L'Afghanistan et les contradictions d'Obama…

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L'expression de “changement dans la continuité” est une spécialité bien politique (et bien française, d’ailleurs: Giscard l’avait employée en 1974, Sarkozy au début 2007). Elle indique qu’on voudrait ou devrait changer complètement une politique sans trop le paraitre; ou bien qu’on devrait montrer à la fois le visage du changement et le visage de la continuité et qu’on ne le peut pas complètement pour aucun des deux; qu’on espère changer tout de même et que cela se voit; qu’on espère également être perçu comme maintenant une politique et ainsi de suite… Comme on s’en doute, cette situation contradictoire et potentiellement très déstabilisante de politique générale concerne aujourd’hui le cas Obama.

Ces derniers jours, c’est-à-dire encore les premiers jours de l’administration, plusieurs actes et décisions, diverses rumeurs ont montré qu’Obama a placé l’Afghanistan comme une priorité importante de son gouvernement. Il s’agit bien entendu de l’intensification de la guerre.

• Une attaque de drone US contre un objectif au Pakistan a eu l’approbation explicite du président. Le Times annonce la chose, le 23 janvier 2009, avec une plume satisfaite: «Missiles fired from suspected US drones killed at least 15 people inside Pakistan today, the first such strikes since Barack Obama became president and a clear sign that the controversial military policy begun by George W Bush has not changed.»

• Le même jour (voir le 23 janvier dans le Times) est annoncée la nomination de Richard Holbrooke comme “envoyé spécial” du président pour l’Afghanistan et le Pakistan. Holbrooke devient l’homme fort des USA pour le conflit, une sorte de “pro-consul” comme les USA en affectionne. Sa nomination va marginaliser les autres directions, notamment internationales, et essentiellement le rôle de l’OTAN dans la part qu’elle exerce dans le contrôle du conflit. Holbrooke est connu depuis les années comme un adepte de la manière forte dans la “diplomatie” (selon la définition du Times: «Mr Holbrooke, America's former UN ambassador and the architect of the 1995 Dayton peace accords in Bosnia, is a hard-charging, big beast in US diplomacy.»). L’arrivée de Holbrook éclaire d’une étrange lumière la conception que l’équipe Obama peut avoir d’un “retour à la diplomatie” (avec moins d’utilisation des moyens militaires), en mettant en piste un diplomate particulièrement adepte des pressions les plus diverses, éventuellement militaires, pour faire céder les autres. Sa nomination implique des affrontements sévères avec la direction afghane, jusqu’à un départ éventuel de Karzaï, et avec le Pakistan. Fidèle à lui-même et encouragé par les commentaires musclés qui ont salué son arrivée, Holbrooke devrait suivre sa méthode habituelle, faite de brutalité et de pression. L’on aura avec lui, pour l'état d'esprit, une sorte de nouvelle “époque Rumsfeld” en Afghanistan. Le précédent et ses résultats ne sont pas encourageants.

• Hier 25 janvier, The Independent publie une analyse de Kim Sengupta et de Raymond Whitaker, qui observent que les USA pourraient se retrouver isolés, dans la mesure où leurs alliés semblent bien peu intéressés par une implication plus grande dans le conflit. Les deux journalistes nous donnent une appréciation de la situation dans ce conflit, du côté des puissances alliés.

«Having received a briefing on his first day in office from General David Petraeus, the top US commander in the region, Mr Obama is preparing to meet his military chiefs to decide on the size and shape of the Afghanistan reinforcements he promised during his election campaign. The chairman of the joint chiefs of staff, Admiral Michael Mullen, said just before Christmas that up to 30,000 more troops could be sent by summer, nearly doubling the size of the US force in the country. Britain, the next largest contributor in the 41-nation international force, has fewer than 9,000 troops in Afghanistan, which means American dominance of the campaign against the Taliban is set to increase.

»“There are fears that this could become a US war rather than a Nato one,” said Christopher Langton, senior fellow for conflict at the International Institute of Strategic Studies (IISS) in London. “With other Nato members already planning to scale back, the US could find itself isolated. Rather than being an international operation, it would become another 'coalition of the willing', as in Iraq – though with the crucial difference that the Afghan mission has had a United Nations mandate throughout.”

»Paul Smyth, head of the operational studies programme at London's Royal United Services Institute (Rusi), pointed out that several Nato countries, including Canada, Germany and France, had significantly increased their troop commitments in percentage terms during 2008. But in the past week the French Defence Minister, Hervé Morin, said considering further reinforcements was “out of the question for now”. And Jan Peter Balkenende, Prime Minister of the Netherlands, another important contributor of troops, indicated that it would reduce its force by the end of next year.»

Aujourd’hui, le Guardian nous confirme cet engagement US, en rapportant les déclarations du vice-président Biden à ce propos. L’article est assorti du rapport des craintes grandissantes des “alliés” locaux des USA, notamment les Pakistanais, qui jugent qu’ils vont devoir subir dans cette occurrence encore plus d’attaques et d’incursions US, avec les “dégâts collatéraux” qu’on imagine.

«The Obama administration warned the US public yesterday to brace itself for an increase in American casualties as it prepares to step up the fight against al-Qaida and the Taliban in Afghanistan and the border regions of Pakistan.

»Against a background of widespread protests in Pakistan and Afghanistan over US operations since Obama became president, the vice-president, Joe Biden, said yesterday that US forces would be engaged in many more operations as it takes the fight to its enemies in the region. The Obama administration is to double the number of US troops in Afghanistan to 60,000 and when asked in a television interview if the US public should expect more American casualties, Biden said: “I hate to say it, but yes, I think there will be. There will be an uptick.”»

C’est un étrange périple. Selon tout ce qu’on sait et tout ce qu’on peut envisager à la lumière de l’expérience, l’Afghanistan est le piège idéal pour Obama. Il semble que la méthode adoptée, qui est sans originalité l’accentuation de la guerre selon les méthodes US et sous un contrôle US de plus en plus exclusif, avec des renforts dans ce sens, devrait accroître les incidents, les tensions et les querelles avec les alliés locaux, sans garantie aucune de résultats décisifs et avec la possibilité sérieuse d’une aggravation. L’analogie avec l’Irak de Bush et, surtout, le Vietnam, vient évidemment sous la plume («Obama’s Vietnam, – Hey hey, BHO, how many years until we go?», titre de l’article de Justion Raimondo aujourd’hui.) Tout cela n’est pas très original et renvoie aux automatismes du systèmes, dans tous les domaines. («Why do people continue doing stupid things?», interroge sur un ton désenchanté le site Defense & the National Interest à propos de la réforme du Pentagone; même question pour l’Afghanistan. Le problème méthodologique et l’attitude psychologique sont similaires.)

Le véritable problème concret, avec des effets importants possibles, concerne la politique générale de l’administration Obama. Par rapport aux autres lignes politiques mises en place (exploration d’un processus de paix au Moyen-Orient, tentative de retrait d’Irak, tentative d’établissement d’un dialogue avec l’Iran), la voie choisie pour l’Afghanistan constitue une contradiction flagrante qui va peser sur la perception qu’on a de l’administration Obama et considérablement interférer sur l’équilibre des affaires traitées par cette administration. Plus encore, cette ligne se place en contradiction même avec la politique intérieure de lutte contre la crise d'Obama. Pour résumer, elle constitue une continuation et une accentuation de la politique suivie depuis 9/11 alors que tout le reste qui a été énuméré tente de prendre une orientation inverse; elle renvoie à la référence idéologique de la “guerre contre la terreur” tandis que les autres orientations se réfèrent plutôt à l'épisode ouvert par la crise systémique du 15 septembre 2008 (y compris les questions de politique extérieure: chercher à dialoguer avec l'Iran revient à chercher à pacifier le théâtre extérieur pour mieux affronter les troubles systémiques intérieurs). L’Afghanistan présente un cas extrême qui rejoint l’analyse plus générale des nécessités auxquelles est confronté Obama, et un cas qui a le potentiel d’aggraver fortement le déséquilibre entre politique intérieure et politique extérieure, et à l’intérieur de la politique extérieure générale. L’orientation prise par Obama dans l’affaire afghane ne va pas lui faciliter la tâche en général, et elle recèle des risques graves de tension interne dans la politique générale du nouveau président.


Mis en ligne le 26 janvier 2009 à 12H47