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4459Plusieurs articles signalent l’intensification considérable en Afghanistan de la guerre aérienne US, – ou plutôt, de la guerre US en Afghanistan de plus en plus concentrée dans l’intervention aérienne contre les forces terrestres “ennemies”, accompagnées bien entendu des innombrables dommages “collatéraux“ frappant les civils. Les textes suivent la publication par le US Central Command du bilan des interventions ariennes armées de l’USAF en Afghanistan pour 2019, l’année la plus active à cet égard, suivant 2018 qui était à son tour l’année la plus active.
On consultera notamment deux textes sur ce sujet, à partir du texte de Jane’s Defense Weekly reprenant les données de Central Command :
• un texte de WSWS.org du 29 janvier 2020.
• un texte de The Moon of Alabama, repris en françaispar le Sakerfrancophone, et dont nous donnons un extrait ci-dessous, permettant d’avoir un aperçu à la fois sur la situation opérationnelle et sur les conséquences “collatérales” ;
« Sous l’administration Trump, les attaques aériennes américaines en Afghanistan ont fortement augmenté. Mais il semble maintenant que les Talibans aient acquis des moyens pour les contrer.
» L’année dernière, les États-Unis ont largué un nombre record de bombes sur l’Afghanistan, ce qui a entraîné une augmentation constante du nombre de victimes parmi les civils :
» “Selon les statistiques sur la puissance aérienne 2013-2019 publiées fin janvier par le commandant de la composante aérienne des forces combinées (CFACC), Des armes ont été utilisées au cours de 7 423 missions effectuées en Afghanistan en 2019. Il y a eu le plus grand nombre d’utilisations d'armes au cours de la plupart des mois de cette année, comparés à ceux des années précédentes, depuis que les registres ont été publiés pour la première fois en 2009 ; le mois de septembre enregistrant le plus grand nombre d’utilisations d'armes pour l'année, soit 948.
» ”Le record annuel précédent était de 7 362 en 2018, et les deux dernières années ont vu plus d’utilisations d'armes en Afghanistan que pendant toute la période 2012 à 2017.”
» Vingt bombardements par jour, c’est un chiffre assez impressionnant. De nombreux civils sont tués dans ces bombardement menés par les étasuniens. ils semblent souvent ne pas savoir qui ils frappent. Ce rapport datant de la semaine dernière est typique :
» “Une attaque de drone menée par les forces américaines au début du mois dans l'ouest de l'Afghanistan qui visait apparemment un groupe taliban dissident a également tué au moins 10 civils, dont trois femmes et trois enfants, a déclaré mercredi un responsable des droits de l'homme afghan et un membre du conseil. ...
» ”Il n'y a eu aucun commentaire immédiat de la part de l'armée afghane ou des forces américaines. Mais Wakil Ahmad Karokhi, un membre du conseil provincial de Herat, a déclaré que l'attaque du 8 janvier avait également tué le commandant d'un groupe dissident taliban, connu sous le nom de Mullah Nangyalia, ainsi que 15 autres militants. ...
» ”Les funérailles du commandant ont eu lieu le lendemain dans le quartier de Guzargah, dans la capitale provinciale de Herat, et des dizaines de militants y ont assisté.
» ”Karokhi a estimé que cette frappe était une ‘énorme erreur’, affirmant que le commandant était une protection utile contre les talibans dans le district de Shindand, prenant les armes avec ses combattants contre les insurgés ‘quand personne d'autre ne le faisait’et laissant les civils de la région en paix.”
En fait, ce qui nous apparaît le plus frappant dans les chiffres données c’est le fait que les interventions aériennes armées en 2018-2019, – respectivement 7 362 interventions aériennes armées en 2018, 7 423 en 2019, – semblent illustrer par leur importance relative une nouvelle forme de la guerre en Afghanistan. Ces 14 785 sorties sont largement supérieures aux sorties aériennes armées cumulées entre 2009 et 2017, avec notamment des chiffres de 2 365 sorties en 2014, 947 en 20215 (le chiffre le plus bas pour une année de toute cette guerre en Afghanistan), 1 337 en 2016 et 4 361 en 2017.
Manifestement, les années 2018-2019, avec une préparation en 2017, marquent une poussée très forte de l’intervention aérienne tactique air-sol d’appui aérien, et surtout d’attaque et de frappe, en même temps que les forces terrestres US sont à un niveau très bas. Il y a actuellement 12 000 hommes (et femmes certes) de troupe, US Army et Marines, en Afghanistan, dont 4 000 destinés à être retirés dans l’année ; en 2009, ils étaient 100 000. Il y a évidemment un rapport entre ceci et cela, et ce rapport se nomme le “modèle vietnamien”, – dans ses grandes lignes, avec des différences circonstancielles et opérationnelles notables.
On retrouve en Afghanistan le même schéma conduisant vers la défensive et éventuellement le retrait progressif maquillée en victoire, avec une durée plus longue que dans le modèle vietnamien du fait de la dynamique imposée par l’opinion publique pour un désengagement du Vietnam (à cause de la conscription qui touchait directement la population US). Ce schéma implique d’abord un engagement terrestre marqué suivi par un coup d’arrêt avec tentative de transférer le poids du conflit sur les forces locales “loyalistes”, puis une réduction graduelle des effectifs terrestres avec une augmentation conséquente de l’activité aérienne, assez nette en Afghanistan, très brutale au Vietnam (réengagement aérien du printemps 1972). La différence est que la campagne aérienne de 1972 au Vietnam fut nettement victorieuse dans la mesure où le Vietnam du Nord s’était engagé dans une guerre conventionnelle, ce qui permit le retrait US complet avec des accords de paix début 1973, – et l’invasion du Sud par le Nord deux ans plus tard, sans coup férir et non-intervention US malgré les promesses faites dans ce sens. La campagne aérienne est beaucoup moins efficace en Afghanistan, où les combats restent ceux d’une guérilla ou d’une guerre asymétrique à grande échelle.
Dans tous les cas, la réduction des engagements terrestres accompagnée d’une recrudescence de l’activité aérienne constitue en général, avec les armées US, un prélude à un désengagement rapide qui peut susciter à terme des effets indirects catastrophiques, notamment pour les alliés des USA (Saigon en 1975). Il s’agit alors toujours d’une “offensive aérienne de défense”, pour contenir l’ennemi dans le but de gagner du temps (soit pour négocier, soit pour se désengager).
• Une autre différence importante avec le Vietnam est en train d’apparaître, rappelant par contre le conflit avec l’URSS en Afghanistan : ce qui semble être la constitution d’une composante tactique de défense aérienne du côté des Talibans. Certaines informations font état de quatre hélicoptères abattus en janvie par des missiles que se seraient procurés les talibans ou équivalents. (Le Vietcong n’a jamais eu de missiles sol-air tactique dans le Sud. Le Nord-Vietnam, qui fut très fortement bombardé, avait une défense aérienne efficace, qui couta cher aux USA. Il s’agissait d’une facette du conflit complètement différente et inexistante en Afghanistan, où il n’existe pas de pays extérieur qui soit partie prenante dans le conflit.
• Dans cette même dimension aérienne, il y a l’affaire de l’avion de l’USAF Bombardier/Northrop-Grumman E-11A qui s’est écrasé en Afghanistan le 27 janvier, dans une région tenue par les talibans. Le Pentagone communique “par bribes” sur cette affaire, renforçant peu à peu les contours d’une version élaborée, venue de Veterans Today(VT), selon lequel cet appareil spécial de communications et de guerre électronique, utilisé pour la coordination et la gestion des forces terrestres de combat, aurait été abattu par les talibans. Gordon Duff, de VT, a largement spéculé sur la présence à son bord d’officiers de haut rang de la CIA, tandis que se poserait la question de l’emploi et de la provenance de missiles sol-air si c’est le cas (aussi bien pour le E-11A que pour les hélicoptères), ce qui serait une nouveauté considérable pour les talibans. Là aussi des spéculations citent la possibilité de livraisons de missiles iraniens dans le cadre des mesure de rétorsions après l’assassinat du général Soleimani, mais la Russie et la Chine seraient aussi des candidats possibles pour cette spéculation. Duff signalait dans son article que l’officier de haut rang de la CIA Michael D’Andrea, qui avait orchestré l’assassinat de Soleimani, se trouvait à bord du E-11A (et aurait trouvé la mort, par conséquent). Quoique qualifiée de “highly dubious”, l’information a été néanmoins reprise par le Daily Mail.
Cela fait beaucoup d’agitations autour de cette nouvelle dimension aérienne, offensive et défensive, en Afghanistan, dans un conflit jusqu’ici essentiellement de type terrestre avec adjonction de forces et d’appui aérotransportés. Il est pour l’instant extrêmement difficile d’avoir une image générale précise de cette évolution, – et d’abord si elle a bien lieu, si elle est importante, si elle est spécifique et significative, etc. Des spéculations aussi nombreuses autour d’un événement dont certains faits sont avérés (augmentation drastiques des sorties de combat de l’USAF, crash du E-11A) font penser qu’il existe effectivement une dynamique nouvelle dans un conflit qui est proche de sa vingtième année dans la durée, qui est encalminé dans une montagne de narrativequi laissent parfois filtrer quelques vérités-de-situation, jusqu’à nous faire parler de “contre-simulacres”...
Selon une logique intuitive que nous affectionnons dans la mesure où elle permet d’éventuellement ouvrir des horizons nouveaux, on dira qu’une possibilité sérieuse existe qu’il s’agisse d’un tournant dans le conflit afghan, si les forces US se trouvent dans une position de moins en moins aisée à tenir, avec de possibles pressions internes aux USA pour un retrait. D’autre part, on pourrait voir dans une telle possibilité une connexion directe avec une montée de l’activité iranienne asymétrique anti-US à la suite de l’assassinat de Soleimani. Il y a donc beaucoup d’interférences, suffisamment pour ne pas voir dans ces spéculations, justement, que des spéculations gratuites et sans fondement.
Mis en ligne le 30 janvier 2020 à 16H25