L’administration Obama en “phase ukrainienne”

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L’administration Obama en “phase ukrainienne”

Sputnik.News ne se prive pas de signaler un article de l’importante revue politique US The National Interest, s’interrogeant avec inquiétude à propos du comportement de dirigeants de l’administration Obama et, en général, de l’atmosphère qui règne dans cette administration vis-à-vis de la crise ukrainienne. Des personnalités telles que l’inévitable Victoria Nuland ou le vénérable général Dempsey font grand bruit sur la place publique en faveur de livraisons d’armes dites létales, mais plutôt à désigner comme “offensives”, aux forces armées plus ou moins régulières de l’Ukraine-Kiev. Sputnik.News donne en français ce résumé de l’article de The National Interest, le 21 mars 2015 :

«Le président américain Barack Obama a perdu de toute évidence le contrôle sur ses conseillers clés dans les questions concernant la situation en Ukraine, notamment une éventuelle livraison d'armes létales à Kiev, constate [...] The National Interest. [...] [L]e comportement de certains fonctionnaires de l'administration américaine “n'inspire pas confiance”, parce qu'au lieu d'essayer de persuader le président de la nécessité de prendre une décision, ils préfèrent promouvoir directement leurs propres intérêts à l'insu du chef de l'Etat. [...]

»[The National Interest] admet que des querelles et des divergences sur la politique étrangère arrivaient auparavant au sein de l'administration américaine, mais que la situation quand les plus proches collaborateurs du président s'appliquent à promouvoir une décision qui n'est pas encore adoptée est à la fois “inédite et alarmante”. Et le fait que les militaires américains en la personne du général Breedlove dénaturent sciemment l'information pour influer sur la Maison Blanche aggrave encore plus la situation, conclut [la revue.]»

L’auteur de l’article de The National Interest, James Carden, développe ses arguments essentiellement en s’appuyant sur des informations venues de la presse allemande, notamment du Bild Zeitung et de Spiegel, notamment pour impliquer Nuland et Breedlove dans des activités qu’il juge dommageables sinon faussaires, avec des accusations de manipulation de l’information et de désinformation contre Breedlove, à partir du fameux article du début mars du Spiegel. C’est un point intéressant à signaler qu’un article de cette sorte (celui de Carden) dans une revue de grande réputation à Washington, article mettant en cause des personnalités publiques et officielles US en charge de la politique d’un domaine essentiel de la sécurité nationale, soit développé à partir de sources publiques d’une presse non-US. Nous donnons ici quelques extraits de cet article de Carden, dans The National Interest du 22 mars 2015, – introduction et conclusion de l’article, l’essentiel du développement étant constitué de renvois aux articles allemands déjà signalés et dont il a déjà souvent été question en Europe (... avant que des journalistes washingtoniens, dans tous les cas Carden, ne s’y intéressent).

«A high-profile campaign by three well-regarded think tanks (Brookings, the Atlantic Council and the Chicago Council on Global Affairs) urging President Obama to send so-called defensive weapons to Kiev recently kicked off a surprisingly intense debate inside the Beltway over the wisdom of such a policy. Former government officials and academics acting in a very public manner to try and influence administration policy one way or another is par for the course and is, especially when it results in a substantive debate over the merits of a given policy choice, a very good sign that democratic discourse is not dead in Washington—at least not yet.

»The debate over whether to arm Kiev is raging inside the Obama administration as well, and it is here that the behavior of some of the president’s men and women has been somewhat questionable. Unlike former high-office holders ensconced in multimillion-dollar ivory towers off of Massachusetts Avenue NW, current government officials reporting directly to the president of the United States might consider keeping their own counsel (or at least, conveying their counsel privately), rather than publicly trying to corner Mr. Obama into endorsing a policy for which he may rightfully have reservations. [...]

»A high-profile campaign by three well-regarded think tanks (Brookings, the Atlantic Council and the Chicago Council on Global Affairs) urging President Obama to send so-called defensive weapons to Kiev recently kicked off a surprisingly intense debate inside the Beltway over the wisdom of such a policy. Former government officials and academics acting in a very public manner to try and influence administration policy one way or another is par for the course and is, especially when it results in a substantive debate over the merits of a given policy choice, a very good sign that democratic discourse is not dead in Washington – at least not yet.»

... On observera d’autre part que cette référence à des articles non-US pour mettre en cause des officiels de haut rang de l’administration US constitue le signe de l’exceptionnelle pauvreté de l’information US à propos de la crise ukrainienne, de la pauvreté même de la politique US dans cette crise puisque cette politique n’est même pas portée à l’attention de la presse-Système (avec les aménagements d’usage) par l’administration comme c’est souvent le cas pour une crise de cette sorte. Plus qu’aborder le sujet spécifique de l’Ukraine, cette remarque conduit surtout à mettre en évidence, à souligner une situation générale où se mêlent indifférence allant jusqu’à la paresse intellectuelle, perception chaotique de la situation internationale, éventuellement censure en général sous forme d’autocensure, etc., – c’est-à-dire, pour résumer tout cela, un aspect de l’immense désordre caractérisant le système washingtonien dans son ensemble, dans ce cas la partie de la communication dans le sens le plus large. D’une façon générale, et sans qu’il faille incriminer une censure quelconque (comme on l’a vu, elle existe, mais à notre sens elle ne joue nullement un rôle central), il y a une véritable dissolution du système de la communication washingtonien, même considéré du seul point de vue de son efficacité-Système au niveau du fonctionnement professionnel et commercial... L’absence d’intérêt (que nous devons effectivement qualifier de “paresse intellectuelle” dans le sens de la fermeture de l’esprit), l’absence d’information et même d’information censurée dans le sens d’une orientation en faveur du Système, créent un vide qu’il faut bien combler à un moment ou l’autre quand il apparaît, comme c’est le cas ici, qu’il y a un problème dans le fonctionnement du système de pouvoir à Washington. Ainsi se retrouve-t-on dans une situation complètement inédite pour ce centre de la communication qu’est Washington de devoir se référer à des sources inhabituelles, non-US, qui sont justement allemandes, et des articles de la presse-Système allemande montrant un de ces rares moments d’affirmation antiSystème qui est apparu courant février-début mars.

Il est bien vrai que la situation, qu’on a souvent décrite dans ces colonnes, d’un Obama n’exerçant guère de contrôle sur son administration, celle-ci dérivant vers une cacophonie d’initiatives de divers centres de pouvoir, – il est bien vrai que tout cela constitue une occurrence très inhabituelle et dangereuse du point de vue du Système. Il est absolument vrai, comme l’observe Carden, qu’une telle situation n’a jamais existé à Washington avec une telle intensité, avec une transparence (!) si limpide. Les diverses querelles internes, tensions entre différents pouvoirs, différences de conceptions, etc., au sein d’une administration US ont, elles, toujours existé ; certains pourraient même arguer que c’est une condition saine et logique du bon fonctionnement de la direction politique du système de l’américanisme, où les différences tactiques d’application de la politique et de la stratégie doivent être confrontées pour constituer une synthèse tactique opérationnelle acceptable pour tous à l’intérieur de ce système de l’américanisme. Mais cette sorte de débat doit se faire dans la discrétion et, surtout, sous l’autorité suprême qui importe. Dans le cas exposé ici, on se trouve devant une situation complètement différente : le débat est public, hors des structures de l’administration, soumis fondamentalement aux pressions du système de la communication dans tous ses aspects, de la corruption vénale à la terrorisation des esprits ; il est public alors qu’il n’est même pas développé en interne (Nuland agit seul et de son propre chef dans l’affaire ukrainienne,depuis 2013 et son arrivée au poste d'assistante du Secrétaire d'Etat pour les affaires européennes), donc sans le moindre contrepoids réaliste et opérationnel qui permettrait de dégager une synthèse interne acceptable au sein du pouvoir ; enfin, certes, ce "débat” est hors du contrôle de la Maison-Blanche alors qu’il semble nécessairement l’engager puisque la fiction du pouvoir suppose le contrôle suprême du président. Cela implique effectivement une position très dangereuse pour la présidence, selon les développements de la crise, avec des décisions pouvant être prises qui seraient sans aucun rapport avec les exigences de la situation et la logique politique exigée.

Cette situation du pouvoir à Washington, désormais actée du point de vue de la communication par cet article de The National Interest, illustre une situation générale de dissolution particulièrement évidente dans cette crise ukrainienne. Elle explique en bonne partie la position très spécifique des USA, considérée sur le long terme depuis février 2014 : un activisme extrême au niveau des pouvoirs concernés, surtout dans leurs échelons intermédiaires (le Pentagone en général, mais surtout Breedlove en Europe, Nuland pour le département d’État avec quelques ambassadeurs, et bien entendu l’activisme quasiment automatique et absolument proliférant des agences et services d’action et de renseignement). Ainsi la politique développée est-elle purement et simplement la politique-Système dans toute sa surpuissance, sans aucune considération d'autorité et de légitimité pour la nuancer. (C'est notamment ce point qui rend la crise ukrainienne si importante, si significative, si représentative de la “crise haute” du Système, – ce fait que rien ne vient entraver ou nuancer la surpuissance du Système.)

Il est très possible sinon probable que les Russes comprennent en partie cette situation en tant que telle, comme on les a déjà vus particulièrement sensibles à de tels aspects du comportement américaniste-occidentaliste, notamment à l’OTAN (voir l’attitude de Rogozine dès 2008, comme rapportée dans notre Glossaire.dde du 26 février 2015). Les Européens sont pour l’instant complètement aveugles à cette réalité, étant eux-mêmes confrontés à de graves problèmes de l’exercice du pouvoir, et bien qu’ils aient avec Minsk2 l’exemple même de l’absence totale d’un pouvoir américaniste cohérent et légitime, y compris dans un sens négatif d’ailleurs (le pouvoir américaniste n’a pas participé à Minsk2, mais il n’a pas non plus réussi à bloquer Minsk2, ni même à compromettre efficacement sur le terrain une sorte d’application approximative de l’“esprit de Minsk2” qui impliquait d’abord la fin des hostilités).


Mis en ligne le 23 mars 2015 à 11H12