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12 mai 2004 — Grand événement que ces constats signalés par un article du Guardian du 11 mai, sur l’évolution de la popularité des grands “produits” commerciaux américains. Quatre des plus fameux d’entre eux sont considérés : Coca Cola, Nike, MacDonald, Microsoft.
Le terme “produits commerciaux” n’est pas faux mais il est évidemment complètement insuffisant et réducteur. Ces produits portent une dimension culturelle et une dimension d’influence politique considérable. Ils sont un mode de vie, une “façon de voir le monde”, et l’un et l’autre évidemment américanistes, contre tous les modes de vie et façons de voir traditionalistes, identitaires, spécifiques, — aussi bien en Europe que dans les pays arabes ou en Asie. Depuis au moins trois-quarts de siècle, ce type de produits, de grandes marques symboliques autant qu’indirectement politiquement activistes, soutient et renforce continuellement l’offensive de l’influence américaniste vers le reste du monde. Il s’agit sans aucun doute d’une “guerre culturelle”, qui n’a rien à voir avec le “choc des civilisations” de Samuel Huntington, mais qui, à notre sens, le surpasse largement et irrésistiblement en importance et en conséquence. Ces produits sont des armes typiques, on pourrait presque dire “armes absolues”, de la déstructuration américaniste.
C’est dans ce contexte qu’il faut lire, avec le plus grand intérêt, les dernières nouvelles du front de cette guerre-là.
« Declining respect for American cultural values exacerbated by the crisis in Iraq is having a potentially disastrous effect on the image of US brands such as McDonald's, Coca-Cola, Nike and Microsoft, a new worldwide study of consumer attitudes has found. The number of people who like and use US branded products has fallen significantly over the past year, while brands perceived to be non-American have remained relatively stable.
» According to NOP World, which carried out the survey, a mixture of America's controversial involvement in Iraq, its handling of the “war against terrorism”, corporate scandals such as WorldCom and its failure to sign up to the Kyoto environmental agreement, have all had a profoundly negative affect on the perception of US culture and its major brands.
» Tom Miller, the managing director of NOP World, said worsening attitudes to the county's products could damage US business. “It's not like there's a massive boycott,” said Miller. “Instead, it seems to be an erosion of support. It's not falling off the face of the earth, but it is clearly a warning sign for brands.” »
Le caractère catastrophique des résultats présentés ici doit arrêter. Il s’agit sans aucun doute d'un événement exceptionnel. Cet événement représente, depuis les années 1920, la première occurrence d’un tel repli, d’une telle déroute des outils de l’influence culturelle américaine par le mercantilisme. Plus encore, c’est la première fois dans l’histoire que cet événement survient, puisque, avant les années 1920, aucun degré de pénétration du monde extérieur de cette sorte, avec une telle intensité politique et culturelle, n’existait.
Les résultats chiffrés sont effectivement impressionnants, et ils le sont évidemment lorsqu’on a à l’esprit que ces chiffres portent sur des centaines de millions de personnes :
« Until 2002, NOP found that brands such as McDonald's and Coca-Cola were notching up healthy annual growth in terms of use and familiarity in international markets. However, last year NOP discovered that the growth in popularity of all major consumer brands — including those from Europe and Asia — had stalled. Over the past 12 months the positive trend has gone into reverse, with US products hardest hit.
» NOP found that the number of non-American consumers who “trust” Coca-Cola had fallen from 55% to 52%, while McDonald's rating had slipped from 36% to 33%, Nike's from 56% to 53% and Microsoft had fallen from 45% to 39%. When people were asked about brands associated with “honesty”, Coca-Cola was found to have declined from 18% to 15%, McDonald's from 19% to 14%, Nike from 14% to 11% and Microsoft from 18% to 12%.
» The total number of consumers worldwide who “use” US brands was found to have fallen from 30% to 27%, while non-American brands remained stable at 24%. »
Il ne pouvait pas y avoir de nouvelles plus mauvaises, du point de vue américaniste : un mouvement de fond, non organisé, nullement brutal (« It's not like there's a massive boycott. Instead, it seems to be an erosion of support. »). Quand on considère l’année 2004 (l’Irak, les tortures), on imagine bien que cette tendance va s’accroître et s’approfondir. Il s’agit d’un changement fondamental par rapport à une caractéristique également fondamentale du “reste du monde”, l’américanisation obtenue par le mercantilisme à caractère culturel et politique de l’américanisme.
Les Américains vont-ils réagir ? Sans doute, mais nécessairement mal. Le mouvement de l’américanisation du monde par le mercantilisme n’a jamais été un complot, il n’a jamais été planifié ; il allait de soi, entraîné par sa masse, sur son aire, par ses arguments qui s’adressent à ce qu’il y a de plus faible et de plus bas dans le caractère humain. Ce caractère paradoxalement “naturel” lui donnait son efficacité, une sorte d’inéluctabilité. Si ce mouvement est inversé, aucune mesure consciente ne pourvoira à ce revers. Au contraire : les Américains vont prendre des mesures législatives (protection de leurs produits, pressions pour l’accès aux marchés extérieurs, etc) qui les rendront encore plus impopulaires ; ils vont prendre des mesures de promotion publicitaire dont on sait qu’elles sont, dans les périodes où la puissance US est contestée (c’est-à-dire où la menace de l’américanisation est perçue pour ce qu’elle est), d’une extraordinaire maladresse, avec effets contraires épouvantables (voir leurs tentatives “publicitaires” auprès des Arabes ces deux dernières années).