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984D’une façon générale, la rencontre de Genève entre, disons “la communauté internationale” (les trois de l’UE – Allemagne, France, UK – la Chine, la Russie et les USA) et l’Iran a donné d’excellents résultats. Il y a des résultats techniques tangibles. Il y aura d’autres rencontres en octobre. C’est une surprise mais ce n’est pas la vraie surprise.
La première “surprise”, la moins importante selon nous, est largement commentée. Prenons ce commentaire de Bruno Pellaud, ancien adjoint au directeur général de l’IAEA et président du Swiss Nuclear Front (une organisation favorable à la dénucléarisation), le 2 octobre 2009 sur Huffington.Post. L’appréciation porte sur les résultats techniques, jugés très importants…
«Surprisingly, besides agreeing on further meetings before the end of the month, the "Geneva Talks 2" resulted yesterday in a significant step forward, namely the storage abroad of most low-enriched uranium (LEU) produced so far by the Iranian centrifuges. The Obama negotiating team had the foresight to ask Iran to do so at an early stage of the negotiations, thereby confirming both its willingness to engage Iran constructively and its determination to be tough on the essential aspects of the Iranian nuclear threat. The move was brilliant.
»Why is this important? Because low-enriched uranium (some 4% enriched) is already a long way towards the weapon-relevant highly-enriched uranium (some 90%), much more than these two figures seem to indicate. In the physics of enrichment, it's like a pre-cooked cake, so well pre-cooked that a few minutes in the micro-oven suffices to bring it to the table. This has been called the “breakout scenario” – getting enough pre-cooked uranium openly under the eyes of the International Atomic Energy Agency, before kicking the inspectors out of the country and rushing to produce highly-enriched uranium.
»For the time being, this shipment to Russia of the stockpile of LEU eliminates the breakout risk. Some would argue that Iran would only send to Russia part of its LEU stockpile and keep hidden any past clandestine production of LEU. Not so easy. The IAEA would indeed detect such dissimulation, having kept track over time of the some 350 tonnes of raw uranium that Iran had purchased from Namibia in the seventies…»
Maintenant, ce qui est, selon nous, la vraie “surprise”, qui a tout à voir avec l’esprit politique qui précédait la rencontre, celui qui s’est révélé durant la rencontre, avec ce qui était prévu et ce qui s’est réellement passé. Contrairement à ce que Pellaud dit des dispositions techniques de l’équipe Obama vis-à-vis des entretiens, les Occidentaux se sont montrés tout sauf “brillants”. Ils ont été complètement pris à contrepied.
@PAYANT D’abord, il faut fixer l’état d’esprit. Nos sources, notamment dans les milieux européens, ne laissent aucun doute là-dessus. Les Occidentaux au moins partirent à Genève comme on part en guerre, convaincus qu’ils allaient à une confrontation d’où il ressortirait la nécessité, et la justification pour eux de leurs analyses, de passer directement à l’examen de nouvelles sanctions. Depuis deux semaines, les scénarios d'attaque fleurissaient à nouveau. En ce sens, les “discours guerriers” des uns et des autres qui avaient précédé, faits pour l’audience publique, correspondaient aux analyses officielles – ce qui s’appelle être pris au piège de sa propre vision virtualiste – ce qui ne peut étonner à la lumière de ce que nous disons du virtualisme. Ce fut le contrepied total.
La “communauté internationale” rencontra une délégation iranienne ouverte, arrangeante, volubile, prête à examiner toutes les objections occidentales, bref négociant avec entrain, optimisme et ardent désir d’arrangement. «Ce n’était pas une capitulation des Iraniens, dit une de nos sources, non, c’était un véritable entrain, une attitude offensive dans le bon sens, arrangeante, marquant un désir d’arrangement. Vues les dispositions d’esprit de leurs interlocuteurs, ceux-ci furent complètement pris à contrepied.» Effectivement, les Occidentaux surtout, furent pris complètement par surprise. Javier Solana confia à ses collaborateurs qu’il avait été «stupéfait». Les Iraniens, poursuit notre source, «ont du bien rigoler devant notre désarroi».
Ont-ils effectivement “rigolé”, les Iraniens? Oui, s’ils n’ont pas les intentions comploteuses et diaboliques, stupides et grossières que leur prête notre pensée générale réduite aux slogans virtualistes et résumée par cette obsession supposée chez eux: vite, vite acquérir une bombe pour enfin “rayer Israël” de la carte. Sinon, s’ils sont des gens plutôt normaux, il est logique qu’ils cherchent un arrangement. Ils manœuvrent pour cela, pour avoir le meilleur arrangement possible, et ils manœuvrent avec maîtrise, face à des Occidentaux complètement figés dans leurs slogans virtualistes. En plus de cela, la “communauté internationale” était bien mal organisée, sans doute parce qu’elle jugeait l’affaire entendue et les Iraniens jugés d’avance. Une mauvaise organisation fut que Solana apparut comme le principal interlocuteur des Iraniens, Chinois et Russes restant en arrière (sans doute avec quelques sourires rentrés) et les USA étant manifestement dans une position très discrète malgré l'importance symbolique pour eux de cette rencontre. La rencontre la plus productive à cet égard fut due à un hasard de table sans doute sollicité, parce que le délégué US Bill Burns se trouva à côté du chef de la délégation iranienne et discuta beaucoup avec lui.
La “communauté internationale” a donc reçu une leçon de psychologie élémentaire. Il n’est pas assuré qu’elle en ait compris l’essentiel, savoir qu’il est préférable de juger “les autres” non en se référant aux stéréotypes virtualistes, ni à des traductions faussaires (celles des discours du président iranien), mais aux réalités elles-mêmes. Il n’est pas assuré non plus qu’elle n’attribue l’attitude iranienne à l'effet de sa propre dialectique virtualiste. Mais cela est moins évident qu'on ne pourrait le craindre. Il existe désormais un certain malaise après cette surprise de taille et des questions sérieuses commencent à se poser sur le fond du problème de la vision de l’Iran par l’Occident. Comme nous l’observions dans un commentaire précédent, on s’agite sérieusement à Paris pour revoir le ton général des discours sur l’Iran et la politique iranienne, disons, en passant de la diatribe énervée à la raison mesurée.
La perspective la plus intéressante aujourd’hui est celle qui a déjà été effleurée par les Américains et qui est clairement exprimée par les Turcs: il s’agit de “dénucléariser” le Moyen-Orient. C’est-à-dire, non seulement empêcher les Iraniens d’avoir une bombe – mais ce qui s’est passé à Genève nuance l’appréciation apocalyptique de ce qu’on jugeait comme une “mission impossible” – mais, surtout, surtout, imposer à Israël d’entrer dans ce schéma d’équilibre et de paix – selon nos vœux si souvent répétés (à nous, gens de la “communauté internationale”).
Mis en ligne le 3 octobre 2009 à 12H00