L’AIPAC et l’affaire de la Roche Tarpéienne

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L’AIPAC et l’affaire de la Roche Tarpéienne

31 janvier 2014 – Le 17 janvier 2014, nous avions signalé ce que nous désignions comme “la discrétion de l’AIPAC”, le très-puissant lobby israélien/sioniste/likoudiste baptisé The Lobby, qui domine le marché officiel de la corruption, connu sous le nom de “lobbyisme”, du monde politique washingtonien. Alors, et peut-être dans un élan d’angélisme qui consisterait à interpréter une telle attitude selon une logique politique (dito, de la politique iranienne), nous liions cette attitude avec des nouvelles venues d’Israël et concernant la situation triangulaire Israël-Russie-Iran. Sans doute, certainement même, un autre point de vue est-il nécessaire à cause de divers événements survenus entretemps.

Nous allons développer plusieurs nouvelles de ces quinze derniers jours, montrant plusieurs situations qui contribuent toutes à éclairer le comportement de l’AIPAC sous une lumière intéressante, qui ne concerne plus tant l’engagement partisan, le choix politique, etc., que le désordre et la confusion, notamment suite au désordre et à la confusion qui marquent les politiques respectives des deux pays impliqués indirectement par leurs liens directs avec l’AIPAC, les USA et Israël. On verra alors se dégager une problématique différente, que nous tenterons d’exposer sous forme d’hypothèse certes, mais d’hypothèse particulièrement structurée.

• D’abord, l’attitude de divers milieux et hommes politiques US, ayant les liens habituels avec l’AIPAC (de corrompus au corrupteur) sans faire partie des “troupes politiques US” directement engagées avec l’AIPAC. On a déjà rapporté, dans le texte référence, l’attitude étonnée et peut-être douloureuse de certains sénateurs US du fait de l’absence de l’AIPAC dans le débat sur le projet de loi sur des sanctions supplémentaires imposées à l’Iran. Voir notamment des gros formats habitués à accueillir les pressions de l’AIPAC et qui ne voient rien venir, les sénateurs Levin («I don’t know where AIPAC is. I haven’t talked to anybody») et McCain («I don’t know what they’re doing»).

• Dans ce climat, et en considérant évidemment que l’inaction de l’AIPAC a eu un effet au Congrès, on observera que le mouvement au Sénat pour imposer de nouvelles sanctions à l’Iran ne cesse de perdre de son élan. PressTV.ir signalait le 29 janvier 2014 que deux sénateurs démocrates, Joe Manchin et Chris Coons, cosignataires avec 57 autres sénateurs du projet de loi pro-sanction, avaient retiré leurs signatures pour se ranger du côté de l’administration Obama. (BHO estime que ces sanctions sont néfastes parce qu’elles interfèrent dans le processus diplomatique. Il a annoncé qu’il mettrait son veto si le Sénat votait le projet de loi, et il semble de plus en plus clair, surtout avec la décision de Manchin-Coons, que la loi, si elle était votée, ne réunirait certainement pas les 67 votes de soutien [2/3 du Sénat] pour repousser ce veto.)

• Un troisième élément politique, celui-là sans lien direct avec l’Iran ni avec le Congrès, met en évidence l’attitude des hommes politiques US vis-à-vis de l’AIPAC, mais aussi la division marquante de la communauté juive vis-à-vis de l’AIPAC. Le nouveau maire de New York Bill de Blasio, élu sur une plate-forme ultra-progressiste qui ne comprenait certainement pas une allégeance complète à l’AIPAC, a fait un discours off the record, le 23 janvier, devant des représentants de l’AIPAC. Il les assure de son inconditionnel soutien à Israël et à l’action de l’AIPAC («...that City Hall will always be open to AIPAC, that when you need me to stand by you in Washington or anywhere, I will answer the call, and I’ll answer it happily, ’cause that’s my job»). Malheureusement pour lui, le discours a “fuité”, ce qui implique une indiscipline étonnante de la part de l’AIPAC. Cela a valu à de Blasio une réplique furieuse, sous forme de lettre ouverte, de 60 personnalités juives new-yorkaises, qui ont soutenu de Blasio mais qui n’aiment guère l’AIPAC. (Voir des détails sur le site juif new-yorkais theyeshivaworld.com, le 30 janvier 2014, et notamment des extraits de la lettre ouverte : «[W]e do know that the needs and concerns of many of your constituents — U.S. Jews like us among them — are not aligned with those of AIPAC, and that no, your job is not to do AIPAC’s bidding when they call you to do so. AIPAC speaks for Israel’s hard-line government and its right-wing supporters, and for them alone; it does not speak for us.»)

Nous voilà donc, en un sens, à fronts renversés. Le problème n’est pas celui du front unifié pro-Israël, sous la forme AIPAC, pour influencer et gagner le soutien du monde politique US, mais l’étonnement du monde politique US, voire la sollicitation de sa part, pour que l’action habituelle de corruption de l’AIPAC se poursuive. Bref, le corrompu s’étonne que le corrupteur ne soit pas à son poste pour faire son travail... L’écho principal, qu’on va voir confirmé et amplifié plus loin, est que la discorde semble régner au sein de la communauté juive US, vis-à-vis de l’AIPAC, mais peut-être même, et surtout, au sein de l’AIPAC lui-même.

Avec ce deuxième point, on en vient à l’affaire Debbie Wassermann Shultz, qu’on désignera sous ses initiales DWS, qui est députée de Floride, démocrate, juive et principale représentante à la Chambre des Représentants de la puissante communauté juive de Floride. Mais il se trouve que DWS a semblé rompre avec les “consignes du Parti”, en adoptant la ligne du président, c’est-à-dire en décidant de ne pas soutenir les nouvelles sanctions contre l’Iran. Au début ce fut assez confus d’ailleurs, comme le rapportait le site FreeBacon le 17 janvier 2014, sous le titre infâmant de «Debbie’s Double-Talk» : «Wasserman Schultz spokeswoman Mara Sloan told the Daily Beast’s Josh Rogin on Saturday that the lawmaker supports “holding off on new sanctions until the diplomacy plays out.” However, Sloan said the opposite to Miami Herald reporter Marc Caputo. “Rep. Debbie Wasserman Schultz has been a strong supporter of sanctions against Iran and will continue to be,” Sloan was quoted as saying.» D’ores et déjà, l’affaire DWS apparaissait notablement confuse, également du côté de la position de l’AIPAC vis-à-vis d’elle, y compris de la part du site FreeBacon lui-même, – site bien connu pour son engagement neocon et pro-Israël...

• En fait, l’affaire DWS a surtout permis, effectivement, de mettre en évidence, d’abord la confusion et les contradictions de l’AIPAC, avec sa dénonciation de DWS et son appel à ses électeurs pour la presser de soutenir la législation anti-Iran, puis un changement complet, et le soutien retrouvé du même AIPAC à la parlementaire de Floride, tout cela assorti de courriers divers et également contradictoire venant de diverses voix “autorisées” de l’AIPAC. Un autre article de FreeBacon, le 27 janvier 2014, rend compte de cette confusion et de ces contradictions, que ne dément évidemment pas le comportement étrange, par sa discrétion, de l’AIPAC au Sénat où se débat le projet de loi sur les sanctions. Le passage le plus intéressant de l’article de FreeBacon vient à la fin, et il concerne des jugements sur la situation actuelle de l’AIPAC.

«Jewish activists in Washington and South Florida say that AIPAC’s flip-flop is unusual for an organization that typically exercises great restraint and discipline. “This is clearly a problem for them,” said another pro-Israel activist for has worked with AIPAC. “One of these letters shows their incompetence; we’re just not sure which one it is.”

»Others said that the contradictory letters are a sign of deeper trouble at AIPAC. “This is only the beginning,” said Steve Rosen, a former top AIPAC official. “At the center of AIPAC is bipartisanship and the day it breaks with either of two parties is the day it ceases to exist—and they’re pretty close to this.” AIPAC is facing a “terrible dilemma because [Wasserman Schultz] is not going to change her position,” Rosen said.»

Un article du National Journal du 23 janvier 2014 explique que ce qui s’avère être présentement l’infortune de l’AIPAC est d’abord due à la fortune du lobby J-Street, le lobby juif concurrent apparu autour de 2007-2008, et qui suit une ligne beaucoup moins conservatrice et extrémiste que celle de l’AIPAC. L’activisme de J-Street était évident dès le début 2009, lors de l’opération israélienne “Plomb Fondu” contre Gaza, lorsqu’il était apparu comme un porte-parole des juifs libéraux et progressistes US opposés à l’action israélienne (voir le 13 janvier 2014). Néanmoins, ce qui semblait alors pouvoir être une expansion irrésistible de J-Street s’était depuis largement tassé, y compris à l’occasion de prises de position de ce groupement le rapprochant de l’AIPAC et perdant ainsi tout son sens.

Un autre argument est déjà énoncé dans la citation de FreeBacon, plus haut, concernant l’absence d’unité bipartisane sur cette affaire («At the center of AIPAC is bipartisanship and the day it breaks with either of two parties is the day it ceases to exist—and they’re pretty close to this»). L’affaire DWS devient en effet révélatrice à cet égard, puisque la parlementaire démocrate a finalement fait le choix politique, sinon politicien (tout cela se monnaye en avantages et soutiens divers) de suivre la ligne du président plutôt que les consignes de l’AIPAC. Car, effectivement, il y avait un choix à faire, et un choix tranché, sans nuances... On rejoint alors l’avis de Justin Raimondo (Antiwar.com, le 31 janvier 2014), que l’on surprend en pleine manifestation d’une considération favorable, presque sans restrictions (on verra plus loin), de l’attitude d’Obama sur un point, – son annonce publique d’opposer son veto à la législation des nouvelles sanctions si elle étaitt votée :

«The President’s ode to the virtues of diplomacy is capped by pushback against the Israel lobby’s attempt to sabotage the Geneva talks with Iran – and a flat out declaration that he’ll veto any legislation that threatens to undo the interim agreement. You have to give the man credit: no sitting US President since Eisenhower has done more to take on the biggest and most powerful foreign policy lobby of them all.

»Now that’s not saying much: Bush II was pretty much their sock-puppet until toward the end of his second term, and Clinton was worse. Reagan was a mixed bag, and if you go back and look you can see where Carter, Nixon, etc. had dustups with Tel Aviv, but not on the scale we’re seeing today, and never quite so publicly. Of course, that was before the Israelis went off the deep end and started electing rabid ultra-nationalists intent on creating a Greater Israel at the expense of their Palestinian helots – and their allies in Washington...»

Trois déroutes en un an

Quoi qu’il en soit, il faut d’abord relever que c’est, en un an, la troisième fois que, sur une affaire importante, l’AIPAC intervient et connait au moins la confusion extrême, au mieux la défaite, – et certainement la déroute si l’on considère ses positions habituelles sur les trois affaires envisagées.

• La première grande bataille, c’est la nomination de Chuck Hagel comme secrétaire à la défense, en janvier-février 2013. La partie était clair, le résultat ne le fut pas moins. L’AIPAC s’engagea à fond contre Hagel, et il perdit à plate couture. (Cela n’a pas servi à grand’chose, Chuck Hagel, qui semblait apporter des promesses d’une direction renouvelée et audacieuse, s’étant totalement dissous dans l’emprise-Système du Pentagone. Mais il s’agit d’un autre débat.)

• En septembre 2013, le président ayant renvoyé au vote du Congrès pour avis la question d’une attaque aérienne contre la Syrie à la suite de la crise ouverte par l’emploi d’armements chimiques, l’AIPAC s’engagea à fond en faveur d’un soutien à l’attaque. Il n’y eut pas de vote du Congrès sur cette affaire, mais les tendances étaient suffisamment connues, et déjà écrasantes contre l’intervention, pour qu’on puisse conclure sans la moindre ambiguïté que l’AIPAC connut à nouveau une défaite qui ne peut se décrire que comme une déroute humiliante. (Il avait pourtant mis dans la bagarre plus de 200 lobbyistes au Congrès.)

• Aujourd’hui, c’est cette affaire du projet de loi pour de nouvelles sanctions contre l’Iran. Là encore, quelles que soient les circonstances, les contradictions, la confusion, la pente naturelle et évidente de l’AIPAC était de faire passer cette loi. Elle n’y a pas encore réussi, on a vu dans quelle confusion, et même la loi ne cesse de perdre du terrain ; l’on peut avancer le pronostic, avant même que l’affaire soit close, que dans ce cas l’AIPAC a encore connu une défaite sévère, type-déroute... Cela fait trois défaites, dans des circonstances diverses, mais chacun très significatives du déclin du Lobby, et même du déclin accéléré, approchant la déroute.

Des divers arguments, les diverses circonstances qu’on a énoncées dans la dernière affaire des sanctions anti-Iran (les remous chez les juifs libéraux et progressistes, l’activisme anti-AIPAC de J-Street, la position ferme d’Obama pour un veto), aucun n’est décisif, aucun n’est une cause. Il s’agit plutôt de conséquences circonstancielles d’un mal fondamental dont l’AIPAC est à la fois cause centrale et dynamique. En effet, c’est notre thèse, le principal responsable de l’échec de l’AIPAC, c’est l’AIPAC lui-même ; dans cette dernière affaire comme dans les deux précédentes, peut-être encore plus complètement. A cet égard, on peut citer ce que nous écrivions déjà concernant la première affaire, celle de la nomination de Chuck Hagel. C’était le 9 janvier 2013, à propos des avatars meurtriers que l’AIPAC avait d’ores et déjà rencontrés...

«Il n’empêche, l’AIPAC s’est débandé. Nous posons l’hypothèse que ce n’est pas BHO qui l’a fait reculer, parce que ce n’est pas son style et qu’il n’a montré à aucun moment qu’il s’agissait d’une occasion exceptionnelle pour lui, qui le transcenderait ; parce que, jusqu’ici, et en plusieurs occasions, BHO n’a pas fait reculer l’AIPAC, et a reculé plutôt devant l’AIPAC. Jusqu’à la Noël, il était évident que l’AIPAC pouvait rassembler ses troupeaux de parlementaires pourris jusqu’à l’os pour les faire gémir contre le dangereux, l’antisémite, l’anti-gay, le démoniaque Chuck Hagel. Tout se passe comme si l’AIPAC s’était trouvé dans la même position que le BHO que nous avons décrit, frappé par le même mal de multiples capacités (employons ce terme plutôt que “vertus” et “qualités”, qui seraient trop inappropriées pour l’AIPAC) qu’il ne parvient plus à coordonner, à rassembler efficacement.

»Nous décrirons plutôt cet épisode de l’affrontement raté et éludé entre l’AIPAC et BHO, avec, selon les références d’in illo tempore, la défaite probable du président et Hagel jeté par-dessus bord, comme un signe de plus de l’encalminage de la situation de paralysie et d’impuissance à Washington. Même les forces les plus vives du Système, donc les plus maléfiques comme l’AIPAC, se trouvent frappées et touchées. Même le furieux et obsédé Netanyahou, devenu soudain lointain et inaudible, semble avoir perdu son énergie destructrice. Ainsi BHO triomphe-t-il de l’hydre AIPAC selon les restes de la nature des choses, par automatisme, par la seule autorité courante de sa fonction, sans véritable panache ni combat, – “A vaincre sans combattre, on triomphe sans gloire”… Bien, on ne triomphe pas, mais l’AIPAC a capitulé.

»Pour nous, c’est bien cela : le parcours désormais probablement victorieux de Hagel, alors qu’on le jugeait absolument impossible deux semaines plus tôt, n’est que la marque d’une dégradation supplémentaire du Système à Washington. Cette dégradation a, comme c’est souvent le cas dans ces occurrences d’inversion d’une situation invertie, un effet paradoxalement vertueux, et involontairement certes, par simple logique d’antithèse. Il émousse considérablement, jusqu’à la paralysie, la puissance d’un AIPAC. La paralysie et l’impuissance les frappent tous et nul n’est épargné, – parce que c’est une question de climat, de pesanteur d’un Système à l’agonie, et non plus de moyens, – situation classique pour nous, désormais, de la séquence équationnelle surpuissance-autodestruction...»

Cette situation décrite en janvier 2013 s’est enrichie en se précisant avec les deux épisodes successifs, deux autres déroutes de l’AIPAC, en précisant plusieurs éléments. On voit que l’AIPAC et ses correspondants (le corrupteur et les corrompus) naviguent à vue, et même les yeux fermés, simplement occupés à tenir la manette en full speed sans s’inquiéter des écueils, des bancs de sable et des conséquences, ou bien plus simplement encore en ayant activé le pilote automatique qui n’a aucune instruction particulière sinon celle de foncer, en mode-surpuissance... Il en résulte des situations singulières, elles aussi déclenchant des automatismes aveugles, et avec eux le déluge de la déroute.

D’abord, l’AIPAC ne s’intéresse pas du tout à la politique qu’il prône, dans ce qu’elle vaut et donc de la façon dont il faut la présenter, ni dans ses effets et ses conséquences, avec les manœuvres qu’il faudrait initier pour arriver à bon port. Depuis maintenant plus de dix ans, il suit le politique-Système, version Likoud, jusqu’à l’extrémisme obsessionnel de Bibi Netanyahou sans s’occuper un instant de la marche des événements et de la façon dont cette marche interfère sur la situation générale. Les gens de l’AIPAC n’ont pas vu que la susdite politique-Système est devenue, depuis 2008, une marche de la surpuissance vers l’autodestruction ; certes non puisqu’ils se contentent de continuer à bourrer de charbon jusqu’à la gueule la chaudière bouillonnante. Ils ne voient donc pas que la surpuissance se transforme en autodestruction et, de plus en plus, malgré des conditions prospectives qu’ils croient toujours aussi favorables, n’anticipent rien des brutaux changements d’orientation, tant des parlementaires que du public, favorisant de soudains renversements antiSystème qui les prennent complètement à contrepied.

De leur côté, les corrompus, les correspondants de l’AIPAC, agissent également en aveugles. Peu leur importe les politiques qu’on leur demande de sanctifier au nom de l’AIPAC, ce qui importe c’est l’intervention de l’AIPAC, rassurante, promesse de soutiens corrupteurs, de discours politiquement corrects, etc., jusqu’au moment où, eux aussi, se trouvent devant une circonstance inattendue qui les fait changer complètement de cap et abandonner la ligne politique AIPAC sans la moindre hésitation puisqu’ils ne l’ont pas choisie une seule seconde pour sa véritable valeur. Les plus valeureux et les plus vieux guerriers parmi ces corrompus agissent sans s’attarder à comprendre quoi que ce soit, là aussi en pilotage automatique. Il n’y a plus chez eux aucune conviction, et cela va jusqu’à une sorte de crétinisme de robot qu’on jugerait presque innocent (l’innocence du simple d’esprit) plutôt qu’au mensonge et à sa démarche trompeuse et faussaire. Voici un McCain déclarant en janvier 2013 lors de l’affaire Hagel, en toute ingénuité «...and I know of no, ‘Jewish lobby’» (voir le 19 janvier 2013) et s’inquiétant en janvier 2014, presque comme un enfant qui a perdu de vue sa nounou («I don’t know what [AIPAC] they’re doing»). Qui s’étonnera de cela ? C’est le même McCain qui proclame la démocratie devant les foules extatiques de Kiev, en étant soutenu et encouragé par le chef de Svoboda, groupe antisémite, xénophobe, ultra-nationaliste qui a adopté la croix gammée comme porte-drapeau et porte-clefs. Qui se soucie de quoi dans cette bouillie pour les chats ?

Le problème est donc bien que ces situations et ces dynamiques robotisées, sans la moindre pensée, ne dépendent plus du tout d’une ligne radicale assurée, comme c’était le cas entre 2001-2008, mais d’une ligne de plus en plus brisée, – tout cela concrétisant la politique-Système confrontée aux soubresauts surpuissance-autodestruction, – aboutissant aux moments-clefs à des situations où le courant principal devient brusquement celui de l’abstention, du refus de l’action extrême, ou bien de la mise en cause de la loi infâme et singulièrement stupide si on la juge objectivement, faite pour saboter sans aucune solution de rechange la diplomatie (cas du tournant syrien de septembre 2013, du naufrage des nouvelles sanctions anti-Iran de janvier 2014). L’extrémisme systématique de la politique-Système est devenu une sorte de naufrage convulsif que personne ne songe à contester puisqu’il n’y nulle conviction nulle part, et qui renverse cul par-dessus tête l’AIPAC et ses ambitions extrémistes d’un autre temps.

Ainsi l’AIPAC reste-t-il plus puissant que jamais, plus bourré de frics divers, plus corrupteur, plus distributeur de prébendes, et pourtant lancé sur une course erratique où ses manœuvres deviennent de plus en plus tordues, contradictoires, absurdes, jusqu’à être le contraire de ce qu’elles devraient être, – en un mot de plus en plus souvent sollicité, autodestructrices. L’effet de surpuissance se transforme majestueusement en effet d’autodestruction. Nul ne détruira l’AIPAC, nul ne réduira son statut. Il suffit d’attendre qu’il se vide de toute substance, comme un dinosaure qui se vide de l’intérieur. Bientôt, on ira visiter son énorme squelette au musée de la paléontologie du lobbyisme. Même la corruption peut conduire à la vertu par inadvertance, même la corruption peut devenir grandiose pièce de musée.

Dans le panégyrique mesuré qu’il fait de BHO pour avoir annoncé son veto à tout vote du Sénat de la loi sanctions-contre-l’Iran, Raimondo ajoute fort justement, comme réserve fondamentale qui réduit d’autant son jugement positif, que BHO n’y est finalement pas pour grand’chose. Il est simplement, dit-il, le jouet présentant bien des événements : «All of which goes to highlight my point: that President Obama’s decidedly realist policies are being driven by circumstances outside his control...» Paysage habituel désormais, rengaine sans fin mais avec le pouvoir de dissoudre de plus en plus, dans le fameux mouvement vertueux d’inversion, tous les composants de la surpuissance du Système, et cela grâce à l’action de forces qui les dépassent, de ces “circonstances hors de son [de leur] contrôle”. L’AIPAC n’échappe pas, lui aussi, à la loi du genre. Nous irons effectivement, un jour prochain, voir ses restes à ce musée d’anthropologie du lobbyisme  : “Tiens, regarde, dirons-nous à Junior, c’était le plus grand de tous, le dinosaure baptisé The Lobby...” Même la corruption succombe, même la corruption devient fantôme de musée.