L’Afghanistan, champ fécond de la mésentente “spéciale” UK-USA

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L’Afghanistan, champ fécond de la mésentente “spéciale” UK-USA


4 février 2007 — Triste cadeau d’adieu pour le général britannique David Richards, qui doit passer son commandement de l’ISAF (contingent OTAN en Afghanistan) à son supposé collègue et ami, le général Dan McNeil, U.S. Army. Pendant ce temps la “bataille de Musa Qala” est supposée faire rage ; disons qu’elle fait sûrement rage entre Britanniques et Américains, peut-être encore plus qu’entre forces de l’OTAN et talibans.

Musa Qala est une petite ville, une bourgade de la zone du Sud de l’Afghanistan où opère le gros du contingent de l’OTAN, et où les Talibans sont les plus actifs. Les Britanniques étaient parvenus à un accord avec les dirigeants tribaux de la ville et les talibans. Cet accord stipulait que les Britanniques évacueraient la ville et que les dirigeants tribaux, les “vieux sages”, feraient partir les talibans. Musa Qala semblait être devenu, pour les Britanniques, un modèle d’arrangement, même s’il s’agissait d’un arrangement délicat, pour le rétablissement d’une situation normale.

Le site The First Post rappelle l’affaire, dans son édition du 2 février :

«Musa Qala was held by British paratroopers through heavy fighting this summer. In October a ceasefire was agreed through village elders that both the British and the Taliban should leave the centre of the town, which would be run by the elders. The deal involved President Karzai himself, and British commanders as well as local leaders.

»The ceasefire held, at times uneasily, while Britain's allies, principally the Americans, accused British commanders of being soft and allowing the Taliban to use Musa Qala as a weapons dump and a sanctuary for its fighters.

»Early today, the Taliban moved into the town and smashed a tractor into the police station. Nato surveillance aircraft have reported Taliban marauding through the town burning and looting compounds. Witnesses say most of the elders have fled.

»There had been fighting and tension for more than a week. The elders had demanded that a known Taliban commander, Mullah Gaffur, leave the town. Nato bombers then carried out a precision strike on his house, but he left a few minutes before they bombed. Surveillance aircraft then tracked his car, and last sighted it abandoned in a ditch. The elders put a price on his head and told the Taliban around the town to surrender weapons.»

Quelle que soit la situation opérationnelle à Musa Qala et son évolution désormais, cette affaire est surtout intéressante parce qu’elle met en évidence l’exceptionnelle mésentente régnant actuellement entre Américains et Britanniques concernant la tactique, voire la stratégie à l’œuvre en Afghanistan. L’affrontement entre Richards et McNeil est sanglant : «McNeil told Richards's staff that the Musa Qala deal was “a tactical mistake — and a strategic disaster.”»

Ce matin, Kim Sengupta, de The Independent, signalait que l’OTAN s’apprêtait à lancer une offensive de reconquête, au moment où l’on prévoit une saison de printemps marquée de furieux combats, sinon décisive. (Mais le terme “décisif” est souvent employé dans le cas de l’Afghanistan.)

«British forces and their Nato allies were preparing yesterday to retake a town in Helmand province that had fallen to the Taliban, signalling the start of what may be the decisive showdown in Afghanistan.

»General David Richards, the outgoing British commander of Nato forces in Afghanistan, declared he would not allow the insurgents to stay in control of Musa Qala, overrun last week by Taliban fighters, who destroyed government buildings and abducted opponents. The takeover was a setback as southern Afghanistan prepares for a bitter struggle for control, with British troops in the forefront.

»British officials were clearly caught off guard. Just a few days earlier Brigadier Jerry Thomas, commander of the Royal Marines in Helmand, and Nick Kay, the UK regional co-ordinator for the province, were hailing a deal last year in Musa Qala — under which British troops withdrew in return for a guarantee of security by tribal elders — as a model for other such agreements.

»The decisive fighting will encompass a much wider area. Nato and the Taliban recognise that the next few months will be the most crucial in the conflict. Both sides are promising spring offensives, and both know that failure will have huge strategic consequences.

»The Taliban proved during 2006, the bloodiest year in Afghanistan since 2001, that they are back, especially with the use of suicide bombers. But they also suffered big losses during a summer and autumn of ferocious combat, after claiming they would capture Kandahar and then making the mistake of taking on Nato firepower in conventional warfare. In the Pashtun south, the overwhelming belief is that the Taliban must carry out a much-promised assault to preserve their credibility.»

Quelle définition pour “coopération” ?

Certes, le cas est simple mais surtout il est important et il ne peut être ramené au seul cas de la ville de Musa Qala, même si Musa Qala en est une excellente illustration. Il y a le constat que la coopération entre les deux alliés, entre Britanniques et Américains, est devenue un problème central. Dans le cas de Musa Qala, face aux accusations des Américains jugeant les Britanniques trop “soft”, les seconds répliquent en mettant en accusation les méthodes bien connues des forces US, — ce que nous pourrions aussi bien nommer la stratégie “boum, boum, boum!”. Dans le cas de Musa Qala, la mésentente est éventuellement concrétisée par le fait que les Américains ont réalisé des attaques aériennes un peu trop rapidement, et d’ailleurs en ratant l’objectif. («The elders had demanded that a known Taliban commander, Mullah Gaffur, leave the town. Nato bombers then carried out a precision strike on his house, but he left a few minutes before they bombed.») Inutile de dire qu’avec McNeil, les méthodes vont changer et les habitants de Musa Qala, talibans ou pas, vont mesurer la différence.

Mais laissons la situation spécifique à Musa Qala. Ce qui se passe en Afghanistan, entre Britanniques et Américains, semble être d’une réelle importance. L’OTAN résonne, discrètement mais avec insistance, y compris à Bruxelles, des échos de la mésentente entre les deux alliés. UK et USA sont, comme on le sait, liés par des “relations spéciales”. Dans ce cas, la mésentente est, elle aussi, “spéciale”. Elle a largement dépassé le cadre afghan et diffuse dans toutes les structures otaniennes. C’est aujourd’hui une affaire importante à l’OTAN, presque une crise rampante, qui affecte particulièrement le climat de l’organisation.

Des sources militaires britanniques (hors OTAN) confirment l’importance du cas. Elles observent que l’Afghanistan met en évidence que la coopération militaire entre les deux pays, tant au niveau technique qu’au niveau des conceptions, est dans un état pathétique.

L’importance évidente que la campagne afghane a prise pour les Britanniques les a placés dans la position où ils entendaient établir une coopération sérieuse avec les Américains, et non pas l’habituelle sujétion qu’ils ont toujours pratiquée. D’une certaine façon, l’Afghanistan est un test. C’est à cette occasion que les Britanniques découvrent que cette coopération avec les Américains n’existe pas, qu’elle se réduit effectivement au seul niveau de la sujétion d’eux-mêmes (les Britanniques) pour les Américains.

Les Britanniques ont-ils raison ou ont-ils tort dans le cas afghan et à Musa Qala? Là n’est pas la question qui importe, de même qu’il faut dépasser le problème afghan. L’essentiel est l’évolution possible des Britanniques vers le constat de l’impossibilité de coopérer avec les Américains à l’heure où cette coopération tend à devenir la doctrine centrale de leurs forces, à l’heure aussi où ils s’engagent dans certains domaines dans une unité d’équipement qui implique, dans les conditions à venir, une coopération réelle (le programme JSF par exemple). (Le constat de l’impossibilité de coopérer devrait être rapidement confirmé, s’il ne l’est déjà, car il n’y a rien à attendre des Américains. Pour ces derniers, le mot “coopération” n’a pas la même signification qu’en général. Il s’agit évidemment de sujétion.)

Si l’on se trouve dans le domaine militaire, on comprend qu’une situation d’une telle gravité implique une dimension politique qui va acquérir une grande importance. Il importe alors d’en considérer les conséquences dans un cadre politique élargi, dans un cadre dont les réalités sont déjà peu encourageantes :

• un réel désenchantement britannique concernant les special relationships, à l’heure où Tony Blair est proche de quitter la direction du gouvernement ;

• un engagement irakien de plus en plus pénible et les perspectives particulièrement affligeantes d’une possible attaque US contre l’Iran.

On ne dira pas que les Britanniques vont vers des révisions déchirantes car de telles prévisions font trop appel à une raison dont ces relations sont, du côté britannique, singulièrement dépourvues. Mais on observe, en les plaignant de plus en plus, que ces mêmes Britanniques semblent continuer à se rapprocher du point et du moment où le calvaire de leurs relations de sujétion avec les USA deviendra insupportable.