L’Afghanistan, furioso

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Le Congrès des USA s’occupe actuellement avec les affaires afghanes, avec une série d’audition en cours (dont celle du général Petraeus, marquée par un malaise du général pendant l’audition). Le Congrès n’est pas très satisfait parce que les choses ne vont pas bien en Afghanistan et, surtout, parce que cela se voit. Antiwar.com titre justement (expression soulignée par nous) «High-Profile Afghanistan Failures Concern Congress», ce 16 juin 2010, pour sa synthèse de cet aspect de l’affaire afghane.

«A growing number of high profile failures have people in the Pentagon openly expressing doubts about the so-called “McChrystal Plan,” the latest in a long series of new strategy for the Afghan War. Now those doubts are being parroted in Congressional hearings on the war.

»“I think we are all concerned,” said Rep. Davis (D – CA) of the conflict, the longest in American history, while others focused on the pending Kandahar offensive, which has been delayed indefinitely by local opposition.

»The White House shrugged off the concerns, saying it “welcomes” the opportunity to explain and that “we anticipated that as we increased our resources in this effort, that it would be increasingly difficult as well.”»

La synthèse se termine par une brève analyse de la position de la Maison-Blanche, confrontée à un échec systématique de la campagne en cours… Cela consiste à simplement affirmer : certes, tout va mal, mais cela ne fait que nous conduire vers une amélioration sans doute décisive. («Having already announced two major shifts in war strategy, both of them escalations, in their first year in office, the administration is reluctant to admit that they are heading inexorably toward abandoning the McChrystal Plan. Yet the alternative is to pretend that the strategy is still on track and to claim, beyond all reason, that some major gain is on the horizon.»)

• Signalons une longue analyse de l’excellent Tom Engelhardt sur TomDispatch.com, ce 15 juin 2010, sur la guerre en Afghanistan. Engelhardt fait le parallèle attristant avec l’aventure soviétique en Afghanistan… Citons ces quelques paragraphes de conclusion.

«…Drunk on war as Washington may be, the U.S. is still not the Soviet Union in 1991 – not yet. But it’s not the triumphant “sole superpower” anymore either. Its global power is visibly waning, its ability to win wars distinctly in question, its economic viability open to doubt. It has been transformed from a can-do into a can’t-do nation, a fact only highlighted by the ongoing BP catastrophe and “rescue” in the Gulf of Mexico. Its airports are less shiny and more Third World-like every year. Unlike France or China, it has not a mile of high-speed rail. And when it comes to the future, especially the creation and support of innovative industries in alternative energy, it’s chasing the pack. It is increasingly a low-end service economy, losing good jobs that will never return.

»And if its armies come home in defeat... watch out.

»In 1991, the Soviet Union suddenly evaporated. The Cold War was over. Like many wars, it seemed to have an obvious winner and an obvious loser. Nearly 20 years later, as the U.S. heads down the Soviet road to disaster – even if the world can’t imagine what a bankrupt America might mean – it’s far clearer that, in the titanic struggle of the two superpowers that we came to call the Cold War, there were actually two losers, and that, when the “second superpower” left the scene, the first was already heading for the exits, just ever so slowly and in a state of self-intoxicated self-congratulation. Nearly every decision in Washington since then, including Barack Obama’s to expand both the Afghan War and the war on terror, has only made what, in 1991, was one possible path seem like fate itself.

»Call up the Politburo in Washington. We’re in trouble.»

Notre commentaire

@PAYANT «High-Profile», tout est là… Dans le titre de la synthèse d’Antiwar.com comme dans l’entame du texte («A growing number of high profile failures…»), – voilà une situation insupportable, essentiellement, peut-être exclusivement dans le fait que cela se voit. Mais que peut-on y faire ? La relance de la guerre en Afghanistan, avec le “plan McChrystal”, ou le “plan Petraeus”, ou le “plan Tartempion” qu’importe, – tout cela était nécessairement “high profile”, parce que la victoire-éclair et le retour triomphal des boys à la mi-2011 devaient être (on n’ose plus dire “seront”) “high profile” également. C’était une exigence de communication, c’est-à-dire de la politique de puissance (système du technologisme) exigeant d’être présentée par le système de la communication sous ce jour flatteur pour que l’affaire afghane soit rapidement bouclée à la satisfaction de tous et qu’on puisse faire croire et proclamer à la fois la victoire US, la puissance US intacte, la vertu US plus que jamais répandant ses bienfaits.

Tout cela (cette guerre démontrant la puissance toujours intacte du système du technologisme) devait être ficelé effectivement selon les recettes du système de la communication, comme l’avait fait Petraeus en Irak en 2007, comme Gareth Porter l’avait excellemment montré le 23 février 2010 en expliquant que la première “offensive” McChrystal (Marjah) n’était qu’un montage, une “représentation d’offensive” faite pour convaincre l’opinion (US et afghane), et éventuellement les talibans eux-mêmes, que nous nous dirigions vers la victoire triomphale. Las, entre temps, il s’est avéré que l’offensive avait échoué, qu’elle n’avait peut-être jamais eu lieu, que Marjah n’existait peut-être pas vraiment (Porter à nouveau, le 8 mars 2010). Depuis, on a enchaîné catastrophes et revers piteux, jusqu’au moral des troupes au plus bas, à commencer par celui de leur chef, le général McChrystal.

Le problème du système de la communication, nous ne cessons de le constater, crise et catastrophe après crise et catastrophe, c’est qu’il fonctionne selon ses références de bon petit soldat, de recherche de l’efficacité, en grossissant les choses, en faisant du sensationnel, en montant sa représentation à partir du matériel qu’on lui donne. La guerre doit être “high profile” ? OK, elle le sera, sans problèmes. Du coup, l’échec en cours alors qu’on nous promettait le triomphe devient lui aussi “high profile”. C’est donc bien cela que le Congrès reproche aux militaires et à l’administration Obama : non pas qu’il y ait échec, mais qu’il y ait échec “high profile”. Cela fait terriblement désordre. Le pauvre Congrès n’a toujours pas compris, lui qui applaudissait Petraeus en 2007 pour son “triomphe” en Irak et qui félicitait Obama à la fin de l’année pour sa résolution dans la guerre en Afghanistan, que lorsqu’on fait bruyamment du “high profile” sur le “triomphe” arrangée ou le “triomphe” à venir, et qu’on prend en réalité et finalement la pâtée d’une façon extrêmement voyante, le système de la communication qu’on a ainsi sollicitée continue son boulot et nous montre la pâtée en question comme s’il s’agissait du “triomphe”, puisqu’on lui a promis le “triomphe” et qu’il n’a donc aucune consigne pour dissimuler ce qui s’avère être finalement “bel et bien la pâtée”.

Par conséquent, non seulement les USA sont embourbés en Afghanistan mais cela se voit de plus en plus, et l’on commencer même à évoquer le “spectre de la défaite” comme on dit dans les romans. A Bruxelles, il y a deux jours, à la réunion des ministres de la défense de l'OTAN, le secrétaire à la défense US Robert Gates a pu se rendre compte que les alliés préparent bel et bien leur retrait, c’est-à-dire la passation, le plus vite possible, de la charge de la guerre à une armée afghane qu’on déclare en pleine forme pour prendre son tour alors qu’elle s’avère de plus en plus inefficace, corrompue, et prête à passer du côté taliban avec armes et bagages. (Ne parlons pas de Karzaï, qui est de plus en plus du côté pakistanais alors que les services pakistanais, l’ISI, sont toujours aussi proches des talibans.) Même les Britanniques, les fidèles des fidèles, préparent leur retraite… (On suppose que Sarkozy va peut-être comprendre, à son tour, qu’il est temps de s’y préparer. Diable, il est dans l’OTAN, et il est temps de suivre…)

Bien entendu, il y a les “révélations” qu’il y a un sous-sol afghan qui va sauver la civilisation. Aussitôt, tous les stratèges de s’exclamer : “Mais c’est bien sûr !” Ils étaient donc en Afghanistan avec des idées derrière la tête, les futés américanistes… Tout comme ils allèrent en Irak pour le pétrole, avec le succès qu’on voit. La trouvaille du Pentagone, avec ce sous-sol plein de richesses alléchantes, pour convaincre Washington qu’il faut rester alors que Washington ne peut imaginer autre chose que “rester”, la trouvaille est touchante de finesse et d’opportunité. Le problème, justement, est qu’il faut “rester”, et pour “rester”, il faut pouvoir, – et ce n’est plus le cas, comme on le découvre chaque jour un peu plus. Le seul a être vraiment satisfait de la “trouvaille” des sous-sols, c’est Karzaï, qui se dit que, une fois les Américains partis, la famille Karzaï pourra trafiquer autre chose que l’opium, en plus de l’opium.

Alors, il y a les remarques d’Engelhardt. Elles confirment ce qui nous paraît de plus en plus évident, que le système de l’américanisme est engagé en Afghanistan bien plus profondément qu’en Irak, qu’il est “ivre de guerre”, qu’il ne peut s’en passer, et qu’il est engagé sur une voie qui ressemble à celle de l’URSS à partir de 1979 en Afghanistan. Mais le système de l’américanisme est beaucoup plus sophistiqué que l’URSS. Il va bien plus vite, bien plus loin, bien plus à l’extrême des choses. Il est bien possible qu’il aille vraiment vers une défaite catastrophique, comme McChrystal lui-même ne l’exclut plus, et cela beaucoup plus vite et plus dramatiquement que les Soviétiques si l’on admet que le système ne s’est vraiment impliqué dans la guerre qu’à l’été 2009. Et alors, comme l’écrit joliment Engelhardt, «And if its armies come home in defeat... watch out. […] Call up the Politburo in Washington. We’re in trouble.»


Mis en ligne le 16 juin 2010 à 11H43