L’aide “au développement” UK pour “aider” l’Inde à acheter le Typhoon

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Il s’avère que le Royaume-Uni, coincé au fond du trou noir de sa dépression, affecte à l’Inde, chaque année, une aide “humanitaire” (ou aide au développement) de £280 millions. Dans notre auguste état d’inconnaissance, nous ignorions cela. Il est temps de s’informer parce que ce fait, en apparence bouffon et incompréhensible, a une connexion directe avec une affaire des plus actuelles et des plus sensibles ; le fait devient alors compréhensible mais il est plus bouffon que jamais...

En effet, cette aide, qui entre dans le programme britannique et vertueux de l’aide au développement connu sous l’acronyme de Dfid, a un rapport direct avec l’espérance ardente, mais récemment déçue, de vendre l’avion Typhoon à l’Inde. Il s’agit donc bien d’un opéra-bouffe, version postmoderniste ad absurdum, si l’on considère que les Britanniques, conservateurs et travaillistes confondus, veulent poursuivre cette aide, malgré la défaite, inexplicable pour un esprit anglo-saxon, du Typhoon au profit du Rafale, et malgré la position de l’Inde qui recommande effectivement depuis un certain temps, mezzo voce pour ne pas vexer le généreux donateur, que cette “aide” qu’elle ne demande en aucune façon soit supprimée…

Voici donc le commentaire de Dominic Lawson, de The Independent, le 7 février 2012. Lawson prend comme argument de départ l’occasion d’une question qui fut posée par un téléspectateur lors d’une émission de la BBC, sur cette affaire, au ministre compétent à cet égard, Alan Duncan.

«The question arose of the provisional decision of the Indian government to go to France for the purchase of 126 warplanes, rather than buy Typhoons from British Aerospace – even though Britain gives £280m a year in aid to India, six times more than supplied by any other country. The Tory minister of state at the Department for International Development, Alan Duncan, and the Labour shadow justice minister Sadiq Khan, were in harmonious agreement that this episode should not for one second cause us to question our aid programme to India – something that clearly astounded the studio audience.

»In one sense, the politicians were right: tying aid to military contracts would be nothing more than a form of bribery (admittedly, standard local business practice across the sub-continent). On the other hand, since Andrew Mitchell, Duncan's boss, had said only in December that Britain's aid to India was partly about “seeking to sell Typhoon”, it is obvious the Government had hoped to get some bangs off the back of our aid bucks on the grounds, presumably, that our co-opted taxpayers' largesse would have won us good favour in Delhi.

»It was salutary, therefore, to read in the weekend's papers that the Indian finance minister had told the country's upper parliamentary house that “we do not require the aid [from Britain]. It is a peanut in our total development expenditure”. The Sunday Telegraph also revealed – apparently via the contents of an official memo – that the former Indian foreign minister, Nirupama Rao, had proposed “not to avail of any further Dfid assistance from April 2011... because of the negative publicity of Indian poverty promoted by Dfid”. The paper further alleged that Delhi was warned that cancelling the aid would cause the British government “grave political embarrassment [because] British ministers had spent political capital justifying the aid to their electorate”.

»That certainly has the ring of truth (which does not, naturally, mean that it is true). David Cameron's decision to maintain and even increase our overseas aid budget, while cutting every other department apart from Health, was intensely political. Heavily advertised in the years ahead of the 2010 general election, the commitment was designed to persuade voters that the Conservatives were not hard-faced grinders of the poor, but actually possessed of a highly developed social conscience. It was, in other words, designed to make people “feel good” about voting Conservative, part of the strategy described as “decontamination of the Tory brand”. […]

»It was fascinating last week to see Duncan, with characteristically articulate vehemence, communicate the outrage of the vested interest that is Dfid against someone who had the temerity to suggest that British taxpayers should not be expected to fund aid to a country with more billionaires than we will ever have, and which is proposing to buy – without need of borrowing – hundreds of warplanes to put on its soon-to-be three aircraft carriers (we can barely afford a single one).»

Nous désignons cela comme un “opéra-bouffe” parce que l’affaire se présente comme un argument complet, bien explicite, de l’absurdité bouffonne des temps que nous vivons. La complexité et la dérision de la démarche, et plus encore en regard des intentions proclamées et des résultats obtenus, rendent le livret extrêmement divertissant. On peut alors s’autoriser quelques remarques qui décrivent bien la labyrinthe des absurdités diverses.

• Les Britanniques étaient donc assurés du choix de l’Inde, qui ne pouvait aller à autre chose qu’un avion de combat anglo-saxon. (Le Typhoon est construit par un consortium de quatre nations européennes au sein d’EADS, mais, en l’occurrence, quand il s’agit d’exportations “sérieuses” et lorsque la victoire est certaine selon le jugement sans appel de l’Anglo-Saxon, il devient entièrement britannique pour ce qui est de l’esprit de la chose.) Pour conforter cette assurance, ils ont trouvé l’élégante astuce de cette “aide au développement”, qui fait partie des hochets humanitaristes de la direction politique britannique depuis que l’équipe Blair-Brown a décidé de tenter de réparer les dégâts de réputation et d’influence, dans le monde non développé, subis par le Royaume-Uni du fait de l’aventure irakienne. Les Indiens n’ont pas refusé, bien que cette “aide” risible par son montant par rapport à l’énormité du pays et de ses problèmes apparaisse plus comme une humiliation que comme un avantage (“the negative publicity of Indian poverty promoted by Dfid”). On peut donc admettre que l’“aide” apportée à l’Inde eut un effet général contre-productif, pour ce qui est du sentiment général des Indiens vis-à-vis des Britanniques (et donc du Typhoon).

• Mais l’on apprend également qu’Andrew Mitchell, ministre de tutelle de Duncan, a déclaré en décembre 2011 que l’“aide” avait effectivement pour but, dans tous les cas en partie (doux euphémisme), d’aider “à vendre le Typhoon”. Certes, on reste dans le domaine de l’“aide” mais on ajoute publiquement l’insulte à l’injure ; non content d’humilier l’Inde à cause de ses pauvres, on expose que l’argent doit également être considéré comme une commission officielle, préludant au choix inéluctable du Typhoon et destiné à le conforter. En un mot, il s’agit d’un acte de corruption, non d’une personne, non d’un service, mais d’un pays, à l’aide d’une somme ridiculement petite pour ce qu’elle prétend être.

• Certes, tout cela n’est certainement pas la cause de l’échec du Typhoon, ni même une partie de la cause, mais disons que l’on a un aperçu de l’absence totale de tact psychologique, d’intuition culturelle, dans cette opération qui ressemble à une des folies hystériques du système de la communication cherchant désespérément les moyens pour transformer le vice courant du Système en vertu, grâce à un peinturlurage de couleur vive (l’“aide au développement”). Si les Britanniques ont agi selon cette tendance dans leurs démarches pour placer le Typhoon, on comprend diverses remarques qui avancent l’idée que l’habituelle supériorité en marketing des Britanniques sur les Français, s’est trouvée complètement renversée à l’avantage des seconds dans cette affaire indienne.

• …La cerise sur le gâteau, puisqu’il en faut une, étant que le peinturlurage vertueux oblige le gouvernement britannique à poursuivre l’aide-corruption, malgré les réticences sans doute grandissantes de l’Inde, et malgré l’échec du Typhoon. Il s’agit, nouds dit-on, – vraie stratégie virtualiste du système de la communication, – “to make people ‘feel good’ about voting Conservative, part of the strategy described as ‘decontamination of the Tory brand’”… Ainsi l’“aide” à l’Inde pour vendre le Typhoon qui n’a pas été choisi continuera pour que l’électeur conservateur se “sente bien” dans sa peau. Finalement, l’“aide” était donc bien destinée aux “pauvres”’ britanniques, et non aux “pauvres” indiens, – et tout cela mis en musique par nos “pauvres d’esprit”.


Mis en ligne le 7 février 2012 à 10H58