La ville dont le “prince” est un autonomiste

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Il y a un événement en cours en Italie, qui fait l’objet d’une certaine attention, autant pour des raisons de communications (aspect original de l’initiative, relations publiques, etc.) assurant une notoriété qui lui donne une assise dans sa bataille constitutionnelle, que pour des raisons plus fondamentales d’un mouvement qui pourrait se développer, qui est la recherche d’une autonomie dégageant cette entité d’une politique gouvernementale de super-austérité (crise de la dette et de l’euro) rejetée par une grande majorité de la population. Cet exemple, qui reste à confirmer sous une forme ou l’autre, entre potentiellement dans le grand mouvement en cours de dissolution du Système.

La notoriété du cas a dépassé les frontières. Le cas de la ville de Filettino est notamment l’objet d’une nouvelle de Russia Today (RT) du 12 septembre 2011. Après avoir exposé la situation du débat en cours en Italie autour d’un programme d’austérité de €54 milliards, RT passe au cas de Filettino. La démarche de la municipalité est d’acquérir un statut semblable à celui de la Principauté de San Marin.

« However, there is one town in Italy that has decided it does not want to wait for the cuts. The town of Filettino in the middle of the country also claims to be an independent principality. To prove it, it has even started printing its own money – the “fiorito”. The new banknotes are featuring the image of the town mayor Luca Sellari, who is now a self-proclaimed prince. “I guess everyone dreams of being a prince when they’re a little boy, and so did I. Now I get to live that dream,” he says.»

Le maire de Filettino, une ville de 600 habitants, refuse, avec le soutien de ses administrés, la réforme administrative impliquant la fusion de plusieurs villes pour permettre la suppression d’administrations municipales au profit d’une administration régionale déjà en place. Sellari argue que la décision est un non sens économique, géographique, administratif, etc., avec la ville la plus proche de Filettino destinée à être fusionnée distante de 30 kilomètres, avec une administration régionale qui ne fonctionne d’ores et déjà pas.

«…Filettino is fed up. It is determined to be the next San Marino – a constitutional republic within Italy that has no national debt, which is a rare thing in Europe. The mayor thinks the town can live off its natural resources of wood and water. But currently profits go to private companies. There are constitutional hurdles, but since autonomy is not illegal, it could be just a matter of time.

»At the moment, Filettino’s currency is not legal tender, just souvenirs. But the plan is for two fioritos to be worth one euro, and for this to be the only currency that can be spent in the shops and restaurants here. Business has always been slow in this sleepy town. But shop keepers hope the new money will bring new cash. “I’m sure that once we start using the new currency, the economic situation here will significantly improve. It’ll have a positive effect on tourism of course, attracting more people to the town,” says Paolo Cerrocchi, a shopkeeper.»

Est-ce bien sérieux ? RT termine en affirmant que cette initiative l’est effectivement et que Filettino a un atout dans sa manche : la ville est une source d’alimentation en eau de Rome et le maire a d’ores et déjà laissé entendre qu’il pourrait interrompre cette alimentation s’il n’obtenait pas gain de cause. Berlusconi doit se rendre à Filettino d’ici la fin du mois pour tenter de résoudre le conflit.

Est-ce bien sérieux (bis) ? On peut évidemment avoir les réactions habituelles qui sont de considérer, d’une part, qu’il s’agit d’une affaire “à l’italienne”, avec beaucoup d’agitation théâtrale pour obtenir quelques avantages sur fond d’éternelle combinazione, et d’autre part qu’il s’agit d’une formule économique peu viable, du moins dans le cadre théorique de notre système général. Ces deux réactions peuvent d’ailleurs se discuter dans l’autre sens, mais là ne nous semble pas être l’essentiel du propos.

…Au contraire, l’essentiel du propos est de retourner les données du propos : ce qui importe n’est pas l’initiative de Filettino mais bien ce qui a conduit à l’initiative de Filettino, c’est-à-dire la crise générale (en Europe, les dettes publiques engendrées par la crise financière, la crise de l’euro) et la réaction des pouvoirs politiques d’appliquer des plans d’austérité dévastateurs pour la population et les structures en place, sans aucune perspective autre que tenter d’écarter provisoirement une crise ; cela, alors que tout laisse à penser que, dans l'hypothèse si improbable où ce but d'accalmie temporaire était atteint, la crise redémarrerait vers un nouveau paroxysme à la première occasion, d’ailleurs alimentée par les contrecoup de l’austérité, et finalement parce qu’elle est fondamentale et structurelle et concerne un Système lui-même en crise terminale.

En “temps normal”, on ne donnerait pas cher de l’initiative de Filettino. Dans les temps exceptionnels qui sont les nôtres, on la considérera comme un soubresaut de plus, mais un peu plus construit, d’une résistance à la folie du Système. Cette résistance s’exprime comme elle peut, sans “feuille de route”, sans théorie, sans rien, mais l'évidence est bien qu'elle ne peut que continuer à s’exprimer, grandir, se diversifier, chercher des initiatives inédits, farfelues, exemplaires, efficaces, etc. C’est la poussée de la crise du Système qui y conduit et qui y force, et l'important n'est pas la considération qu'on peut avoir pour l’orthodoxie, la “rationalité” ou l'efficacité des actes de résistance. Ce qui importe, c’est le fait de l’acte lui-même, la façon dont il a lieu de plus en plus irrésistiblement, simplement parce que la “matière humaine” ne supporte plus la crise et ses conséquences dans ces conditions où le coupable et la cause de tout (le Système) sont présentés comme la seule issue possible à cette situation catastrophique suscitée par lui-même. Ce qui importe également, comme seul enseignement concret intéressant du cas Filettino, c'est d'observer que ces soubresauts et autres actes de résistance vont en général dans le sens de la dévolution, de la mise en cause systématique du pouvoir central parce que les directions politiques représentant ce pouvoir central et elles-mêmes principales courroies de transmission de la crise et asservies au Système, ne cessent par leur comportement de délégitimer ce pouvoir central et d'affaiblir ainsi le seul fondement impératif de son existence.


Mis en ligne le 13 septembre 2011 à 12H04