L’abîme de la postmodernité

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L’abîme de la postmodernité

25 septembre 2020 – Dans son plus récent article 23 septembre 2020 (« And Then What ? – We daren’t not look into the Abyss », une traduction en français se trouve traduction en français de Réseau International), Alastair Crooke présente l’élection USA2020 dans des termes qui rendent bien compte de son importance que l’on dirait ‘cosmique’. C’est un premier point d’un très grand intérêt et d’une très grande justesse.

Un deuxième point concerne sa perception de la chose, à laquelle il consacre les premiers paragraphe du texte. Il y rend bien compte d’un caractère ‘étrange’ de cette élection USA2020, qui correspond si bien à notre ‘étrange époque’ parvenue à un tournant crisique ou à un sommet paroxystique de sa crise. Cela se passe en cette année 2020, dont nul ne contestera là aussi son caractère ‘étrange’, – parce qu’inhabituel, intensément crisique, imprévue et imprévisible, totalement inattendu si l’on songe à Covid19.

Voici Alastair :

« Le millénarisme laïque, – la croyance qu’une catharsis transformant l’histoire a le pouvoir d’effacer les crimes et les folies du passé, – a une longue et sanglant passé. Cette notion doit tout à l’origine à la religion. Les théories du ‘Progrès’ humain comme un continuum linéaire ascendant, conduisant inévitablement à ‘une meilleure fin humaine’, – aujourd’hui, la vision est enrichie du brio des promesses de ‘miracles’ technologiques, – n’ont jamais été des hypothèses empiriques. Il s’agissait toujours de mythes arrangés à dessein et répondant à un besoin humain de sens, mais manipulés sans précaution dans l’intérêt du pouvoir.
» Que font donc de tels mythes dans une élection présidentielle américaine moderne ? C'est assez étrange. Soudain, la politique américaine actuelle (dans l’ensemble) évite les promesses et les ambitions détaillées et se définit clairement comme une lutte manichéenne entre les forces de la lumière et des ténèbres ; de la liberté contre le despotisme ; de la justice contre l'oppression et la cruauté.
» L’élection n’est plus une ‘politique’, mais plutôt une ‘croisade’ contre le Mal cosmique, – qu’il s’agisse du Diable ou d’un démiurge malfaisant. Plus étrange encore, les deux camps semblent se refléter l’un l’autre dans cette intense passion, comme dans un miroir.
» “Article après article, les intellectuels et les militants libéraux parlent depuis des mois de la façon dont Trump pourrait voler l'élection ou refuser de quitter la Maison-Blanche même s’il perd. Mais si la droite ose souligner que les démocrates sont en train de changer les règles du processus électoral et qu’ils sont en train de parler publiquement de refuser de concéder même s’ils perdent, eh bien, cela prouve seulement que la droite va voler l’élection et refuser de concéder si elle perd !” (extrait de l’ article ‘Stop the Coup !’, du 9 septembre dans ‘The American Mind’).
» Que se passe-t-il ?
» Ce qui semble presque certain, c’est que l’élection sera immanquablement contestée soit par l’un des deux, soit par les deux grands partis. Une crise constitutionnelle majeure se profile à l'horizon... Et après ? Il y a l’abîme où nous n’osons pas regarder. »

Nous n’osons y regarder, de peur de ne rien parvenir à voir, de peur qu’il n’y ait rien à voir, de peur que nous ne comprenions rien à ce que nous y verrions ? Quoi qu’il en soit, cette remarque sur la vision de l’abîme ou des abysses marque bien, insiste bien sur l’importance historique colossale de cet événement, qui n’a rien d’un événement intérieur, ni d’un événement stratégique, et tout d’un événement rupturiel de civilisation. Mais ce constat qui est émis comme une hypothèse de conséquence, en est peut-être, – cela arrive presque comme par système  dans cette époque marquée par l’inversion, – la cause justement. On y trouvera finalement notre évidence, qui nous sollicite de toute sa force : c’est parce qu’il s’agit d’un “événement rupturiel de civilisation” qu’il a une “importance historique colossale”.

Son universalité commence à se répandre, non seulement chez les commentateurs antiSystème attentifs à la situation des USA comme situation civilisationnelle crisique mais également et d’une façon plus significative chez ceux qui s’en tiennent aux thèses des complots ou aux consignes du Système ; cela est perceptible non seulement du point de vue du climat psychologique mais aussi du point de vue des diverses situations (hors-USA) elles-mêmes pour ceux qui en rendent compte. En témoigne ce texte, d’un contributeur britannique au site TheBurningPlatform, repris par ZeroHedge.com. On sait que le texte original vient de UK puisque titré originellement « Letter from Robert in UK – “Let Me Explain” » ; ZeroHedge.com a modifié le titre à son goût (« “Let Me Explain What Happens Next...”, – A Reader Sums It All Up Very Ominously »). Le sujet abordé est la situation uniquement en fonction de Covid19, et la conviction de l’auteur que la direction politique se sert du phénomène pour installer un État répressif et policier, mais il faut aller loin dans le texte pour comprendre qu’il s’agit d’un texte d’origine britannique, parlant aussi bien de la situation britannique puisque l’élection du 3 novembre et ses conséquences selon l’opinion de l’auteur sont cités comme des événements fondamentaux et civilisationnels-crisiques.

« Il n’y a qu’une seule différence entre l’état d’oppression actuelle [du au Covid19] et l’oppression étatique totale : un changement dans le Zeitgeist.
» Ils ont besoin d’un événement qui changera l’état d’esprit des gens, – un événement ou une série d’événements qui nous font les craindre, ‘eux’. Un choc psychologique qui donnera à la police la conviction que le public juge que les choses vont si mal “qu’un peu de force est nécessaire” pour s’assurer que les choses ne dégénèrent pas. Et puis, comme par magie, les “restrictions temporaires” actuelles deviennent une oppression de l’État. Qu’est-ce qui pourrait changerla règle du jeu ? 
» Imaginez ce mois de novembre : il y a une centaine de villes aux États-Unis qui s’enfoncent dans ce qui semble être le début d’une guerre civile, alors que des patriotes tentent d’empêcher l’incendie que les Antifa veulent déclencher au cœur de l’Amérique populaire. Kamala Harris demande à l'armée d’“expulser” Trump parce qu'il refuse de quitter la Maison Blanche au motif qu’il a gagné le vote populaire alors que les bulletins de vote par correspondance étaient frauduleux. »

Bien entendu, ce qui nous intéresse dans ce passage est l’universalisation géographique de la perception des événements par la psychologie (‘Zeitgeist’) et nullement la thèse sur ‘Covid19 = oppression d’État’ ou pas (en Angleterre notamment et essentiellement pour le texte). C’est sous cet angle que Crooke développe son analyse, citant notamment Anne Applebaum, épouse de l’ancien ministre polonais Radek Sikorski au parler leste, historienne polono-américaniste autant antirusse qu’anticommuniste, commentatrice neocon du temps présent et collaboratrice du Washington Post.

« Le nouveau livre d’Anne Applebaum, « Twilight of Democracy », offre quelques indications importantes sur les racines de ce récit manichéen ‘ombre contre lumière’. [...] [Dans l’introduction], Ron Dreher l’éclaire de cette façon : “Elle commence son livre en parlant d’une fête du Nouvel An dans leur maison de campagne polonaise au tournant du millénaire. La Pologne avait été libérée du communisme depuis une dizaine d’années. Tout le monde était étourdi. Mais maintenant, la moitié des personnes présentes à la fête – ne parlent plus à l’autre moitié”. [...]
» Selon Applebaum, ce consensus anticommuniste clef a été rompu avec d’un côté les internationalistes libéraux comme elle – globalistes, progressistes sociétaux, pro-immigration – et de l’autre côté les populistes nationalistes, Polonais de “Loi & Justice”, Hongrois de Fidesz – et Trump. Le terrain du compromis a disparu au profit des deux extrêmes. [...]
» Ici, nous touchons à la racine du problème : Applebaum présente un monde où tout s’est inversé. Le conservatisme n’est plus conservateur et les radicaux cherchent plutôt à ‘conserver’ ce qui existe. Elle écrit : “La nouvelle droite ne veut pas du tout conserver ou préserver ce qui existe … Elle a rompu avec l’ancien conservatisme burkien qui se méfie de l’évolution rapide sous toutes ses formes. Bien qu’elle déteste cette phrase, la nouvelle droite est plus bolchevique que burkienne, des hommes et des femmes voulant renverser, contourner ou miner les institutions existantes, détruire ce qui existe”.
» Trump devient ainsi le dangereux révolutionnaire radical qui veut faire tomber tout ce qui est ‘bon’, qu’Applebaum définit comme laïque, libéral, capitaliste et mondialiste. Les membres de la “nouvelle droite” considèrent les institutions existantes (l’ordre mondial à l’américaine) comme une menace pour leurs traditions et leur souveraineté, et ont donc l’intention de perturber à la fois ces institutions et l’ordre mondial en tant que tel. [...]
» Krastev écrit que les “livres d’histoire très appréciés d’Applebaum sur le goulag soviétique et l’établissement des régimes communistes en Europe Centrale ont été son introduction historique à ‘l’inévitabilité de 1989. Pour elle, la fin de la guerre froide n’était pas un fait géopolitique mais un fait moral, un verdict prononcé par l’Histoire elle-même. Elle a tendance à voir le monde de l’après-guerre froide comme une lutte épique entre la démocratie et l’autoritarisme, entre la liberté et l’oppression”. »

Nous ne nous engageons certainement pas dans les hypothèses et les étiquettes, et les jugements politiques qui vont avec, que nous présente Anne Applebaum. On se doute qu’ils ne rencontrent guère notre perception, et surtout on peut être sûr qu’ils ne sont pas de la même nature que nos conceptions. Ce qui nous intéresse dans ces propos, ce sont deux constats de nature opérationnelle, portant selon nous sur la méthode métahistorique en cours, et non pas comme le voit Applebaum sur les débats historiques et idéologiques de Sapiens-Sapiens. (Pour nous, la chose est trop importante pour lui être laissée [à Sapiens-Sapiens].)

... Ce qui nous intéresse c’est qu’avec des perceptions et des conceptions si différentes de celles d’Applebaum, nous faisions volens nolens des constats similaires des processus fondamentaux en cours. Ils sont donc de deux sortes comme signalé plus haut :

• L’inversion, si caractéristiques de notre époque. Ainsi, l’inversion concerne les attitudes opérationnelles des conservateurs-traditionnalistes et des libéraux-globalistes. Bien que le contenu mentionné ici soit discutable, le processus d’inversion opère effectivement comme nous le constations nous-mêmes en bien d’autres occurrences. Du coup, les jugements spécifiques, notamment sur les faits politiques mais aussi culturels, sociaux et économiques, sont beaucoup plus délicats à poser dans de telles circonstances ; cela est d’autant plus exigeant qu’il existe des différences jusqu’à la contradiction entre le choix opérationnel tactique et le but fondamental stratégique.

• La marche vers les extrêmes et la nécessité de la destruction (déstructuration) forment un autre constat similaire. La marche vers les extrêmes est non seulement favorisée mais nécessitée par l’inversion qui se fait sous la poussée d’événements irrésistibles, et cette inversion devant être signifiée par des engagements extrêmement nets. Dans une telle mécanique nécessairement furieuse et très dynamique, toute possibilité de compromis, de ‘centrisme’ (le ‘centre’ lui-même est radicalisé), est complètement exclue. Cette tenson, cette polarisation extrême (selon nous, complètement hors des schéma classique que nous connaissons, droite-gauche, extrême des deux, etc.) impliquent parallèlement la nécessité de destruction de structures et d’institutions impliquant l’‘autre côté’, ou bien impliquant le compromis avec l’autre côté.

• L’exemple de ces deux points se trouve dans le résumé de la perception d’Applebaum : d’une part, elle juge que son ‘parti’ absolument progressiste et donc théoriquement en mouvement constant d’avancement est paradoxalement devenu ‘conservateur’ puisqu’il veut conserver la situation actuelle qui est celle d’une civilisation complètement déstructurée (détruite en un sens), par exemple et pour nous, et cela pour la phase terminale, selon un processus en marche au moins depuis le “déchaînement de la Matière”. Il y a donc inversion et destruction par extrémisme ; et l’autre côté doit être conduit à une riposte à mesure...

Il se trouve que l’on retrouve tout cela dans l’élection USA-2020. Cet à événement est à la fois un modèle, un miroir, un signe avant-coureur et une production de la Grande Crise d’Effondrement du Système (GCES). Il s’établit absolument sur l’inversion, l’extrémisme et la destruction-déstructuration.

« L’élection coup d’État »

Ces diverses réflexions absolument fondées sur la situation de l’élection USA202 se trouvent brusquement prolongées par un récent événement, une sorte d’‘October Surprise’ (un peu en avance sur l’horaire) comme l’on dit d’un événement sensationnel, provoqué ou venu de lui-même, qui influence l’élection du président des USA dans le mois précédent le premier mardi de novembre. Il s’agit bien sûr de la mort de la Supreme (comme l’on désigne également un Juge de la Cour Suprême), et ultra-progressiste Ruth Bader Ginsburg, – RBG, comme la désignent désormais les foules ‘antifascistes’ et progressistes-libérales chez qui elle est devenue depuis sa mort une héroïne-icône. L’événement est important en lui-même, mais on appréciera grandement qu’il est naturel (mort d’un cancer en phase terminale) et le résultat d’une maladresse due à la vanité, donc en rien le résultat d’un calcul ou d’une opportunité politique.

(RBG était malade depuis longtemps et la question de son maintien à la Cour, handicapée par un traitement très lourd, se posait depuis longtemps. En 2015, Obama lui proposa un remplaçant, pour éviter de laisser la nomination pour sa succession à un éventuel prédisent républicain ; BRG refusa, ne jugeant pas son remplaçant à son goût. « C’est Trump qui ramasse la mise », a dit un commentateur, un  peu légèrement lorsqu’il s’agit d’une mort ; mais le commentateur n’était pas un ami politique de RBG.)

Brusquement, la Cour Suprême devient un enjeu, et l’‘enjeu suprême’ bien entendu, par nature et conjoncturellement dans ce cas parce qu’elle joue nécessairement un rôle potentiel déterminant en cas d’incertitudes autour des résultats de l’élection présidentielle. L’équipe Trump a immédiatement compris que s’ouvrait une opportunité considérable pour elle : remplacer la personnalité la plus gauchiste de la Cour par une personnalité qui serait sans doute la plus conservatrice si l’on s’en réfère aux noms des favorites. Il faut certainement voir un rapport de cause à effet entre l’événement et la déclaration de Trump (conférence de presse) émettant des réserves sur l’automaticité de son acceptation de « tout vote qui irait à son encontre ».

Le site WSWS.org, de plus en plus virulent (« L’élection coup d’État ») à l’encontre de Trump, désormais fasciste en passe de devenir Hitler, précise dans la perspective de la désignation d’une Juge pour remplacer RBG, et effectivement avec des mots qui ne laissent aucun doute à cet égard (Hitler) :

« La détermination de Trump à nommer rapidement un nouveau juge à la Cour Suprême pour occuper le siège laissé par la mort de Ruth Bader Ginsburg est un élément essentiel de la conspiration criminelle en cours. Trump a l’intention de remplir la Cour Suprême de laquais qui approuveront sa répudiation des résultats de l’élection. “Je pense que cette élection va se terminer à la Cour suprême, et je pense que c’est très important que nous ayons neuf juges”, a déclaré Trump lors de la conférence de presse. »

Cette séquence d’événements a parallèlement placé les démocrates dans une position beaucoup plus délicate, d’autant qu’ils essaient en même temps de se distancier des troubles publics qui ne cessent de rebondir, de s’amplifier, etc. Sur ce point, à nouveau fureur méprisante de WSWS.org, excellent guide pour nous faire mesurer le degré de haine et de fureur en cours aux USA :

« La réponse pathétique du Parti démocrate et de son candidat à la présidence à la conspiration de Trump est déterminée, avant tout, par sa crainte que tout appel à la résistance ne déclenche un mouvement de masse venant de la base qui échapperait à tout contrôle et menacerait l’oligarchie capitaliste.
» Les démocrates craignent plus que tout une telle évolution. Ces quatre dernières années, ils se sont concentrés sur le détournement de l’opposition populaire à Trump derrière les conflits au sein de la classe dirigeante sur la politique étrangère, centrée sur la demande d’une action plus agressive contre la Russie.
» Laisser au parti démocrate la responsabilité de la lutte contre Trump ne peut conduire qu’à une catastrophe politique. »

Là, WSWS.org se laisse un peu emporter, comme c’est souvent le cas en ce moment. Il est un peu injuste de dire que les démocrates ont tout fait pour détourner « l’opposition populaire à Trump » alors qu’ils ne cessent d’appuyer les troubles publics depuis le 25 mai (antiracistes certes, mais antiTrump par conséquent, inutile de se cacher derrière l’arbre qui dissimule la forêt). Bien au contraire, les démocrates tentent aujourd’hui de se dégager (un peu) de leur soutien à BLM & Cie, sans trop le faire pour ne pas perdre leur important électorat noir et surtout progressiste-sociétal ; en même temps, ils sont coincés par la mort de RBG et la nomination probable d’une Juge de l’autre extrême, qui rendent leurs manœuvres lors de l’élection beaucoup plus délicates, en même temps qu’elles donnent un sujet de plus à leurs troupes manifestantes.

... Finalement, à cause de leurs emportements divers dus à la haine qui domine leur politique comme toute politique aux USA, les démocrates sont bien en peine, pour cette période qui mène à l’élection, de répondre à l’impératif de Anne Applebaum, qui sonne un peu comme la Longue Marche de Mao et montre que son parti n’est pas tout à fait et vraiment devenu ‘conservateur’ :

« Et si le progrès est “inévitable” et que le Parti Démocrate dirige la Grande Marche de la société pour préserver l’avenir, la “Marche” devient une lutte contre les forces réactionnaires qui s’opposent à l’avenir, et à l’Histoire aussi. Ainsi pour ceux qui s’opposent ou perturbent la Marche : “Combien il est nécessaire – et même noble – que le Parti démolisse ces pierres d’achoppement de la Grande Marche, et rende droite et lisse la route de demain”. »

Dans le cas général ainsi envisagé, nous fixons mieux la signification de nos remarques concernant l’évolution de la position de la Cour Suprême avec la mort de RBG et la probable nomination. On rappelle ces deux remarques :

« • La première remarque est que cette ‘victoire’ de Trump peut être considérée, dans un contexte plus général, objectivement comme un facteur d’aggravation de la situation . Il l’est par sa simple mécanique (nous voulons dire qu’il l’est à partir du moment où il existe, à partir du moment où Ginsberg meurt, quelle que soit la personne qui lui succède et quel que soit le moment de la succession). Par conséquent et effectivement, ce qui importe et aggrave la situation en aggravant la concurrence entre les deux factions, en donnant un nouveau motif d’antagonisme, en ouvrant un nouveau ‘front’, c’est tout simplement la mort de Ginsberg. L’événement attire l’attention sur la Cour Suprême dans une mesure extrêmement pressante et d’extrême tension comme tout aujourd’hui à ‘D.C.-la-folle’, en fait un objet de débat et d’affrontement, et attise la gravité de la situation.
» • La deuxième remarque découle de la précédente. Entrant obligatoirement dans l’arène de l’affrontement, la Cour ne va pas être une seule seconde le matador qui dompte le taureau, mais un chiffon rouge de plus pour attiser et aggraver sa fureur. (Le bison furieux étant le symbole de la crise intérieure des USA.) Désormais, tous les instruments du pouvoir central de l’américanisme, et symboliquement le plus haut, ‘le plus suprême’, sont des enjeux de la GC4G en cours. Il n’y a plus rien désormais de sacré dans le pouvoir américaniste, – même s’il ne s’agit que d’un sacré d’apparence, un simulacre de sacré. »

Il est vrai que nous terminions pour dire notre appréciation de ce sacré-là, de cette façon un peu leste : « Ainsi atteignons-nous la sacralité de la chose, pour nous apercevoir qu’il s’agit d’une sacralité-bidon. Le simulacre est bouclé. » Il n’empêche que pour les élites-Système et les divers zombies du genre, bref pour toute la mystique-Système et sa communication clinquante, cette sacralité mystique doit être préservée comme “pour de vrai”, et le simulacre dissimulé derrière un autre simulacre...

Ainsi l’affaire mettant en cause la Cour Suprême est une affreuse agression, peut-être l’ultime agression contre l’État de Droit per se que sont les USA (Germaine de Staël à Jefferson en 1816 : «Si vous parvenez à détruire l’esclavage dans le Midi, il y aura au moins dans le monde un gouvernement aussi parfait que la raison humaine peut le concevoir.») ; et cette notion d’État de Droit comme fondement de la modernité et le maillon le plus fort, le plus respectable, le plus objectif de la démocratie. (Toutes ces superbes appréciations, bien entendu, sans trop s’attarder aux hypocrisies diverses et aux simulacres innombrables qui encombrent leur opérationnalisation et les crimes qui en découlent ; nous sommes dans le domaine de la modernité, des vertus et des valeurs, donc nous filons droit.)

Si la Cour Suprême est précipitée dans cette bataille de chiffonnier, – et peu importe la faute à qui car tous sont coupables de ce crime de lèse-majesté ! – elle perd sa superbe faite de l’impartialité et de l’objectivité de la formule par excellence de la modernité : ‘Le Droit, ou la Loi en majesté, au-dessus de tout’. On comprend alors que cette affaire concerne toute la civilisation du bloc-BAO, les ‘valeurs’ des Lumières, le suprémacisme anglo-saxon, le déterminisme-narrativiste de notre étrange époque et toutes ces sortes de choses.

L’on comprend également, dans cette logique d’inversion-destruction, ce qu’Applebaum dit de juste, en partie et un peu par inadvertance car l’identification des acteurs et leur orientation est loin d’être évidente, ou bien s’agit-il d’une prémonition : « “La nouvelle droite ne veut pas du tout conserver ou préserver ce qui existe … Elle a rompu avec l’ancien conservatisme burkien qui se méfie de l’évolution rapide sous toutes ses formes. Bien qu’elle déteste cette phrase, la nouvelle droite est plus bolchevique que burkienne, des hommes et des femmes voulant renverser, contourner ou miner les institutions existantes, détruire ce qui existe”. »

La remarque est assez étonnante de la part d’une personne du parti d’Applebaum, qui veut avancer, qui veut écarter, détruire tous les obstacles, qui veut “conserver” ce qui est né il y a si peu d’une destruction, de la déconstruction que lui a inspiré, surtout aux USA, des conseillers éclairés de la French Philosophy. Il y a alors une curieuse rencontre entre les deux partis qui aujourd’hui déchirent la civilisation en croyant la sauver, tous soucieux de détruire même si pour des raisons infiniment opposées, et sans doute inconciliables mais qu’importe.

Est-ce cela que nous avons peur de regarder dans l’abysse qui va s’ouvrir à nous, alors que la destruction atteint les édifices ultimes et suprêmes de la modernité : le spectacle de la postmodernité en fureur, qui croyait sauver quelque chose de la modernité, et qui achève de la détruire, jusqu’à « la sacralité de la chose, » même si c’est] pour nous apercevoir qu’il s’agit d’une sacralité-bidon » ? Mais justement, ce serait bien ainsi que nous pourrions constater que « [l]e simulacre est bouclé », au fond de l’abysse.

... Ce qui conduit à une question peut-être grossière ou naïve, ou peut-être intéressante à étudier : la mort de BRG n’est-elle, pas dans l’ordre des chocs crisiques qui secouent cette année 2020, aussi importante, par exemple, que Covid19 ? ... Dans tous les cas, c'est au moins un signe du Ciel.