L’“affaire Chen” et les coutume postmodernistes

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L’“affaire Chen” et les coutume postmodernistes

Nul ne tarit de qualificatifs assez catastrophiques sur l’effet de l’“affaire Chen”, l’activiste chinois Chen Guangcheng, qui s’est réfugié à l’ambassade US puis a connu diverses péripéties alors qu’une délégation US de 200 spécialistes, Hillary Clinton en tête, se trouvait à Pékin pour une rencontre capitale pour les relations sino-américanistes. Il s’agissait pour les USA et pour la Chine, comme le dit un expert cité plus loin, d’aménager de nouvelles relations pour que “les deux côtés s’adaptent au statut en pleine affirmation de superpuissance de la Chine”. Le résultat immédiat en termes de gestion de cette affaire est justement qualifié de “catastrophique”, essentiellement pour les USA. Le prudentissime Monde, – lorsqu’il s’agit d’élever la moindre critique contre les USA, – parle avec audace de «désastre diplomatique pour Washington», ce 4 mai 2012.

«A quelques mois de quitter le département d'Etat, Hillary Clinton aurait sûrement préféré échapper à une situation aussi délicate. Alors qu'elle participe à Pékin à un sommet avec la Chine, en compagnie du secrétaire au Trésor, Tim Geithner, et d'une délégation de 200 officiels, l'affaire du dissident Chen Guangcheng a tourné au désastre diplomatique pour les Etats-Unis et exposé le gouvernement à une tempête de critiques.»

Laissons les arcanes de l’“affaire Cheng” pour envisager d’abord, avant de s’essayer à un commentaire, les appréciations qu’en tirent certains experts. En effet, la coïncidence de cette affaire avec les entretiens cruciaux sino-américanistes nourrissent des soupçons, – alors que, d’autre part, il faut constater qu’il y a l’explication qu’il est de bonne tactique pour un dissident d’exploiter pour son cas et celui de son statut une circonstance où toute l’attention est justement braquée sur le lieu où il intervient et sur le pays vers lequel il se tourne. Quoi qu’il en soit, l’un n’exclue pas l’autre, et l’évidence des circonstances peut aussi avoir donné des idées…

Soit, voyons les supputations que nous rapporte Russia Today à cet égard, le 4 mai 2012. L’ancien analyste de la CIA Chris Johnson, actuellement du très convenable Center for Strategic and International Studies, estime qu’il y a effectivement des arguments pour nourrir l’opinion de ceux qui jugent que cette affaire vise à empoisonner les relations entre la Chine et les USA («For the conspiracy-minded in Beijing, and there are plenty of them, they will see these things as completing the circle of a US containment strategy designed to stifle China’s rise…»). Cet avis est développé par le journaliste Francesco Sisci.

«Columnist Francesco Sisci told RT that it was very possible that somebody “tried to plant the scandal as a thorn between the US and China” and that the blind activist must have had help to escape captivity. “If it was orchestrated they must have had the support of the local police and maybe also someone in America,” said Sisci. He emphasized that China-US relations were entering a “tricky time” with both sides adapting to China’s growing status as a global superpower.»

La thèse inverse est soutenue par un professeur chinois de l’université de Bristiol, Zhang Yongjin, interrogé par le même RT. «“Given the high stakes in the strategic and economic dialogue that was to be held in Beijing just before the évent [Cheng seeking shelter in the US embassy after escaping house arrest], I don’t believe this was a conspiracy,”he said.

»But while viewing the timing of the event as a “coincidence”, Zhang says “the Americans probably didn’t play this very smartly” by agreeing to take Chen into their compound. “On the surface, this is sort of an embarrassment for the Chinese. But when Chen Guangcheng came out and said he was disappointed by how the Americans had dealt with this, it became an embarrassment now more for the United States than for China really," he added. Zhang also says that Beijing’s “low profile” and “relative reticence” regarding the case proves China is not going to let it get in the way of more important matters.»

Une autre thèse est que l’affaire profite essentiellement à l’opposition US contre l’administration Obama, essentiellement Romney le candidat “officiel” du parti républicain.

«US President Barack Obama’s opposition has also seized on Chen’s case, branding it as indicative of his weak foreign policy. bama’s Republican presidential competitor Mitt Romney has branded the administration’s treatment of Chen Guangcheng’s case as a “failure.” “The reports are, if they are accurate, that our administration wittingly or unwittingly communicated to Chen an implicit threat to his family and also probably sped up or may have sped up the process of his decision to leave the embassy," Romney said at a campaign event on Thursday. He added that if reports were true, “it’s a day of shame for the Obama administration.”»

Dans ce dernier cas, les hypothèses “complotistes” prennent une autre allure et rencontrent un courant assez naturel, où le “complot” côtoie presque intimement les coutumes naturelles de notre époque postmodernistes. Dans ce cas, le “complot” a tendance à se marier finalement avec une forme nouvelle, devenue normale, des relations internationales, fondée sur le moralisme comme thème universaliste, sans le moindre respect pour la souveraineté, et représentant par conséquent une force “naturelle” (selon les conceptions postmodernistes) et naturellement active, sinon activiste, contre les États souverains. Il suffit alors d’orienter cette force toujours en action dans un sens prémédité pour obtenir un effet politique intéressant.

Effectivement, le républicain Mitt Romney a constitué une équipe de politique de sécurité nationale très fortement influencée et manipulée par les néoconservateurs, adversaires acharnés des diverses puissances extérieures qui peuvent entraver l’affirmation de puissance des USA vue selon l’axe fait avec Israël ; parmi ces puissances, il y a bien entendu la Chine. D’autre part, ces mêmes neocons sont les maîtres de l’influence subversive, par la manipulation du soft power, des instituts à extension internationale, des organisations dites “non gouvernementales” et autres moyens d’action basés sur le catéchisme humanitariste, etc. Ils ont ainsi joué un rôle important dans les “révolutions de couleur” d’Europe de l’Est et au-delà en 2002-2005, en manipulant ces divers moyens de déstabilisation, d’ailleurs soutenus dans ce cas par les autorités US (particulièrement le département d’Etat) et divers canaux privés regroupés autour de l’un et l’autre milliardaires (de Murdoch à Soros, disons). Il est bien entendu concevable que l’“affaire Cheng” ait été en bonne partie activée par cette sorte de canaux ; il est bien entendu concevable que les neocons y aient joué leur rôle, y voyant un moyen de mettre l’administration Obama en difficulté, au profit du candidat Romney dans cette année d’élection présidentielle.

D’une façon générale, on relève une fois de plus combien les moyens diplomatiques classiques, traitant de questions que l’on suppose essentielles, sont absolument vulnérables aux pressions du système de la communication lorsque l’arsenal des “valeurs” chères à la postmodernité est activé habilement. Ce jugement vaut d’ailleurs pour l’“affaire Cheng”, qu’il y ait eu “complot”, simple manipulation par impulsion ou démarche spontanée. Dans ce cas et pour cette fois de façon visible, on observe combien la partie US, instigatrice constante de cette sorte de pression, se révèle elle-même extrêmement vulnérable au système qu’elle a si fortement contribué à développer. (La remarque vaut d'autant plus que, lors de ce déplacement à Pékin, les USA étaient en position de demandeurs et ne tenaient surtout pas à irriter la Chine avec une polémique sur les droits de l'homme, sujet que les Chinois n'apprécient guère lorsqu'il s'accompagne nécessairement d'une intrusion manifeste dans la souveraineté nationale.)


Mis en ligne le 5 mai 2012 à 11H42

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