La “WolfBank” et la raison

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La “WolfBank” et la raison


20 mars 2005 — Ceci est remarquable: le 17 mars, le site du Financial Times (FT) ouvrait une page pour un sondage auprès de ses lecteurs. Question simple : Wolfowitz est-il un bon choix pour présider la Banque Mondiale? État des réponses le 20 mars à 8H00: 614 “oui” (17%), 2959 “non” (83%). Le FT n’est pas réputé pour son anti-américanisme et son gauchisme anti-GW.

Dans le courriel qui ponctue ce sondage, deux commentaires qui nous font mesurer le degré de rancœur et de colère anti-américaine, aujourd’hui.

• La première est du lecteur Nick Cohen, du 18 mars, et elle nous dit ceci : « Those of us on the left who have been heartened by the rise of anti-American sentiment around the world and by the rise of anti-U.S. governments throughout Latin America and beyond can only take heart in the Wolfowitz nomination: this will only hasten the decline of the U.S. as an influential world power. Thank you George W. Bush and your neo-con gang: you are accomplishing for us what generations of activists have largely failed to do. »

• La seconde est du lecteur Stephen Wolfe, sans cousinage et du 18 mars également, et pour nous dire ceci : « I would have thought that an intelligent (?) paper would not ask such an absurd question. Wolfowitz is VERY bright but just as qualified to perform minor surgery as dabble in development. Get serious. It's an insult to the intelligence of the American people and a testament of the ''dumbing down'' of America that ANYone thought it was an appropriate choice. »

Passons maintenant au plat de résistance: Paul Krugman, dans sa chronique du 18 mars du New York Times(du 19 mars dans l’International Herald Tribune), et Julian Cole, également sa chronique du 18 mars), avec en appui un texte résumant l’émission Nightline. Féroces, tous ces textes, non pour Wolfowitz lui-même mais pour ce que lui et ses amis néo-conservateurs ont imposé à l’Irak, en matière économique.

Ils reviennent en détails sur la façon dont les néo-conservateurs ont engagé le problème économique de l’Irak, et notamment la question du pétrole le pétrole d’un point de vue complètement idéologique. Voici ce qu’en dit Krugman, parlant de Wolfowitz :


« Let's not focus on [Wolfowitz’] mismanagement. Instead, let's talk about ideology.

» Before the Iraq war, Pentagon hawks shut the State Department out of planning. This excluded anyone with development experience. As a result, the administration went into Iraq determined to demonstrate the virtues of radical free-market economics, with nobody warning about the likely problems.

» Journalists who spoke to Paul Bremer when he was running Iraq remarked on his passion when he spoke about privatizing state enterprises. They didn't note a comparable passion for a rapid democratization.

» In fact, economic ideology may explain why U.S. officials didn't move quickly after the fall of Baghdad to hold elections — even though assuring Iraqis that we didn't intend to install a puppet regime might have headed off the insurgency. Jay Garner, the first Iraq administrator, wanted elections as quickly as possible, but the White House wanted to put a “template” in place by privatizing oil and other industries before handing over control.

» The oil fields never did get privatized. Nonetheless, the attempt to turn Iraq into a laissez-faire showpiece was, in its own way, as much an in-your-face rejection of world opinion as the decision to go to war. Dogmatic views about the universal superiority of free markets have been losing ground around the world. »


Ce type d’analyse est celle qui vient aujourd’hui majoritairement à l’esprit lorsqu’il est question de cette nomination de Wolfowitz. Il s’agit donc d’idéologie, pas d’économie,  — « Instead, let's talk about ideology », dit Krugman lorsqu’il parle de Wolfowitz.

Effectivement, c’est là le principal phénomène de la nomination de Wolfowitz, plutôt que des questions de “stratégie tactique” (les USA américanisent encore plus la Banque Mondiale) ou d’angoisse tiers-mondiste (que va faire la Banque Mondiale pour les pauvres avec un directeur comme Wolfowitz ?). La nomination de Wolfowitz implique l’entrée, dans le jeu financier et économique, d’une pure pensée idéologique. Cela agace, voire angoisse nombre d’économistes ou de croyant en l’économie (voir les lecteurs du FT), persuadés pour beaucoup que l’économie est une “science”, dans tous les cas qu’elle est gouvernée par la raison, — alors que l’idéologie, pensent-ils, et surtout celle de Wolfowitz, n’a rien à voir avec la raison.

L’angoisse de ces économistes vient également de cette crainte de voir que l’action de Wolfowitz pourrait effectivement les conduire à constater, sinon admettre, que l’économie est gouvernée par l’idéologie et n’a que de très lointains rapports avec la raison. (Ils ne seront pas déçus.) C’est ce qu’on comprend lorsque Juan Cole, à propos du “néocon” qui conduisit l’Irak pendant un an, observe : « Paul Bremer, the second US civil administrator of Iraq is a fanatical laissez-fairiste » ; de même lorsque Krugman observe : « Journalists who spoke to Paul Bremer when he was running Iraq remarked on his passion when he spoke about privatizing state enterprises.  »

“Fanatisme”, “passion”, ces mots pour Paul Bremer valent pour Wolfowitz. Ce sont des mots pour idéologues, les hommes qui n’ont que faire de la raison pour peser les choses. L’idéologie est à la tête de la Banque Mondiale. On en reparlera.