L'Afghanistan, de l'URSS à nous

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L'Afghanistan, de l'URSS à nous

Avant “notre” Afghanistan, comme chacun sait, il y a eu “leur” Afghanistan. Nous avons signalé, hier 4 novembre 2009 un texte de Victor Sebesteyn, dans le New York Times, qui est basé sur des comptes-rendus déclassifiés de réunions de la direction soviétique à propos de l’Afghanistan, lors de la décision du déclenchement de l’intervention (26 décembre 1979) jusqu’à la période Gorbatchev où l’on cherchait un moyen de se désengager.

Certains lecteurs ont signalé, en commentaire d’un autre texte de ce même 4 novembre 2009, diverses thèses et analyses donnant une approche bien différente de la nôtre (crise incontrôlable, chaos, etc.) pour expliquer la situation actuelle, avec de grandes thèses géopolitiques, des explications de “Grand Jeux” divers à peu près aussi compliqués et incompréhensibles (nous parlons pour nous, bien entendu) que l’incroyable complication incompréhensible (nous parlons pour nous, bien entendu) des ethnies, intérêts, bandes, imbrications, frontières fausses et vraies, trafics, manipulations, oléoducs et gazoducs, pays-“stan” divers, et ainsi de suite, qui caractérise la région. Bien sûr, nul ne peut trancher, entre l’appréciation du chaos d’une part, et la description des grands desseins cachés et particulièrement de ceux des maîtres du monde d'autre part, puisque tout se passe sous nos yeux et que les événements n'ont encore rien dit de leurs dimensions cachées, et s'il y en a. Par contre, on peut revenir sur le passé, car là, surtout avec les documents soviétiques déclassifiés, toutes les cartes sont sur la table.

D’un côté, ce que nous disent ces documents de la réalité de la position soviétique: une intervention décidée dans l’urgence par un pouvoir politique sur la défensive panicarde, qui craignait le renversement d’une “marionnette” pro-communiste et inefficace à Kaboul, la prise du pouvoir par les islamistes (déjà alimentés en armes, prémonitoirement dirait-on, par la CIA sur ordre de Brzezinski, depuis août 1979), la contagion dans les républiques musulmanes de l’URSS où des incursions de moudjahiddines afghans avaient déjà lieu, dans une URSS aux abois à cause de sa situation intérieure. (Ca ne vous rappelle rien, ce “aux abois”?) Contre cette intervention, on trouvait les services d’habitude partisans enthousiastes de l’expansionnisme, des coups fourrés et des manipulations, etc., soit l’Armée Rouge et le KGB.

De l’autre côté, notre interprétation (“nous”, à l’Ouest) de cette intervention à l’époque, notre explication, nos analyses géopolitiques, etc. Deux jours après l’intervention soviétique du 26 décembre 1979, le brave Jimmy Carter déclarait qu’il en avait appris “plus sur l’URSS et ses intentions expansionnistes” en 24 heures qu’en trois ans de présidence. Il faut dire qu’il était briefé par son conseiller en sécurité nationale – Zbig Brzezinski, l’homme des “Grands Jeux” – devenu le conseiller favori alors que la “colombe” Cyrus Vance, le secrétaire d’Etat qui pensait que l’URSS n’avait pas vraiment d’intentions agressives, était complètement en perte de vitesse et allait démissionner quatre mois plus tard pour protester contre la tentative (avortée) d’une opération militaire US pour délivrer les 59 otages de l’ambassade US de Téhéran pris par les étudiants iraniens khomeinistes – il y a vingt ans aujourd’hui à un jour près (le 4 novembre 1979).

Zbig estimait que l’intervention de l’URSS en Afghanistan préludait, d’une part, à une pression déstructurante sur le Pakistan, avec manipulations des diverses ethnies, qui allait faire basculer le Pakistan dans l’orbite soviétique, tout cela jusqu’à menacer la Chine avec l’aide de l’Inde; d’autre part, à une invasion de l’Iran par l’Armée Rouge à partir de l’Afghanistan fraîchement repris en main, là aussi avec diverses manipulations ethniques, pouvant déboucher sur la prise de contrôle, en prime, des champs pétrolifères saoudiens. (Dans la foulée et en bon allié zélé, et aussi par faveur pour le côté sentimental pro-musulman hérité de la tradition du colonel Lawrence, le MI6 britannique décidait de toute urgence de donner toutes ses archives secrètes sur le parti communiste iranien aux khomeinistes. Cala permit à la république islamiste iranienne de Khomeini de décapiter d’un coup et de désintégrer ce PC iranien, consolidant décisivement son emprise sur le pays.)

Zbig se précipita au Pakistan et jusqu’en Chine en février 1980 pour mobiliser tout le monde contre cette offensive finale soviétique, ce “Grand Jeu” de la lutte finale, avec Patchounes manipulés dans tous les sens, qui allait faire basculer dans l’orbite de l’URSS le centre de gravité et bien au-delà de ce qu’il baptisait désormais “l’arc de crise”. Harold Brown, au Pentagone, fit aussitôt dresser des plans sur le thème: que pouvons-nous faire contre l’attaque prochaine des Soviétiques en Iran? Un article sensationnel de Armed Forces Journal de mai 1980 (du rédacteur en chef Benjamin Schemmer, l’un des hommes les mieux informés alors sur le Pentagone), révéla que le Pentagone n’avait pas de forces conventionnelles suffisantes et serait obligé de recourir au nucléaire tactique pour tenter de stopper les Soviétiques. Déjà on commençait à organiser pour les années à venir, si nous survivions à l’attaque soviétique et évitions la “troisième dernière”, le nouveau commandement Central Command couvrant la zone du Moyen-Orient jusqu’au sous-continent indien dont la création venait d’être décidée par Carter.

Pendant ce temps, Moscou expliquait que son intervention n’était faite que pour défendre les “acquis socialistes” en Afghanistan du gouvernement pro-communiste de Kaboul – quelques recettes marxistes-léninistes adaptées à la sauce locale, une police politique à la main lourde et des actions sociales anti-islamistes, notamment la fin du port du voile obligatoire pour les femmes (cela vous rappelle quelque chose?). (Il est utile de préciser qu’entretemps, la “marionnette” inefficace avait été liquidée, le 27 décembre 1979, par des Spetsnatz investissant le palais présidentiel, et remplacée par un nouvelle “marionnette” qu’on espérait plus efficace.) Un diplomate britannique, un finaud spécialiste du “Grand Jeu” à qui on ne la faisait pas, avait flegmatiquement ironisé, commentant l’explication soviétique: «Alors, c’est une offensive de défense?» Zbig avait bien ri, parce qu’à lui non plus, on ne la faisait pas. (Il est évident qu’à partir de la démonstration qu’il fit à l’époque de son intelligence des intentions soviétiques, Zbig est absolument qualifié pour être désigné comme le cerveau manipulateur universel derrière nos grandes manœuvres du “Grand Jeu” dissimulées par notre chaos insondable, et organisé en écran de fumée, en Afghanistan. Dans notre système, on se réfère toujours à l’incompétence d’hier comme argument pour justifier l’excellence supposée d’aujourd’hui.)

Cela rappelé, allez à nouveau relire les documents des délibérations des dirigeants soviétiques – à l’époque – mais peut-être peut-on évoquer l’hypothèse d’une auto-désinformation de ces mêmes dirigeants soviétiques délibérant entre eux, pour dissimuler leur “Grand Jeu”? Avec, en bout de piste, Gorbatchev réussissant la ruse finale de nous faire croire à la fin de l’URSS en désintégrant l’URSS… L’époque était déjà, pour les penseurs occidentaux, régie par le principe fameux : “Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?”. En vérité, la réalité nous a toujours horriblement agacés – “Plus ça change, plus c’est la même chose”.

 

Mis en ligne le 5 novembre 2009 à 10H05

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