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18 mai 2007 — Le sommet Russie-UE du 18 mai doit désormais figurer comme un cas d’école de la mortelle paralysie de l’Europe à 27. La chose est présentée d’une façon inhabituellement ouverte par le Guardian, ce matin. La lecture du texte nourrit l’impression d’un “complot” des pays d’Europe de l’Est pour saboter ce sommet et, par conséquent, les relations entre la Russie et l’Europe en tant que telle. Si le terme de “complot” paraît un peu trop sombre et romantique, le processus effectivement suivi est celui-là.
«Germany's hopes of striking a new grand bargain between Russia and Europe, locking both into a close embrace for years to come, have been dashed before a crucial EU-Russia summit.
»As the German chancellor, Angela Merkel, flew to Samara on the Volga last night for dinner with President Vladimir Putin and to open today's summit, it was clear that the meeting was being hijacked by a long list of disputes focused on eastern Europe and the Balkans.
»Currently chairing the EU, Germany has prepared the summit as an opportunity to secure Russian agreements on energy security, human rights and climate change. But Berlin's wooing of Moscow has fallen foul of the worsening estrangement between President Putin and the west in recent months.
»Tension between Russia and the west, hostility towards Russia from the new eastern European members of the EU (and their suspicion of Berlin), and President Vladimir Putin's brash assertion of regained Russian power have all compounded the mood of gloom.
»Ms Merkel has won widespread plaudits this year for her steering of the EU. But Germany has a huge stake in the Samara summit and it looks like being a failure for Ms Merkel.
»The new EU member states of Poland and Lithuania have been arguing this week for the summit to be called off, and criticising the German preparations. For historical reasons, the east Europeans are highly sensitive to any sign of Germany cutting deals with Russia over their heads.
»The immediate cause of the impasse is a Polish veto on launching negotiations on what is known as the partnership and cooperation agreement, or PCA, between the EU and Russia — because of a continuing Russian ban on Polish meat imports.
»But the roots of the estrangement lie in the transformation of the EU with the entry of 10 central European and Balkan states since 2004 — all of them former Soviet satellites nursing grievances to varying degrees against Russia. Vladimir Chizhov, Russia's ambassador in Brussels, said the relationship was “more complicated” since the accession of Poland, the Baltic states, and other former Soviet dependencies: “Some of these countries continue to treat Russia in a peculiar manner.”»
Comme un contraste saisissant et significatif, on doit mentionner les échos de l’interview de Pierre Lellouche à Nezavissimaïa Gazeta, telle que la rapporte l’agence Novosti le 15 mai (merci à notre lecteur “Stéphane” de nous avoir signalé cet article, sur le “Forum” le 17 mai). Quels que soient les déboires de Lellouche par rapport à ses espérances ministérielles, il est certain qu’il parle en cette occurrence comme représentant semi-officiel de la présidence Sarkozy. Par ailleurs, ses déclarations sont en complet accord avec ce que nous avons pu entendre de lui courant mars, lors de réunions semi-confidentielles (à Bruxelles notamment) données pour informer certains cercles français (hauts fonctionnaires des questions de sécurité, industriels) des intentions d’une possible présidence Sarkozy.
«La Russie et le peuple russe ne posent pas de problèmes pour l'équipe du nouveau président de la République française, la coopération avec Moscou sera au contraire très étroite, a-t-il souligné.
»Pour Nicolas Sarkozy, la politique étrangère ne peut que suivre les principes de la “realpolitik”, mais il ne faut pas oublier les valeurs auxquelles la France demeure attachée depuis la Révolution, autrement dit les valeurs de la liberté, a rappelé M. Lellouche. Le responsable de l'UMP a rendu hommage à Vladimir Poutine pour avoir rétabli un pouvoir fort dans une Russie qui a connu une métamorphose difficile après la fin de la guerre froide. Mais il faut, a-t-il ajouté, contribuer parallèlement à la promotion de la démocratie et de la liberté en Russie.
»Interrogé sur la prise de position de Nicolas Sarkozy par rapport au règlement des conflits “gelés” postsoviétiques — au Haut-Karabakh, en Ossétie du Sud, en Abkhazie et en Transnistrie —, M. Lellouche a répondu que le nouveau président français avait besoin de temps pour étudier tous les dossiers avant de pouvoir prendre position. M. Sarkozy doit prochainement rencontrer son homologue russe Vladimir Poutine lors du sommet du G8, et ce sera leur premier contact, a-t-il relevé.
»S'agissant des relations avec Washington, Pierre Lellouche a fait remarquer que la France cherchait à développer des relations proches au maximum avec les Etats-Unis, au même titre qu'avec la Russie, tous deux ses amis.
»Quant aux projets américains de déploiement du bouclier antimissile américain en Europe, M. Lellouche a invité tous les Européens, y compris la Russie, à y participer, car le défi que ce système vise à relever est un défi commun aussi bien pour la Russie que pour l'Europe. Par ailleurs, il s'est dit étonné que les Américains soient les premiers à se préoccuper de ce problème qui concerne les Européens et les Russes plus que les autres.
»Pour Pierre Lellouche, le bouclier antimissile en Europe ne devrait pas faire l'objet de controverses avec la Russie, il devrait au contraire devenir un élément de coopération entre l'Europe, la Russie et les Etats-Unis.»
Laissons le fond (la politique russe, dont on a déjà parlé) pour la forme. Concernant le sommet, le terme “kidnappé” est bienvenu. Le Guardian est trop bien élevé pour dire crûment la réalité alors il biaise : «… it was clear that the meeting was being hijacked by a long list of disputes focused on eastern Europe and the Balkans». En réalité, la “longue liste de disputes…” ayant prétendument kidnappé le sommet désigne l’activisme des pays d’Europe de l’Est, quelques-uns sinon la plupart parmi les dix nouveaux, — les membres de la fameuse “New Europe” de Rumsfeld. Ce sont ces pays qui, d’une façon presque fatale si l’on prend en compte leur état d’esprit, aggravent toutes ces querelles — jusqu’au radicalisme du cas de la Pologne, opposant son veto à l’accord stratégique UE-Russie.
Péchés de jeunesse? Manque d’esprit de communautaire? Ce n’est pas du tout notre analyse. Cet activisme nationaliste anti-russe des pays de l’Est de l’UE représente aussi bien un atavisme régional et historique qu’un désintérêt affirmé pour la cohésion communautaire. Tous ces pays nous disent, certains tout à fait explicitement, qu’ils n’ont aucune confiance dans ces organisations multinationales européennes (l’UE mais aussi l’OTAN) pour assurer leur sécurité. Ils ont donc choisi l’option directe de l’Amérique. Par exemple, c’est l’argument des Tchèques et des Polonais pour traiter directement, sans passer par l’OTAN (ni, encore moins, par l’UE), avec les Américains. A l’égard de l’UE, ces pays ne se sentent aucune obligation de solidarité communautaire et ils agissent vis-à-vis d’elle selon le seul prisme de ce qu’ils jugent être leurs intérêts nationaux. Ils se trompent certes, comme ils se trompent lorsqu’il s’agit de leur confiance dans l’Amérique, — mais c’est leur affaire et c’est une autre affaire que notre propos. Le constat qui importe est celui de leur politique : leur entrée dans l’UE ne les a pas “européanisés”, elle les a “américanisés” par ce qu’ils jugent être une impérative démonstration a contrario. On jugera de l’ironie de la démonstration.
Puisqu’il s’agit, avec la sécurité et les relations avec la Russie, de l’aspect le plus important de la soi-disant “politique extérieure” de l’UE, le constat inévitable est que cette politique est mort-née. Ce n’est pas plus mal que la démonstration en soit faite pour ce sommet de Samara, alors que la question européenne change de contenu avec de nouvelles directions dans des Etats-membres essentiels (Sarkozy pour la France, Brown pour UK).
D’où l’intérêt de comparer à cette situation ce qui semble devoir être la politique russe de la présidence Sarkozy. Politique classique de la France, tenant pour axiome que la puissance russe, située où elle est, est quelque chose qu’il faut ménager et avec laquelle il faut s’entendre, avec laquelle il est de l’intérêt de la France de s’entendre. La vision est opposée du tout au tout à celle des pays de l’Est de l’UE. Le constat s’élargit donc : non seulement la “politique extérieure” de l’UE est morte à Samara mais il est bon qu’elle soit morte parce qu’il est désormais démontré qu’elle est impossible.
La politique européenne de la France est toute tracée. Il faut faire un traité minimal pour en finir avec la paralysie européenne qui permet aux activismes prédateurs de s’ébattre impunément. Il n’est plus question de Constitution. Il faut disposer des outils européens qui marchent et les influencer dans leur fonctionnement au plus proche des intérêts français. Pour le reste, c’est-à-dire l’essentiel, et en choisissant l’exemple qui nous occupe, il y a une politique russe de la France qui n’a rien à voir avec le salmigondis européen.
Nous parlons du cas français parce qu’il est d’actualité et qu’il est évident en raison de la politique d’indépendance de ce pays, — ce dernier point impliquant que la France ne le céderait à l’Europe en matière de politique fondamentale que si l’Europe est capable de transcrire une politique européenne indépendante réaliste et enrichissante, — ce qui n’est pas le cas. Evoquer le cas français à cette lumière, c’est aussi indiquer, de façon plus vaste, que la perspective est, plus que jamais, celle des nations européennes évoluant pour leur compte à part de l’Europe et, au mieux, utilisant les outils européens à leur avantage. Parmi ceux-ci pourrait naître la possibilité d’arrangements intermédiaires.
La conclusion est imposée par l’évidence de l’impuissance de cette Europe à 27, formule-suicide de l’idée d’une Europe s’affirmant au plus elle grandit. Il apparaît notamment évident que l’Est de l’UE n’a rien à voir avec son Ouest originel et qu’on doit en revenir, et qu’on en reviendra très vite pour cet Ouest originel à des idées de “petite Europe”, qu’on nomme cela “noyau dur” ou n’importe quoi d’autre.