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74622 juillet 2007 — Est-ce l’impression que nous laisse le texte de Johann Garlund, notamment par le ton de conviction assurée qu’il communique à ses lecteurs (ses auditeurs) à propos de la certitude de “la fin de l’Empire”? Est-ce la profusion des textes crépusculaires ou furieux de la presse alternative sur le Web, la seule aujourd’hui à refléter l’essence des choses et l’“esprit du temps”, — plus largement dit, l’“air du temps”?
… Par exemple, lorsqu’on lit Patrick J. Buchanan, le 20 juillet, avancer quelques précisions sur l’évolution irakienne et terminer comme ceci :
«As for this country, the argument over who is responsible for the worst strategic debacle in American history will be poisonous.
»With a U.S. defeat in Iraq, U.S. prestige would plummet across the region. Who will rely on a U.S. commitment for its security? Like the British and French before us, we will be heading home from the Middle East.
»What we are about to witness is how empires end.»
Qu’est-ce qui fait qu’une hypothèse déjà proposée le 16 mars 2006 par Paul Craig Roberts (Is Another 9/11 in the Works?»), et alors passée relativement inaperçue, trouve aujourd’hui un écho aussi fort? Un complot? (Un complot pour faire croire qu’on prépare un nouveau complot 9/11, etc.?) Ce n’est certes pas notre analyse. Parlons plutôt d'intuition. Il y a là-dedans quelque chose qui ressemble à un courant de pensée aussi vague et aussi puissant que ce qu’on nomme “l’air du temps”. Non que nous ne souscrivions pas à cette hypothèse du complot ou du “complot pour faire croire à un complot”, — ni que nous y souscrivions d’ailleurs, — là n’est pas le propos. Notre propos est celui du constat de la nature des choses et de leur évolution. Le découragement, la lassitude de l’esprit sont tels devant l’activité américaniste de cette administration, l’impasse tellement complète, la catastrophe tellement sans retour, l’aveuglement et le mensonge tellement affirmés, le virtualisme tellement vénéré, qu’il ne semble plus y avoir comme perspective que la chute ; et la chute de tout puisque rien dans le système ne s’est montré et ne fait croire qu’il se montrerait capable de résister à ce déferlement d’une colossale médiocrité. Quelle forme prendra-t-elle, cette chute? Pourquoi pas le montage d’un nouveau 9/11, annoncé par avance comme un montage du pouvoir, raté évidemment ou entraînant un enchaînement catastrophique, etc.
Paul Craig Roberts compare Bush à Hitler et un faux 9/11bis à l’incendie du Reichstag. («Hitler, who never achieved majority support in a German election, used the Reichstag fire to fan hysteria and push through the Enabling Act, which made him dictator.») Nous retrouvons “l’air du temps”, puisque, il y a quelques jours, (le 15 juillet), un parlementaire US employait les mêmes métaphores ignominieuses (certes, Keith Ellison est noir et musulman, susurre la presse, — quoique nous voyons mal ce que ce “certes” vient faire…). Force est de constater que l’analogie est dans toutes les têtes et qu’on ne prend plus guère la peine de s’en dissimuler.
Comme nous le signale notre lecteur “Périclès”, en date du 21 juillet, le texte de Roberts, puis des déclarations postérieures du même Roberts ont été repris par l’agence Novosti le 20 juillet, avec pour thème la possible instauration de l’état d’urgence aux USA.
«Le républicain Paul Craig Roberts, ancien sous-secrétaire aux Finances de l'administration Reagan, a expliqué que George W. Bush avait élaboré les bases juridiques permettant d'instaurer l'état d'urgence et que d'ici un an, les Etats-Unis pourraient devenir un Etat policier dictatorial, en guerre contre l'Iran.
»Il a déclaré que dans une telle situation, les militaires américains pourraient constituer l'unique force d'opposition.
»“Il est possible qu'ils (les militaires) en aient assez et qu'ils n'aient plus envie de se soumettre”, a-t-il ajouté lors d'une interview à la radio, retransmise simultanément jeudi sur les ondes de plus de 50 stations américaines.»
(Les bases juridiques dont parle Paul Craig Roberts sont constituées par l’Executive Order du Président du 17 juillet, sur l’action suivante : “Blocking Property of Certain Persons Who Threaten Stabilization Efforts in Iraq”. Roberts estime que cette décision donne à l’exécutif un pouvoir discrétionnaire sans limites.)
Il y a, du point de vue du système, une terrifiante décadence de l’esprit public, — même s’il s’agit de l’“esprit public” du conformisme du système. Il y a une terrifiante dégradation du respect du conformisme qui est un pilier du système. Même complètement discrédité et d’une primarité si aveuglante, un président ça se respecte. (Et encore n’est-il pas assuré que GW le soit, discrédité, plus que certains de ses prédécesseurs dans l’histoire lointaine de la Grande République ; par contre, pour la primarité du caractère qui correspond à sa croyance en l’apparence des choses, surtout des montages, il semble sans précédent.)
Ou bien, s’il y a une telle attaque contre un président, un tel discrédit, un tel soupçon général, c’est que le système présente ou prépare une alternative. Ce fut le cas pour Nixon en 1974. Les attaques et le discrédit le saisirent jusqu’à l’estocade finale alors que le Congrès s’était constitué en une puissante force d’alternative, avec la presse en flanc-garde, et offrant une alternative de stabilité ou de retour à la stabilité. Il s’agissait de Nixon seul, individu isolé dans son gouvernement, dont l’élimination (démission le 9 août 1974) laisserait en place l’administration dans son entièreté. L’affaire Watergate porta sur l’élimination d’un homme et elle n’installa nul désordre dans le système.
Ici, rien de semblable. Le désordre est partout. Les accusations fusent et portent désormais à visage découvert les soupçons les plus graves et les plus sacrilèges. Elles s’adressent à un exécutif aux abois, lui-même divisé en divers pouvoirs concurrents et sans la moindre solidarité. (Qui oserait considérer comme “alliés” ou solidaires un Cheney et un Gates?). Peut-on raisonnablement comparer, en termes purement techniques de dynamisme politique, un Bush dans une telle position politiquement désespérée et aveuglément solitaire avec un Hitler en pleine ascension et dynamisme d’acquisition de puissance, au moment de l’incendie du Reichstag?
L’armée est aux prises avec ce qui pourrait être la plus grave défaite stratégique de son histoire et se trouve dans l’incapacité d’assurer ses missions. L’U.S. Navy est presque en dissidence ouverte devant les perspectives d’une possible attaque de l’Iran. Les agences de renseignement sont soumises aux attaques constantes des dissidents internes qui alimentent la presse de documents secrets pour les discréditer. Le Congrès ne sait que faire de sa puissance théorique acquise le 7 novembre dernier et montre par conséquent une paradoxale impuissance générale. Ce n’est pas que le parti démocrate majoritaire soit bloqué par les procédures d’un parti républicain acharné à défendre son président puisque le parti républicain, lui-même, se déchire en factions diverses.
En un sens, un observateur superficiel pourrait poser cette question sceptique en se référant aux deux ou trois années précédentes: quoi de neuf sinon la poursuite en s’accentuant logiquement du même désordre? C’est ignorer la dimension psychologique du drame. Elle se manifeste dans l'habitude qui commence à apparaître dans les commentaires et les jugements d’évoquer et de commenter les hypothèses désormais les plus extrêmes, — désormais, la fin de l’“Empire”, du système, la vitesse du déclin américaniste sont les sujets courants de bavardage, entre poire et fromage. Cela suppose une exacerbation de la psychologie qui prépare éventuellement à des réactions extrêmes et hors de tout contrôle en cas d’incident ou d’accident même banal.
Nous nous trouvons devant un problème étrange et extraordinaire que suscite notre système aujourd’hui colossal de communications dont nous dépendons entièrement. Jamais, bien entendu jamais dans l’Histoire une telle puissance que les USA, — l’“Empire” en question, — n’a été placée devant une telle connaissance et une telle diffusion de cette connaissance de la possibilité de son déclin accéléré, voire de son effondrement comme c’est le cas maintenant, sans que l’essentiel de son influence et de la peur qu’elle inspire se soit dissipé. Il s’agit du phénomène de rapprochement extrême de l’Histoire que nous rencontrons, pour ceux qui savent percer le rideau assez transparent désormais du virtualisme et du conformisme. La réalisation et la perception de ce qu’il y a d’historique dans les événements que nous contemplons et que nous vivons sont bien plus grandes qu’elles n’ont jamais été.
(Relisant certains livres sur l’année 1814 et la première capitulation de Napoléon, on est frappé par la méconnaissance des principaux acteurs et commentateurs de l’ampleur de la bataille qu’ils mènent et de l’importance du destin dont ils vont décider, que ce soit les vaincus ou les vainqueurs. Cela est dû, bien évidemment à la situation des communications et les lenteurs de perception qu'elle impose, et nullement à la médiocrité des hommes. Cette évidence, pour les alliés, de l’élimination de Napoléon comme interlocuteur français pour la paix à rétablir après leur victoire, et son remplacement par les Bourbons [Louis XVIII], n’est envisagée qu’après la défaite, et encore, sur l’insistance de Talleyrand auprès du tzar Alexandre. Talleyrand, bien sûr, avec la compagnie temporaire du tzar le 31 mars 1814, — le seul homme qui, dans cette tourmente, semble saisir l’ampleur de l’enjeu de la tragédie qui se joue, — bien sûr, grâce à son intuition et nullement aux communications.)
La question qu’on peut se poser est de savoir si cette connaissance précise des menaces qui accablent d’ores et déjà l’Empire, et qui ne vont cesser de peser plus lourdement sur lui si les erreurs persistent comme elles semblent devoir le faire, modifie en quoi que ce soit l’attitude des principaux acteurs. Il semble que non, même chez ceux qui paraissent deviner par instants la profondeur du drame. Il semble qu’il y ait, à ce point, une sorte de fascination, inconsciente et parfois même consciente, pour le destin tragique qui recèle peut-être l’effondrement. Il semble que nous soyons irrésistiblement attirés par ce destin catastrophique de la puissance américaniste, comme si la puissance de la connaissance de ce destin avait remplacé, comme dans un système de vases communicants de la dynamique des forces, la puissance d’éventuellement pouvoir le modifier, ou de le freiner.