L’Afghanistan, ou le système contre lui-même

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Un incident menant à un tir de forces de l’OTAN contre un bus civil, avec quatre tués civils, est décrit comme “compromettant” l’offensive de cette même OTAN contre les “talibans” dans la région de Kandahar. Parmi d’autres, le Times de Londres rapporte, ce 13 avril 2010, comment cet incident “compromet” une offensive qui n’a pas encore commencé, – semble-t-il, – et qui continue à être décrite comme décisive.

«Nato plans for a massive operation in southern Afghanistan suffered a setback yesterday when soldiers opened fire on a bus, killing four civilians including a woman and child, and wounding more than 12 others.

»The incident, on a road outside the city of Kandahar sparked angry protests. Elders in Kandahar — where the latest Nato operation will be focused — said that what little faith people still had in the coalition had evaporated. “The operation hasn’t even started yet, but every day they kill civilians,” said Haji Wali Jan. “Even they must know a bus is full of civilians? If they are afraid of a bus, how can they continue with an operation in Kandahar?”

»Hours after the incident a Taleban suicide squad attacked the Afghan intelligence agency’s headquarters in the city…»

Le même journal, ce même 13 avril 2010, décrit le général McChrystal, commandant US et de l’OTAN du théâtre, comme “frustré” devant ces problèmes qui compromettent sa tactique dite du “surge”, qui devrait renouveler l’étrange “victoire” de Petraeus en Irak en 2007. Parallèlement, McChrystal tente de réparer les relations dégradées entre les USA et Karzaï: «General McChrystal has worked hard to maintain good relations with Mr Karzai. But even when he visited Kandahar with Mr Karzai last week, the pair were met by ranks of local tribal elders who told them that they were unanimously opposed to the coming operation.»

Notre commentaire

@PAYANT Ces “offensives” diverses et toutes décisive, depuis le commencement de l’“offensive” gébnérale (“surge”) de McChrystal se déroulent dans un climat étrange, avec des conditions opérationnelles également étranges. (Voir notamment les conditions actuelles régnant à Marja, après la première de ces “offensives décisives”.) Les pertes civiles, par ailleurs importantes à cause des techniques employées et du comportement de certaines forces, ont pris une telle importance dans la communication qu’elles deviennent absolument paralysantes pour l’OTAN. Ces tirs contre le bus, avec quatre tués civils, constituaient en Irak un fait anodin, et l’on pourrait observer d’une façon objective qu’il s’agit du genre d’incident malheureux mais inévitable dans ce type de guerre de guérilla. Mais le système de communication agit si puissamment en Afghanistan, pour rendre la guerre “acceptable” selon les plans politiques des divers acteurs américanistes et occidentalistes, que même ce fait mineur de la guerre devient complètement paralysant. Les commentaires d’un témoin afghan, Haji Wali Jan, ridiculisent les troupes de l’OTAN dans cette “offensive” qui n’a même pas commencé alors qu’elle est annoncée à grand renfort de communication, à défaut de succès militaires. “S’ils ont peur d’un bus, comment peuvent-ils espérer emporter l’offensive ?” interroge avec bon sens Haji Wali Jan.

Pendant ce temps, McChrystal, flanqué d’un Karzaï qui proclame haut et fort la stupidité de cette offensive notamment parce qu’elle menace le fief de son frère largement impliqué dans le trafic de drogue, consulte les habitants de Kandahar sur l’opportunité de l’offensive massive dans la région de Kandahar, – et sans doute, également, offensive-surprise, ainsi largement et publiquement débattue. Les “anciens” de Kandahar répondent unanimement qu’ils y sont opposés. Les “anciens” sont révérés pour leur bon sens et leur sagesse. McChrystal les écoute donc et se découvre de plus en plus frustré.

Le système de la communication marche à plein dans cette phase de la guerre d’Afghanistan depuis décembre 2009 et il la paralyse complètement. On se demande même si la présence d’un ennemi (les “talibans” et autres rassemblés sous ce terme) est vraiment requise pour l’enlisement menant à quelque chose qui ressemblerait à une “défaite”, si le système de communication accepte effectivement qu’on puisse encore utiliser ce terme. On sait déjà depuis plusieurs années que des mots comme “victoire” et “défaite” n’ont plus guère de sens dans ces guerres de la 4ème génération (G4G).

Le spectacle est par conséquent surréaliste. Un incident avec quatre morts civils semble paralyser le projet d’une offensive décrite comme massive et quasiment finale, et devant tout de même s’appuyer sur un effet de “surprise”, alors qu’on consulte à tout va la population et les diverses autorités locales sur l’opportunité de l’opération, avec l’aide qu’on devine fructueuse d’un président Karzaï qui y est opposé et décrit les Occidentaux comme des “occupants”. On dirait par plaisanterie que les “talibans” eux-mêmes doivent sans doute être consultés, et l’on ne serait sans doute pas loin, à peine par inadvertance, de la réalité.

L’Afghanistan offre le spectacle particulièrement bien ordonné de l’antagonisme direct qui, aujourd’hui, caractérise les deux forces principales, systèmes elles-mêmes, du système américaniste-occidentaliste en crise. D’une part, le système du technologisme, qui pousse au déploiement et à l’utilisation de toute la puissance, et de l’“esprit de puissance”, que donnent le développement de la puissance technologique et son intégration fondamentale dans les forces armées, orientant l’esprit et les projets de celles-ci vers l’affirmation brutale de la puissance, cette situation inspirant et guidant à son tour la “politique” qui est pourtant censée être elle-même l’inspiratrice et le guide de l’emploi (ou du non-emploi) de la force. D’autre part, le système de communication, qui construit des narratives, qui multiplie les précautions, les apparences de consultation, de débats, d’assurances publiques apportées à prendre toutes les mesures de restriction et de contrôle possibles, puisque la “politique” de ce système de la communication est passée du thème de l’affirmation de la puissance du technologisme à celui de son contrôle restrictif le plus précis, le plus tatillon possible.

Tout cela vient bien entendu de la crise qui a caractérisé la direction US durant l’automne dernier, notamment entre Obama et ses généraux, puis cette même crise réunissant Obama et ses généraux sur un même thème général caractérisé par deux impératifs. Le premier est qu’il faut frapper vite et fort pour en terminer rapidement et victorieusement. Le second est qu’il faut absolument tout contrôler et tout restreindre pour éviter les moindres incidents qui pourraient compromettre l’image de la guerre, et donc la “victoire”, donc éviter “de frapper vite et fort” puisque c’est en général frapper aveuglément (la dynamique remplaçant le détail de la situation pour imposer la victoire). L’Afghanistan décrit le fonctionnement du système à un point où l’affrontement principal se fait entre les deux forces massives qui déterminent toute la puissance du système. La bataille en Afghanistan n’a rien à voir avec les “talibans”, et tout avec l’affrontement entre le système du technologisme et le système de la communication.


Mis en ligne le 13 avril 2010 à 05H23