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228621 septembre 2017 – La première image qui me vient et me reste à l’esprit est celle, largement reprise, du général Kelly, le directeur de cabinet de Trump, tête baissée, le menton dans ses mains croisées, puis une main se cachant le visage pourtant toujours baissé, au moment où Trump commence son discours. On l’imagine complètement catastrophé, découragé, se répétant “Mais qu’est-ce qu’il est encore en train nous de sortir ?” A côté de lui, Melania Trump, le visage fermé, impénétrable, regardant elle aussi son mari, ou bien peut-être, – oui, à bien la regarder et pour peu que l’on ait l’imagination vagabonde, on pourrait voir se peindre sur ce même visage une question assez proche, du genre : “Mais qu’est-ce qu’il raconte, ce type ?” A la tribune, lui, il nucléarise la Corée du Sud avant de passer à l’Iran. Netanyahou bondit de joie !
Il y a aussi cet article de RT qui cite ce jugement de Lavrov à propos de l’intervention de Trump (« Un discours remarquable »), en évoquant une perspective idyllique où les USA et la Russie rétabliraient des relations normales parce que Trump a affirmé la nécessité du respect de toutes les souverainetés (de toutes les nations souveraines) dans les relations internationales ; puis martelant des réserves colossales et très inquiètes, Lavrov, implicitement très critique sur les interventions dévastatrices de Trump dans les passages de son discours sur les crises nord-coréenne et iranienne. (Désormais, il semble bien qu’il y ait une crise iranienne.) L’attitude de Trump est complètement incohérente à maints égards, et cela ne peut nous surprendre puisque sa “diplomatie” est de l’ordre de la télé-réalité : d’un côté, affirmant le principe intangible de la souveraineté des nations dans les relations internationales, de l’autre jugeant des comportements nationaux d’une manière distordue et complètement intrusive, voire en faisant la promotion du regime change dans le cas du Venezuela (et implicitement de la Corée du Nord, et sans doute l’Iran), sans le moindre souci de la souveraineté nationale.
Du coup, Macron paraît excellent lorsqu’il prononce son jugement sévère sur l’attitude de Trump vis-à-vis de l’Iran, – “excellent” lui, c’est dire ! Et aussi lors de sa conférence de presse, lorsqu’il rapporta des détails de son entretien avec Trump, justement à propos de l’Iran. Il expose à Trump l’argument qu’il est dangereux sinon absurde de mettre en cause l’accord actuel sous prétexte qu’il n’est pas parfait, sans prévoir une option de remplacement ; Trump a-t-il une telle option ? interroge Macron ; Trump répond que oui et lui expose son option de remplacement. Et Macron de commenter avec une franchise qui lui fait honneur dans cet instant : « Je ne l’ai pas comprise », ouvrant par là la voie à l’hypothèse pas si incohérente que Trump est un esprit incohérent et donc incompréhensible.
…Mais moi-même, qualifiant Macron d’“excellent” alors qu’il y a deux jours le site appuyait de commentaires approbateurs un portrait incendiaire et furieux de ce même Macron, est-ce que je n’alimente pas ce constat irrésistible de l’incohérence, qui vaut d’ailleurs dans la relativité extraordinaire qu’il expose pour tous les avatars de cette session de l’ONU résumant si bien le climat et la psychologie folle de cette époque catastrophique ? Qui peut encore prétendre être capable de ranger les choses et les actes des hommes, et par conséquent émettre un jugement durable et solide sur les hommes, d’une façon cohérente et soutenue, dans ce formidable tourbillon crisique ?
Tous les commentateurs commentent et tous les éditorialistes éditorialisent depuis deux jours sur ces interventions à la tribune de l’ONU et sur la situation ainsi créée, et moi je reste, bouche bée, la plume suspendue. Certes, la faute essentielle, sinon exclusive du point de vue de l’opérationnalité, en revient à Trump, qui a exposé d’une façon symbolique et tonitruante du point de vue de la communication le trouble et le désordre qu’il introduit dans les relations internationales, exactement à l’image de ceux qu’ils développent dans la politique intérieure de Washington D.C. depuis bientôt deux ans.
Mais encore une fois, Trump ne fait que mettre dans une lumière aveuglante, celle des spots de la télé-réalité, une situation qui se développe depuis des années et qu’on feint d’ignorer, ou qu’on n’a pas le courage de relever, ou qu’on est trop aveugle et d’une psychologie trop affaiblie pour s’en aviser. Comme l’on disait “le fou du roi”, Trump est “le fou du monde” qui nous fait accepter l’évidence que le monde est comme ce roi dont un enfant s’exclamait “Le roi est nu !”.
C’est pour cette raison que je crois inutile de proposer une appréciation acceptable et raisonnable de la situation du monde, impliquant que cette situation répond elle-même à des critères identifiables et compréhensibles par la raison comme acceptables et raisonnables. C’est impossible, tout simplement parce qu’il n’y a rien qui soit acceptable et raisonnable, selon l’entendement de notre raison courante et selon la logique des dynamiques en cours, dans la situation du monde de notre époque catastrophique. On comprend alors le choix, fait d’une façon tout à fait rationnelle, qui me conduit à cette analyse s’exprimant dans ces termes du refus d’une démarche intellectuelle appuyée sur une mesure du rangement des choses et des actes et un jugement durable sur les hommes, tout cela avec l’instrument de la raison qui se révèle dans ce cas impuissante et paralysée ; on comprend alors ce choix qui fait que ce texte ne figure pas dans une des rubriques du site comme il serait logique qu’il soit, mais dans ce Journal.dde-crisis qui est d’abord comptable de l’humeur de celui qui l’écrit.
Enfin, comment mieux ouvrir la perspective comme elle doit l’être pour terminer justement cette observation sur la folie de l’époque qu’avec ces quelques phrases à propos de cette invraisemblable initiative de la création d’un “comité”, – le Committee To Investigate Russia, ou disons le CTR pour rendre compte du sérieux de l’entreprise, – organisé par une association entre people d’Hollywood et neocons recyclés et plus ou moins officiels. ZeroHedge.com nous donne un bon résumé de l’affaire lancée par l’acteur et metteur en scène Rob Reiner, avec les neocons David Frum et Max Boot, l’ancien directeur du renseignement national (DNI) James Clapper, fameux pour ses dépositions mensongères mais sous serment au Congrès, et surtout, pour la sensation et la grotesquerie, la participation très active de la voie sentencieuse et mélodieuse, accompagnée du visage de vieux sage un peu retors et évidemment black, de l’acteur Norman Freeman.
Cet assortiment abracadabrant préside à l’encouragement d'une “chasse aux sorcières” très hollywoodiennes, sans sorcières mais avec des proclamations bombastiques sur l’agression russe et les activités guerrières russes (« We are at war with Russia », révélation centrale de Freeman), et tout cela dans une atmosphère prompte à la dénonciation rocambolesque. Hollywood parvenant à se rejouer le MacCarthysme complètement inverti, – ou la victime de l’Inquisition des années 1940 et 1950 devenue l’inquisiteur sexy et arrosé de millions de dollars.
Je ne sais toujours pas si Freeman est dans cette aventure pour la beauté de la cause ou pour son pesant de dollars, mais l’avis émis aux premières nouvelles de l’intervention (il n’était pas encore apparu qu’il s’agissait d’une association bel et bien organisée) reste complètement valable : « […L]’hystérie comme sagesse, présentée par le visage vénérable et rayonnant de Freeman, marqué des sillons d’une si rude expérience de la vie enfin arrivée à la libération du progressisme-sociétal (et antiraciste) en vogue à Hollywood (“Freeman” le bien-nommé puisque son nom signifie “homme libre”)... Le déterminisme-narrativiste à ce point nous conduit à déambuler dans un univers hallucinant. »
Eh bien à l’ONU c’était pareil, univers hallucinant, lorsque Trump prit d’assaut le pupitre, puis ce qui s’ensuivit, et tout cela n’étant en rien accidentel mais comme une description baroque et assez juste de l’époque où nous nous débattons, emprisonnés dans l’univers accouché par cette époque. Rien à faire, cette pensée lancinante ne cesse de me revenir : il est impossible, dans ces conditions, de faire œuvre de commentaire politique comme s’il s’agissait d’une situation objectivement observable pour ce que la raison voudrait y voir. Il y a, dans ce fouillis et dans ce fatras, des forces d’une puissance considérable qui sont à l’œuvre, qui brouillent tous les rangements qu’on pourrait concevoir, qui trompent les logiques, qui attirent les jugements dans des simulacres qui sont des labyrinthes. Le premier écueil qui attend le regard de l’honnête homme, c’est de comprendre et de mesurer cette forme insaisissable du simulacre dans le labyrinthe, pour tenter de l’écarter, pour tenter de saisir l’une ou l’autre vérité-de-situation qu’elle dissimulerait.
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