L'Afghanistan, ou le désordre (suite)

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L'Afghanistan, ou le désordre (suite)


7 avril 2008 — Parallèlement au sommet de Bucarest de l’OTAN, diverses indications sont apparues qui montrent un affaiblissement officieux certain de la ligne officielle otanienne en Afghanistan.

Mais quelle est cette “ligne officielle”, d’ailleurs? La question est d’autant plus explosive qu’elle n’a pas vraiment de réponse, ou plutôt qu’elle a une multitude de réponses. Les positions vont de la “politique” ultra-dure des USA, qui est fondée sur la nécessité de vaincre les talibans, à toutes les nuances de recherches de positions de compromis, passant par des suggestions toutes aussi diverses de faire passer l’effort de guerre de l’OTAN vers l’armée du governement afghan et de transférer cet effort de guerre OTAN vers des efforts de reconstruction, de pacification civile, etc. Tout cela n’est pas original, chaque guerre de cette sorte amenant en général au même dilemme de l’échec de la solution purement militaire et de la recherche de solutions alternatives.

Le fait est qu’on semble atteindre aujourd’hui une position politique de reconnaissance du bourbier, du piège dans lequel se trouve l’OTAN. Deux indications publiques récentes montrent qu’une grande activité officieuse se déploie pour tenter de rechercher la fameuse solution. On mentionne ces deux points rendus récemment publics.

• Le 30 mars, le Daily Telegraph publiait une interview du ministre de la défense britannique Des Browne, recommandant, avec prudence certes, une démarche pour tenter de rechercher un dialogie avec les talibans. Cette idée a jusqu’ici été catégoriquement rejetée par les dirigeants britanniques, dont Gordon Brown, comme étant une attitude de “capitulation” devant la terreur.

«Britain must be willing to talk to the Taliban and other extremist groups in order to try to stabilise the world, the Defence Secretary says today.

»In an interview with The Daily Telegraph, Des Browne says that Britain and other democratic states should negotiate with organisations linked to violence – including elements of the Taliban and Hizbollah – in an attempt to prevent the long-term spread of terrorism. Des Browne says that British troops will move towards an “overwatch” position in Afghanistan

»“What you need to do in conflict resolution is to bring the people who believe that the answer to their political ambitions will be achieved through violence into a frame of mind that they accept that their political ambitions will be delivered by politics,” he says.

»Although Mr Browne says there is “presently” nothing to negotiate about with al-Qa'eda because “their demand is an end to our way of life”, the Government should be negotiating with some parts of the Taliban and Hizbollah.

• Du côté allemand, Spiegel Online révèle, le 4 avril, qu’un plan secret présentant les grandes lignes d’une “exit strategy”, de forte inspiration allemande, circule actuellement à l’OTAN. Le plan, selon les précisions du Spiegel n’a rien d’original, avec transfert des opérations militaires aux Afghans officiels, effort de reconstruction, et, surtout, un retrait progressif pouvant se terminer vers 2015. Voici comment le Spiegel présente cette affaire:

«In public, NATO is demanding that all allies contribute their fair share to the ongoing effort in Afghanistan. But behind closed doors, a paper has been circulated that may provide the beginnings of an exit strategy. Germany is pushing the plan.

»So far, little has remained behind closed doors at the NATO summit in Bucharest. Almost every cough from every negotiating session has found its way into the press. But there is one paper that has remained largely in the shadows. NATO diplomats have been working on a far-reaching strategy paper for the ongoing mission in Afghanistan.

»The secrecy, some say, is necessary as the dossier contains details that could compromise the safety of NATO troops in Afghanistan. Others have been a bit more direct, saying that the paper is simply too controversial to be made public.

»According to diplomats, there are indeed some interesting details to be found. The paper illustrates a new train of thought developing within NATO: For the first time, a step-by-step outline has been sketched – with substantial help from Germany – for when the 47,000 NATO troops currently in Afghanistan might be pulled out. According to diplomats, concrete benchmarks are laid out – though any withdrawl, they make clear, would not be immediate.»

On avancera que les détails de ces diverses initiatives, qui n’en sont évidemment qu’au stade du précautionneux ballon d’essai, n’ont guère d’importance. Encore une fois, ils ne font que renvoyer aux démarches sempiternelles dans cette sorte de situation de guerre de guérilla, ou “guerre de quatrième génération” (G4G) dans ce cas, où la puissance ou l’Organisation qui mène la bataille se trouve devant les habituelles contradictions.

Mais il s’agit de l’OTAN, où le credo depuis l’engagement en Afghhanistan est d’inspiration US: d’abord la vicoire parce qu’on ne transige pas avec les terroristes (les talibans). Après, on verra. L’OTAN est particulièrement mal placée pour résister à cette position maximaliste:

• Parce que ce sont les Américains qui veulent l’imposer;

• parce qu’il n’y a pas d’unité politique mais des jeux divers d’influence des différents membres, souvent en fonction des rapports qu’on veut avoir avec les USA au sein de l’OTAN, où la situation en Afghanistan est souvent utilisée de façon tactique pour cette position à l’intérieur de l’OTAN et non pour sa valeur propre;

• parce que les Occidentaux en général, la plupart des pays de l’OTAN dans ce cas, ont peu de moyens et fort peu de sens des responsabilité, et une connaissance limitée en même temps qu’un intérêt restreint pour la situation en Afghanistan;

• enfin, parce que l’évidence nous suggère qu’il semble quasiment impossible de parvenir à une attitude qui marie la nuance et la prudence politique, alors que la tendance imposée par la prépondérance US est une continuelle pression pour la montée aux extrêmes (plus de troupes, guerre intensifiée, droit de suite au Pakistan, etc.).

L’OTAN prisonnière de l’Afghanistan

... Il n’empêche que ces tentatives existent et qu’elles marquent l’évolution d’un état d’esprit. De plus, elles viennent de deux pays européens importants qui occupent les deux positions extrêmes. Les Britanniques sont (ont été...) les plus ardents à s’engager en Afghanistan, avec des effectifs importants, – même avec l’ambition d’en faire une croisade néo-coloniale d’interventionnisme humanitaire et musclé (mais c’était du temps de Blair, et ceci explique largement cela). Les Allemands ont été, sont et restent les plus réticents parmi les grands pays européens pour un engagement en Afganistan. Quelle conclusion tirer sinon qu’en Europe tout le monde en a assez de l’Afghanistan?

(A part les Français? Voire. Il est difficile de voir dans la décision française d’envoyer un contingent supplémentaire de 800 soldats autre chose qu’une affirmation de solidarité qui devrait permettre à la France, selon ceux qui soutiennent le projet, d’affermir sa position dans l’OTAN et surtout d’obtenir en contrepartie, des USA, un soutien pour une initiative de défense européenne. Tout cela est illusoire et très français à la fois. Les Français ont toujours cru que les Américains étaient sensibles à la logique partagée, à une logique “objective”. Les Américains ne sont sensibles qu’à la logique unilatéraliste, – donc, en leur faveur. Les Français le réapprendront. En attendant, leur proposition de renforts s’inscrit politiquement comme un étrange contrepoint à ces diverses tentatives de recherche d’une “exit strategy”.)

Pour autant, il nous paraît extrêmement improbable que ces suggestions et plans divers puissent aboutir à une “exit strategy” de l’OTAN d’Afghanistan (pas une “nouvelle” “exit strategy” puisqu’il n’y en a pas aujourd’hui). Encore moins pourraient-elles mener à des initiatives vers une réduction de l’engagement. L’OTAN est prisonnière du maximalisme US et des positions internes de certains pays de l’OTAN qui, sans engagement conséquent en Afghanistan, soutiennent d’autant plus le maximalisme US pour se défausser de leur timidité opérationnelle. Ce ne sont pas les USA qui sont gagnants mais le désordre à l’OTAN. De ce point de vue aussi, l’OTAN c’est le désordre.

L’Afghanistan elle-même, c’est aussi et encore le désordre pour l’OTAN et l’OTAN est également prisonnière de l’Afghanistan comme elle l’est de ses propres divisions internes. On a récemment beaucoup parlé d’une nouvelle position russe qui consisterait à proposer une aide à l’OTAN pour ses opérations en Afghanistan. Martin Walker, de UPI, la présentait ainsi, le 31 mars: «The Kremlin is making a tempting offer. Although Russia would not send troops, it is proposing to increase the transit facilities for NATO troops and supplies to Afghanistan. This apparently would include both overflights and land access, and it would also suggest that the Russians would drop their efforts to get the U.S. military out of the Central Asian bases they began to use after the Sept. 11 terrorist attacks.»

Mais cela n’est pas à notre avis le plus intéressant. Le commentaire que rajoute Walker, comme en passant, l’est beaucoup plus. Il renforce notre propos d’une “OTAN prisonnière de l’Afghanistan” et de l’impossibilité de déterminer une “stratégie de sortie”, – dans ce cas, sans que les Russes en soient particulièrement marris: «This would be a concession that NATO would find useful, while it would cost Russia little. A Machiavellian analysis would add that the Kremlin is not at all displeased to see the Americans and NATO tied down in the Afghan quagmire for years to come, taking casualties and provoking bitter arguments inside NATO over contribution levels and inflicting political damage back home for all the governments involved.».

L’Afghanistan tient l’OTAN bien plus que l’OTAN ne tient l’Afghanistan. Et quand nous disons “l’Afghanistan”, nous ne parlons pas seulement des talibans mais d’une “situation” générale où il est difficile de distinguer les positions des uns et des autres, où il est extrêmement difficile de distinguer ce qu’est une “victoire” et ce qu’est une “défaite”. C’est cette imprécision même qui constitue le verrou du piège afghan, puisque personne n’est alors capable de distinguer ou de définir une nouvelle situation politique qui serait effectivement assez décisive, dans un sens ou l’autre, pour motiver une décision radicale, – éventuellement pour déterminer une “stratégie de sortie”. En attendant, puisqu’ils y sont ils y restent. L’OTAN est prisonnière de la situation afghane comme les USA sont prisonniers de la situation irakienne. Chacun sa G4G, en quelque sorte. Et, comme en Irak pour les USA, l’OTAN est en train d’exposer et d’aggraver, en Afghanistan, ses insuffisances et ses faiblesses peut-être mortelles.