L’agenda de la guerre

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La crise iranienne se poursuit dans son état paradoxal de “tension figée” que nous signalions le 20 janvier 2012. Il s’agit de cet état qui implique deux termes absolument antinomiques puisque la tension est par définition une dynamique extrême et brûlante tandis que le qualificatif “figé” indique exactement le contraire du mouvement et de la volatilité du feu. La dialectique de la guerre possible/probable/certaine (au choix) est dans la même situation, fort logiquement de ce point de vue, avec des déclarations, des rumeurs, des hypothèses allant dans tous les sens, d’une façon chaotique et insensée (c’est-à-dire, sans aucun sens identifié). La différence de cette crise avec celles de la même catégorie apparente, qui ont précédé, est fondamentale.

• Dans les crises majeures qui ont précédé, on trouve par exemple celle de l’Irak, celle de la Libye, celle de l’Iran dans sa première phase qui en fait une crise spécifique (depuis 2005 jusqu’en novembre 2011 et l’affaire du RQ-170 et, surtout, avec l’extension de la tension à la situation autour du détroit d’Ormouz, selon notre analyse [voir le 4 janvier 2012]). Il s’agissait de crises relativement “simples”, où les “adversaires” étaient bien identifiées à cause du nombre d’acteurs actifs restreints, eux-mêmes tenant une position assez précise. Les interférences extérieures restaient assez restreintes ou passives.

• La crise iranienne actuelle est multiforme, très complexe, touchant des domaines très divers, impliquant directement ou indirectement des “acteurs actifs” très divers tenant des positions également diverses et souvent avec des nuances ; bref, une crise caractérisée par le désordre. Même s’il est permis de tracer une ligne théorique entre les acteurs du bloc BAO et les autres, la réalité montre une diversité beaucoup plus grande que cette dichotomie manichéiste. Il s’agit de la transformation, jusqu’à la transmutation d’un changement de nature, d’une crise “simple”, limitée à un nombre d’acteurs restreints, et d’ailleurs plus virtuelle que réelle, qui devient soudain une crise réelle extrêmement complexe et qui s’intègre, par ses divers composants et ses liens avec diverses autres crises sectorielles, dans la crise centrale du Système… On peut même estimer que cette crise iranienne est en train de devenir le cœur grondant de la crise générale du Système. L’importance du cas est décuplé jusqu’à l’extrême et ne concerne plus les seuls Iran, USA et Israël, mais le Système en son entier.

Un fait remarquable est alors que la spéculation est largement reportée sur des évènements techniques et technologiques, qui sont interprétés politiquement, comme s’ils pouvaient suppléer à l’absence de sens politique de la crise (absence absolument évidente) et lui donner une sorte d’objectivité ; on remarquera tout de même qu’il s’agit de technologisme et de Matière, ce qui nous ramène à nos moutons... Un fait remarquable est la question des forces matérielles et des armements, selon leur disposition, leur mouvement, etc., qui sont alors l’objet de spéculations politiques et d'interprétation quasi symbolique ne s'embarrassant pas trop des considérations d'emploi et d'utilisation. Successivement, ces derniers jours, on voit trois faits concernant des armements présentés comme des signes politiques permettant de proposer une date extrêmement précise pour le début de la “vraie” guerre.

• L’exercice Austere Challenge 12, impliquant en Israël les Israéliens et les USA, devait commencer le 15 janvier 2012, et il était perçu par certains comme le signe d’un possible déclenchement des hostilités. Il est brutalement annulé et reporté, et les spéculations vont aussitôt bon train, sur le thème d’une mésentente entre Israël et les USA. Une première version est que ce sont les USA qui ont annulé l’exercice, une seconde est que c’est Israël. Dans les deux cas, on évoque vaguement un report pour l’été 2012. Finalement, l’exercice est reporté à octobre prochain, comme l’annonce Russia Today le 27 janvier 2012. Précisons que DEBKAFiles, qui avait largement déclenché la spéculation lors de l’annulation de l’exercice (dans ses deux versions successives), ne s’intéresse guère à cette nouvelle date. Par contre, RT évoque l’hypothèse que cette nouvelle date peut être liée à la perspective des hostilités.

«Israeli and American officials put plans for a massive missile drill mysteriously on hold this month, but now the exercise, originally slated for this spring, will be scheduled for October 2012. The drill, which will also signal a surge of American troops to Israel by the thousands, will mark the biggest test of its type for both nations. As tensions worsen between the US and Iran — as well as Israel and its Islamic Republic neighbor — Tehran authorities fear that the exercise will try out more than just the missile capabilities of the allies. Also being put to the test is Iran’s patience. […]

»Now after a brief delay, America will send thousands of troops and its anti-missile defense systems to Israel, albeit a few months later than planned. With the exercise back in the books, it could mean that an eventual war between the US and Iran is still in the works — and now the world has a timeline to see it through.»

• Le même RT, relayant une nouvelle du Wall Street Journal, s’intéresse (le 28 janvier 2012) à la question d’une énorme bombe conventionnelle de l'USAF capable de percer des épaisseurs importantes de béton ou de rochers pour parvenir à détruire des installations protégées par de telles matières. Cela concerne évidemment les dispositions prises par les Iraniens pour leur programme nucléaire, installé dans de telles conditions, dans des montagnes. La bombe est nommée MOT (Massive Ordnance Penetrator) et pèse près de 14 tonnes. Elle peut percer 60 mètres de béton ou 38 mètres de roche… Mais, découvre le Pentagone, il semblerait que ce n’est pas suffisant, que les installations iraniennes ont au moins 60 mètres de roche au-dessus d’elles. Le Pentagone a dépensé $330 millions pour faire fabriquer 20 MOP par Boeing ($16,5 millions par bombe) et investit $82 millions de plus pour des études visant à accroitre les capacités de cette arme presque au double de sa capacité de pénétration. Cela constitue-t-il un cas qui nous permettrait de fixer la possibilité d’une attaque ? Si oui, cela repousse la date dans un futur incertain…

«Having considered the toughness of the rock-hidden Iranian nuclear facilities, America’s Nutcracker military command has decided to save jaw and develop a new conventional superbomb, since the US still plans to do the job in Iran without nukes. Washington has once again reminded Tehran that it has the military capability to crack Iranian hard-target nuclear sites with conventional weapons, leaking to the Wall Street Journal plans to develop an even more effective bunker-buster bomb.

»The American military is no longer in love with the most powerful non-nuclear weapon it possesses, the Massive Ordnance Penetrator (MOP), a 13,600-kilogram mammoth capable of penetrating deep underground facilities…»

• Enfin, il y a le cas du USS Ponce, dont le même DEBKAFiles fait justement grand cas, ce 29 janvier 2012. Il s’agit d’un navire de transports de forces amphibies (ou LPD, catégorie amphibious transport dock), et non d’un porte-hélicoptères comme l’identifie DEBKAFiles. Sur le point d’être “décommisionné”, ce vieux LPD (en service depuis 1971 comme LPD-15 de la classe Austin) est récupéré “d’urgence” pour être transformé en une sorte de navires porte-commandos, avec possibilité de soutien d'hélicoptères démineurs (les gros CH-53 Sea Stallion), – transformation qui serait achevée en mai prochain. Pour DEBKAFiles, cette décision implique que la possibilité d’un conflit, ou d’affrontement, est très possible dès le mois de mai (le titre de l’article : «US foresees May as tentative date for clash with Iran. Floating SEALs base for Gulf»). Il s’agit d’un déploiement d’urgence, pour la possibilité d’affrontements, notamment autour du détroit d’Ormouz, qui auraient lieu autour de l’entrée en vigueur de l’embargo sur le pétrole, en juillet. (Mais d’ici là, l’Iran aura peut-être appliqué effectivement la mesure unilatérale, pour contrer la décision d’embargo de l’UE, d’interrompre ses livraisons de pétrole vers l’UE.) RT reprend la nouvelle, le 31 janvier 2012 et la présente de façon dramatique, faisant du USS Ponce de l’U.S. Navy «a colossal sea vessel», – ce que le LPD-15 n’est certainement pas. Wikipedia, qui avait introduit la nouvelle sans tapage excessif dans son article sur le USS Ponce, la présente de cette façon :

«On 24 January 2012, the Military Sealift Command posted a bid request to retrofit the USS Ponce on a rush-order basis. In response to requests from the U.S. Central Command, which oversees military operations in the Middle East, the Navy is converting the aging warship it had planned to decommission into a makeshift staging base for the commandos and recommission her in the summer. Unofficially dubbed a “mothership,” the floating base could accommodate smaller high-speed boats and helicopters commonly used by Navy SEALs, procurement documents show. The ship is expected to be completely transformed in an estimated four to five months. The ship will be operated jointly by active-duty Navy officers and sailors, as well as government civilian mariners from Military Sealift Command. The USS Ponce will be modified as an Afloat Forward Staging Base (AFSB) to support mine-sweeping MH-53 Sea Dragon helicopters. MSC issued requests for proposal to upgrade and refit the ship. The work includes upgrading the ship’s navigation systems, bringing habitability up to MSC standards and general refurbishment.»


Mis en ligne le 31 janvier 2012 à 10H58