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516A Washington, la décision d’abandonner les deux bases du BMDE en Pologne et en Tchéquie est passée comme une lettre à la poste. Il y a eu quelques protestations, souvent exemplaires d’exagération et de boursouflures, avec des images telles que “Munich” et “Chamberlain” (face à la Russie), venues des habituels bellicistes, et qui ont laissé fort peu de traces dans le climat général. Bien entendu, notre ami Nile Gardiner est au premier rang de ces maigres protestations, avec un nouveau billet, le 21 septembre 2009 dans le Daily Telegraph. La dénonciation est évidemment excessive, mais l’interprétation objective de l’événement est juste: Obama a cédé devant les Russes.
«The White House must think the American people were born yesterday if it believes they will buy the president’s claim that last week’s missile defence surrender had nothing to do with Russian pressure. As for the leaders and citizens of Poland and the Czech Republic, they have been contemptuously cast aside as expendable pawns on a Russian manufactured chess board. On CBS’s Face the Nation, Barack Obama responded to his critics by declaring:
»“So my task here was not to negotiate with the Russians. The Russians don’t make determinations about what our defense posture is. We have made a decision about what will be best to protect the American people as well as our troops in Europe and our allies. If the by-product of it is that the Russians feel a little less paranoid and are now willing to work more effectively with us to deal with threats like ballistic missiles from Iran or nuclear development in Iran, you know, then that’s a bonus.”
»Watching Obama’s performance, it was as if the ghost of Neville Chamberlain had reappeared claiming his Peace in our Time proclamation had nothing at all to do with Nazi German aggression and intimidation. No matter how hard the Obama administration tries to spin its shameful betrayal of American allies in central and eastern Europe, this was appeasement on a grand scale, the likes of which have not been witnessed since the late 1930s. Obama’s denials that Moscow’s opposition had dictated his decision were about as convincing as Gordon Brown’s ludicrous assertion that the freeing of the Lockerbie bomber had nothing to do with the Labour government.»
Furieux, Gardiner dénonce l’offensive de communication faussaire qui a accompagné la décision d’Obama pour faire passer celle-ci comme une simple évolution technique. Gardiner est, en matière de communication faussaire, par sa proximité avec les neocons, un incontestable expert. Il fait donc, en l’occurrence, une description parfaitement juste: «There has been a great deal of misinformation put out by the Obama team over the past few days claiming the decision to renege on its Third Site missile defence commitments was based on a reassessment of the Iranian threat, and the development of alternative sea-based missile interceptors. This is simply a smokescreen for what it cynically calls the “resetting” of relations with Moscow.»
Un exemple de cette intégration de la narrative officielle pour cette opération de retraite de Washington est donné par Nathan Hodge, du site Danger Room, ce même 21 septembre 2009. Le site Danger Room est connu, ou réputé pour son indépendance, malgré un parti-pris manifeste pour la politique “dure” de Washington. Dans le texte ci-dessous, il présente une réunion au Kremlin de Medvedev-Poutine, qu’il semble caractériser comme le Kremlin du temps de Brejnev – autant de spontanéité, de liberté d’esprit et de paroles – voire même, avec une spin machine encore plus améliorée, dans cette activité qu’on sait si étrangère à nos contrées démocratiques. Cela est dit à l’occasion de l’affaire de l’abandon du BMDE, où les Russes semblent être devenus de machiavéliques propagandistes, face à l’extraordinaire ingénuité, le sérieux et la franchise américanistes dans cette affaire. Sur ce dernier point, Hodge n’insiste même pas, tant cette ingénuité, ce sérieux et cette franchise semblent des vertus naturelles, qui se sont exprimées une fois de plus, comme allant de soi.
«It’s been an annual routine since 2004. Each September, the Russians invite a select group of international gasbags foreign academics, journalists and Russia experts to meet top leaders and policymakers; the visit traditionally includes an audience with the president. Last week’s forum must have been a real treat: They got to meet with Russia’s good cop (President and blogger-in-chief Dmitry Medvedev) and bad cop (super-villain Putin). The reset of U.S.-Russian relations and the future of arms control was a big topic of discussion.
»‘Danger Room’ didn’t get to sit down for lobster medallions with Medvedev (or calf tail in aspic with Putin). But we can’t help but marvel at the Kremlin’s new-’n’-improved spin machine. Last week, President Barack Obama announced a major shift in missile-defense strategy, scrapping the previous administration’s plans to station missile interceptors and radars in Eastern Europe.
»It was supposed to be all about making sensible decisions about technology — and confronting the threat from Iran. But in Russia, the whole episode has been portrayed rather triumphantly as a climbdown by the Americans…»
@PAYANT On trouve, dans ces deux textes, une opposition surprenante dans son contraste entre ce qui est devenu la narrative officielle (le BMDE liquidé parce que dans une version dépassée pour arrêter les missiles iraniens, rien à voir avec la Russie, etc.), dite dans ce cas sans même argumenter sur le point tant il s’agit d’une évidence; et, d’autre part, même si c’est pour développer une dialectique agressive et partisane, voire justement à cause de cela, ce qui est l’observation de bon sens, à son tour de l’évidence qui est effectivement celle du retrait du BMDE pour améliorer les relations avec la Russie. L’étonnant – ou peut-être non, après tout – est que la thèse de l’évidence est dite, répétée, martelée par le radical, proche des néo-conservateurs, Nile Gardiner.
Nous ne cherchons pas à discuter la thèse, tant elle nous paraît politiquement évidente – et réglée de ce point de vue. Depuis 2006, l’affrontement se poursuit entre les USA et la Russie sur cette question du BMDE. Tout l’establishment des experts répète, comme une volière de perroquets, que ce déploiement, de ce type d’engins spécifique, dans cette région bien particulière (Pologne et Tchéquie), est impératif. L’argument anti-iranien a très rapidement fait place, durant ces années, à l’argument de la nécessité d’un engagement US dans ces pays et en Europe de l’Est pour contenir ce qui était décrit comme la “nouvelle menace russe”, avec le sommet hystérique de la crise géorgienne (avec signature du BMDE avec la Pologne le 14 août 2008, unanimement décrit comme une riposte à ce qui était décrit comme l’“agression” russe). Des discussions, peu fructueuses évidemment, ont eu lieu pendant ces quatre années avec les Russes, en même temps que se manifestait cette tension, précisément sur cette question du BMDE. Les discussions portaient sur les rapports du BMDE avec les forces stratégiques nucléaires russes, impliquant, du côté US, que le BMDE pourrait avoir un rôle face à elle, mais que les Russes devaient accepter les assurances de bonnes intentions du côté US. La question fut donc clairement posée, sans ambiguïté, des relations Russie-USA comme principal cadre du déploiement d BMDE, l’évaluation des capacités iraniennes n’étant jamais un véritable enjeu.
Ainsi pendant quatre ans, dans tout l’establishment washingtonien, il ne fut jamais question, pour ce cas du BMDE, de l’alternative des croiseurs AEGIS, alors que cette option pour le réseau anti-missiles existait évidemment puisqu’elle est la principale envisagée pour la situation, notamment, du Japon face la Corée du Nord. Soudain, cette option apparaît miraculeusement – en fait, lors d’un séminaire à Huntsville, en Alabama, le 18 août 2009, rapporté par Rki Ellison le 27 août 2009. C’est le Pentagone qui avait organisé cette réunion, où est lancée l’idée d’une révision “naturelle“ du BMDE, où il n’est même plus fait mention des bases en Pologne et en Tchéquie. La nouvelle évaluation des services de renseignement est mise impérativement sur la table – l’une de celles dont Gates a écrit (voir notre Note d’analyse du 21 septembre 2009): «Having spent most of my career at the C.I.A., I am all too familiar with the pitfalls of over-reliance on intelligence assessments that can become outdated.» On a appris depuis que les services de renseignement avaient reçu, de ce même Gates et au nom de l’administration Obama, peu après l’élection du président, la consigne de revoir ses évaluations en fonction des propres évaluations du Pentagone sur la “découverte” que les systèmes à longue portée iraniens n’étaient pas en développement sérieux, et avec la recommandation que cette nouvelle évaluation correspondait parfaitement aux systèmes AEGIS. La solution du problème était suggérée fortement en même temps que l’énoncé du nouveau problème à résoudre.
Devant cette routine de manipulation pour habiller la décision du 17 septembre en simple et raisonnable ajustement technique d’une puissance sûre d’elle, et écarter sa dimension politique de concession faite aux Russes, la réaction de la communauté des experts washingtoniens a été époustouflante de cohésion. En l’espace de quelques jours, le binôme jusqu’alors inconnu (“menace” iranienne réduite-système AEGIS) est devenu une évidence qui ne nécessite aucune démonstration autre que cette évidence. Le système BMDE Pologne-Tchéquie, acclamé pendant quatre ans pour toutes ses vertus technologiques et politiques, est soudain apparu comme une démarche obsolète et dépassée, lourde, coûteuse, sans imagination, dont on se demande comment certains peuvent encore rechigner devant son abandon. Le contexte stratégique a été complètement déplacé, vers la défense d’Israël et du Moyen-Orient, là aussi comme une évidence qui gomme tout ce qui a précédé à propos de la sécurité de l’Europe de l’Est face à tous les dangers – principalement russe, avec l’engagement US qu’impliquait le BMDE initial. Il s’agit d’un phénomène de groupthinking, comme l’avait décrit John Hamre en septembre 2003, sans précédent par sa rapidité. Cette version bureaucratique du virtualisme a fonctionné à plein avec cette affaire du BMDE, pour écarter l’aspect politique peu glorieux pour les USA, au profit de l’aspect technique qui renvoie une image de mesure et de sagesse d’une puissance sûre d’elle-même (les USA).
On observe là une démonstration remarquable de la psychologie collective de la communauté des experts – dont la tâche principale est une appréciation critique en toute liberté de jugement des réalités stratégiques – marquée par l’application massive d’un conformisme issue des consignes officielles. On observe combien le processus psychologique est aujourd’hui dans un fonctionnement quasi-parfait, avec cette position totalement conformiste et conforme aux nouvelles consignes du pouvoir, présentée avec une conviction d’une force extrême, qui semble désormais une sorte d’automatisme transformant inconsciemment la position conformiste en une stricte application du devoir d’appréciation critique “en toute liberté de jugement des réalités stratégiques”. A cette occasion de l’affaire du BMDE, cette position virtualiste est encore plus impressionnante dans son affirmation que durant l’époque Bush – façon de manifester le “changement” promis par Obama.
Mis en ligne le 23 septembre 2009 à 06H29