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1819La voix de Mikhaïl Gorbatchev est toujours intéressante à entendre ; nullement pour ce qu’elle représente, selon les normes-Système, du point de vue quantitatif (ce qu’ils nomment “point de vue démocratique”) puisque sa popularité, sinon sa notoriété, est quasi nulle en Russie, par les temps qui courent ; mais pour ce qu’elle exprime de son expérience en matière de troubles incontrôlables, et sa capacité psychologique à “ressentir” les grands courants des évènements.
Gorbatchev avait déjà averti que le courant connu sous le nom de “printemps arabe” et qui a très largement dépassé le monde arabe, pouvait toucher la Russie. Manifestement, Gorbatchev croit et craint à la fois que cela puisse être le cas cette fois, après les élections de dimanche. The Independent du 8 décembre 2011 rapporte l’intervention de Gorbatchev, en donnant des indications sur la situation elle-même.
«Mikhail Gorbachev, the leader who presided over the collapse of the Soviet Union, has called on Russian Prime Minister Vladimir Putin to hold new elections in the wake of this week's protests that have seen thousands of people take to the streets of Moscow and other cities. “More and more people are starting to believe that the election results are not fair,” Mr Gorbachev told the Russian news agency Interfax yesterday. “I believe that ignoring public opinion discredits the authorities and destabilises the situation.”
»Mr Putin's United Russia party won 49 per cent of the vote in Sunday's elections, but there have been widespread allegations of voter intimidation and fraud. On Monday night, about 8,000 protesters gathered in Moscow to listen to speeches from opposition leaders, while on Tuesday thousands gathered at Triumfalnaya Square. Over 500 people were detained by police on Tuesday and two opposition leaders have received 15-day jail sentences. Last night, trucks full of riot police stood guard on Triumfalnaya Square, the epicentre of protests, but not many demonstrators turned up and the evening passed largely without incident.
»The opposition is now planning a huge rally on Saturday, to be held at Revolution Square, just a stone's throw from the Kremlin. Moscow authorities have approved the protest, but set a limit of 300 participants.
»On Facebook and the Russian social network Vkontakte over 25,000 Russians said they would attend the meeting over the course of yesterday, with thousands of people confirming their attendance each hour. If even half of them show up, it will be one of the largest street protests in Russia since the fall of the Soviet Union. Groups were also set up for planned protests in cities across Russia. By yesterday evening, 3,500 people had signed up to rally on Saturday in the Siberian city of Novosibirsk, with another 7,000 saying they might attend.»
Bien évidemment, les évènements en Russie sont l’objet des attentions habituelles. Les dénonciations US sur la validité des élections, par la vertueuse Clinton, pathétique d’hypocrisie, ont été entendues à l’OSCE, vigoureusement contrées par Lavrov remarquant que le système US tel qu’il fonctionne ne lui donnait guère de crédit pour de telles critiques (voir Russia Today, le 6 décembre 2011). Les moyens d’influence du bloc BAO, également habituels, sont en action, toujours avec l’hypocrisie coutumière et systématiquement inculte, et souvent avec des déformations grotesques comme le cas assez convainquant que met en évidence Russia Today le 7 décembre 2011, concernant un “reportage” de Fox.News sur la situation “à Moscou”. Sur les images d’un incendie causé par des manifestants “à Moscou”, on voit un couple en tee-shirt, chose inhabituelle par les températures moscovites actuelles, ainsi qu’une inscription “Banque Nationale de Grèce”, évidemment en alphabet grec… Difficile de demander à un présentateur de Fox.News de faire la différence entre l’alphabet grec et l’alphabet cyrillique… D’ailleurs, il s’en fout.
«Yes, there are mass protests in Russia. Have been, since election day on Sunday. Thousands have been gathering to speak their mind and protest the election results. Yes, hundreds have been arrested. For two days in a row, and for various violations. Yes, there are reports of police brutality and no; right now it’s not possible to say whether they are true. It really does depend on the cops – much as it does anywhere else in the world. In New York, for example, some police officers will look the other way when you are filming somewhere you technically shouldn’t be; and others will detain you outside the United Nations building for no reason and refuse you your rights (and yes, all this did happen). Cops in Moscow are the same – some are nicer than others, while some appear to be almost looking for a fight.
»Regardless of all this – yes, there are protests. But this, my friends, is NOT them.»
La situation russe est devenue incertaine. Il y a les manifestations de protestation, et il reste à voir quelle ampleur peuvent prendre les contre-manifestations pro-Poutine. Il n’y a guère d’intérêt à spéculer sur les forces politiques organisées, sur l’inexistence des partis d’opposition, sur les calculs d’épiciers des forces sociales et politiques qui dépendent de la comptabilité-Système, sur l’aide officieuse des habituelles groupements de déstabilisation du bloc BAO. Tout cela existe mais rien de tout cela n’est décisif, car le fondement de la crise (partout) est psychologique et spirituel. Même si le conseil de Gorbatchev est largement discutable, sinon irréaliste (recommencer les élections), son analyse qui dépend bien de sa perception doit être prise en considération, essentiellement le jugement sur la “déstabilisation” («I believe that ignoring public opinion discredits the authorities and destabilises the situation.»).
Gorbatchev a toujours eu une position ambiguë vis-à-vis de Poutine. Sur le fond, il a considéré que Poutine a fait une œuvre remarquable de redressement et ce jugement reste constant chez lui. Sa perception est donc à cet égard intéressante, car elle ne vient pas d’un opposant sur l’essentiel. Pour autant, Gorbatchev n’a pas de réelle solution à proposer, puisqu’il en revient au refrain de la démocratisation. Comme l’ont montré et le montrent toutes les autres situations de désordre montant, y compris et surtout aux USA bien sûr, la démocratisation n’est pas l’issue ; elle ne l’est pas évidemment, parce que la “démocratisation” reste plus que jamais le faux-nez du Système, y compris aux USA sans aucun doute, – faux-nez qui dissimule mal ses magouilles (voyez lez traitement de Ron Paul aux USA, pour le grotesque courant). La “démocratisation”, ou fausse démocratisation en vérité, lorsqu’elle parvient à se développer comme dans quelques pays arabes, débouchent évidemment sur l’arrivée au pouvoir de partis (islamistes) qui sont, quels que soient les aménagements qu’ils présentent, foncièrement adversaires de la démocratie à l’occidentale puisqu’appuyés sur des principes qui sont étrangers, sinon hostiles à ce système. On les comprend, quand on voit où conduit notre Système et sa “démocratisation”.
Alors, quelle solution ? Conjoncturellement, on peut suggérer l’une ou l’autre voie, et, de ce point de vue, continuer à affirmer, avec une réelle justesse, que Poutine est encore, et de loin, ce qu’il y a de mieux pour la Russie aujourd’hui ; structurellement, par contre, aucune solution n’est concevable pour l’instant parce que c’est un Système entier qui s’effondre, et que ce Système est global, que tout le monde est touché, que toutes les solutions envisageables sont nécessairement conçues à l’intérieur du cadre global qui est celui du Système, donc par avance infectée par lui. Ce jugement n’est pas nihiliste ou cynique, il ressort simplement d’un constat ; les grandes forces métahistoriques à l’œuvre ont d’autres soucis que de s’inquiéter d’engendrer temporairement des constats de situations temporaires qui peuvent affoler notre raison en paraissant, temporairement et selon l’appréciation-Système, nihiliste et cynique… Contre ce Système, fondamentalement nihiliste et cynique, le contre-feu est de se montrer nihiliste et cynique par rapport à ce qu’il impose, ce qui est finalement et indirectement prouver et conclure une fois de plus qu’il est effectivement nihiliste et cynique.
Ce qui se passe aujourd’hui dans le monde, – on peut désormais employer ce terme descriptif, car même l’Asie avec la situation instable en Chine et détériorée au Japon est touchée, – est un mouvement général incontrôlable. La crainte de Gorbatchev, et sa crainte seulement (déstabilisation), est justifiée. Ce qui se passe n’a évidemment rien à voir avec les manigances des “révolutions de couleur”, toutes aussi bidouillées les unes que les autres. Les mêmes forces qui agissaient alors (en 2003-2005) sont toujours en action mais elles sont marginalisées parce que nous avons changé d’époque, selon une rupture (2008) qui est bien plus profonde que celle de 2001. Les forces qui alimentent ce qu’elles jugent être un “chaos créateur” favorable au bloc BAO n’ont qu’à nous faire considérer les résultats obtenus, y compris et d’abord aux USA, pour justifier notre jugement qu’elles sont des “idiotes utiles” du courant antiSystème qui parcourt le monde.
Notre temps est celui du désordre antiSystème qui dépend de forces supérieures, qu’on orne cela de mots qui flattent la raison en fournissant des explications au mieux accessoires et dans tous les cas impuissantes à décrire l’ampleur formidable du phénomène en cours (des mots comme complots, inégalité, niveau de vie, etc.). Notre époque est celle d’une révolte collective de la psychologie contre les conditions insupportables imposées par le Système, même à ceux qui le rejettent officiellement. C’est, selon notre point de vue, une vérité fondamentale. Pour le cas de la Russie, pays moins infecté que bien d’autres par le Système, on peut simplement relever le défi de la situation en cours en termes habituels de rétablissement de l’ordre, et lutter contre la contestation, avec la possibilité effectivement que la situation rentre dans l’ordre ; mais cette lutte épuisante et anémiante, et certainement sans gloire ni vertu d’unification, laisserait des traces profondes. L’issue temporaire la plus prometteuse autre que cette simple lutte contre le désordre qui monte resterait pour Poutine, plus que jamais à notre sens, un appel du Premier ministre devenu candidat à la présidence à la mobilisation, à la dénonciation des dangers extérieurs qui sont moins géopolitiques que systémiques, – la vision de cet enchaînement irrésistible de la crise d’effondrement du Système, – qui s’exprimeraient par ailleurs, effectivement, par la politique qu’on peut, qui est celle du durcissement contre les entreprises extérieures de ceux qui sont les plus proches du Système (le bloc BAO). Cette tactique est immémoriale, au point que Staline lui-même, et lui-même en pleine débâcle, avait réussi à l’appliquer avec succès à une URSS en cours d’effondrement un mois et demi après l’attaque allemande de juin 1941 (son discours fameux en appelant à la vieille et Sainte Russie) ; cela se nomme, en appeler à l’“âme russe” et, pour Poutine, cela lui donnerait la vertu de paraître comme le premier dirigeant à décrire publiquement l’ampleur de la crise qui conduit à l’effondrement de notre contre-civilisation. Au delà, pour la Russie comme pour the Rest Of the World, c’est l’inconnu. Il faut s’y faire.
Mis en ligne le 8 décembre 2011 à 08H48
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