence us failed…»

Le dernier paragraphe plein exprime bien la “vertu de communication” de STRATOR, ou la vertu du système de la communication lorsqu’il présente sa face de Janus pour laquelle le Système l’a créé. On peut même douter, sans hésitation, que cette “vertu” soit feinte ou cyniquement présentée, tant cette phrase («The attempt to silence us failed…»), extrêmement ridicule lorsqu’on songe à la puissance de STRATFOR et à ses diverses connexions, a une sorte d’accent de sincérité. Friedman parle comme l’humble éditeur d’un site indépendant et sans liens de connivence avec le Système, résistant courageux et professionnel entêté, aux moyens limités, victime d’une cabale de méchantes gens (anonymes, en plus !), aux moyens considérables, eux, agissant dans l’ombre et sans pitié ni respect des règles démocratiques ; bref, il ne parle pas différemment de ce que ferait dedefensa.org dans une circonstance similaire, si dedefensa.org était honoré des vertus parcellaires qu’on a dites, qui forment la “vertu de communication”.

Friedman parle sincèrement de cette façon vertueuse parce que, finalement, la “vertu de communication”, c’est d’abord la vertu des marchés et la vertu démocratique selon l’interprétation qu’en donne la vertu des marchés. Tout cela, dira-t-on, s’accorde parfaitement avec le Système, mais pour Friedman tout cela s’accorde simplement avec la vertu per se. La messe est dite, dira-t-on, et, pour cette fois, Friedman en est le Bossuet. Que l’on nous suive ou pas, nous réaffirmons avec force qu’il y a de la sincérité dans tout cela, qui est la sincérité que la raison totalement subvertie par le Système (vieille histoire du “déchaînement de la Matière”) manifeste sous la forme de cette leçon de morale ; laquelle s’énonce de la sorte : “Nous (STRATFOR) agissons à visage découvert et tout le monde sait, comme nous-mêmes, qui nous sommes («we know who we are», – aveu charmant et si sincère) et ce que nous faisons, et ainsi participons-nous à la vertu d’Internet ; d’autres agissent anonymement, ce qu’Internet n’interdit pas, mais parfois que de laides choses sont faites au nom de ce libéralisme… Mais on ne nous arrêtera pas pour autant («The attempt to silence us failed…»)”.

Là-dessus vient l’homélie générale et furieuse (Bossuet, toujours) de la leçon de morale : “Malheureux anonymes, vous qui attaquez la ‘vertu de communication’ (STRATFOR), regardez ce que vous avez provoqué, puisqu’il ne fait aucun doute qu’à la suite de cette attaque la punition sera terrible” («The consequence of this will not be a glorious anarchy in the spirit of Guy Fawkes, but rather a massive répression», cela, avec l’allusion qui montre qu’on a des lettres, à V for Vendetta, film rendu célèbre par le fameux masque ricanant qui caractérise tous les Anonymous du monde). Eh bien, Friedman-Bossuet en est sincèrement marri pour la vertu d’Internet : «I think this is a pity.» Tout cela, en toute parfaite sincérité. (Il n’empêche que ça va cogner, “massive repression”, – ce qui fait un peu moins Bossuet.)

Le point le plus intéressant, après tout, est l’obsession complotistes de Friedman, lorsqu’il rapporte que le but de ses agresseurs était de briser STRATFOR en tant que «hub of a global conspiracy». Personne n’a jamais dit que STRATFOR était une partie ou le meneur d’une “conspiration globale”, parce que nul n’ignore ce qu’il en est. Tout le monde sait ce qu’est STRATFOR, depuis le début, et personne n’en doute un instant. Il n’y a pas de “conspiration globale” là-dedans, mais le Système à ciel ouvert, parfaitement identifié, parfaitement compréhensible. STRATFOR, lui, n’a pas besoin du masque ricanant de V for Vendetta, le visage de George Friedman suffit. Quant à la terrible répression que nous promet, désolé, Friedman-Bossuet, nous avons une absolue confiance dans elle, et nous ne pouvons que nous en réjouir ; STRATFOR hyperprotégé, comme le reste, c’est le bordel général du système de la communication du Système encore plus englué dans ses inextricables réseaux, et c’est sa psychologie enfermé un peu plus dans l’obsession de toutes ces forces obscures qui ne cessent de menacer, avec quelle vindicte envieuse et quelle cruauté barbare, sa “vertu de communication”. Donnez-nous dix, cent, mille STRATFOR hyperprotégés, pour achever de noyer la surpuissance du Système dans son délire d’autodestruction qui enchaîne le pauvre sapiens dans les liens de son vanitas vanitatis… Ainsi Bossuet aurait-il pu conclure avec emphase et certitude intuitive, devant le grand Roi-Soleil (anonyme), interloqué et cloué à la fois par ce déferlement venu de la chaire furieuse.


Mis en ligne le 16 janvier 2012 08H06

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