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104819 mars 2007 — Le voyage de Merkel en Pologne mais aussi, bien sûr, la crise du système BMD anti-missiles, mettent l’accent sur les relations entre la Pologne et l’Allemagne. Auparavant, d’autres points de tension ont déjà éclairé ces rapports germano-polonais d’une lumière particulière, notamment la question du gazoduc entre la Russie et l’Allemagne qui contourne la Pologne. Ce projet fut présenté comme une réédition du Pacte Molotov-Ribbentrop du 23 août 1939 par le ministre polonais de la défense Sikorski, lequel a évolué depuis, semble-t-il — pas nécessairement sur ce sujet, mais “évolué” d’une façon générale. Il y a également des points de tension encore plus passionnels, comme la question des réparations exigées par des associations d’Allemands, ou descendants d’Allemands expulsés des territoires allemands orientaux annexés par la Pologne à la fin de la guerre (ligne Oder-Neisse).
Ce qui nous apparaît étonnant et remarquable, à nous qui suivons le domaine germano-polonais de plus loin que d’autres domaines, c’est la réalisation soudaine que ces relations ont pris une place importante dans la problématique européenne. Par exemple, un article du Spiegel Online du 15 mars, qui fait une synthèse de ces relations à l’occasion de la visite de Merkel en Pologne, mesure la profondeur de l’antagonisme même si le ton général se voudrait d’un optimisme de circonstance (parce qu’il présente la visite de Merkel).
On peut lire, par exemple ce passage, qui montre combien cet optimisme de circonstance a du mal à trouver sa place :
«Still, Piotr Buras, a Krakow-based expert on Germany, last week took a carefully optimistic view. “The Polish government seems to have realized its statements so far have isolated it within the EU,” Buras says. But he also cautions it may be too early to expect a new and cooperative Poland. The Kaczynski brothers haven't changed their view of Germany overnight, he insists. At best, they've added an element of grace to their foreign policy.
»Both brothers continue to believe Poland has handled Germany too timidly in the past. A “diplomacy of weakness,” they call it. The most immediate result is that the post-1989 relationship between Germany and Poland has never been as bad as it has since the Kaczynski twins came to power.
»Even Gesine Schwan, Germany's coordinator for relations with Poland and a person whose very office requires her to empathize with Germany's eastern neighbor, seems to be giving up. “At the moment, it's difficult to say to what extent the current Polish government is capable of a reliable policy towards Germany,” she says. A German diplomat is even blunter. “We have to be patient and keep talking — even if there really isn't any point any more,” the diplomat said.
»The most recent example of Polish waywardness is Warsaw's approval of US missile defense facilities being set up in Poland — an approval that was given without any prior consultation with Berlin.»
Le côté polonais est en effet extrêmement tendu et critique, voire émotionnel dans son appréciation de l’Allemagne. Un rapide extrait d’un article de l’International Herald Tribune du 16 mars donne le ton :
«Nevertheless, President Lech Kaczynski — the prime minister's twin brother — last week accused Germany of “obvious anti-Polish sentiment that is often racist” over the issue.
»The new Polish coordinator for Polish-German relations, Mariusz Muszynski, in an interview with the German daily Berliner Zeitung, accused Germany of “egotism” and “selfishness.”»
Nous évoquons ici des éléments de la querelle germano-polonaise pour en situer l’importance. Pourtant, ce n’est pas l’importance de cette querelle qui nous importe mais l’importance qu’elle commence à prendre dans le jeu européen.
Ce que nous voudrions mettre en évidence à l’occasion de ce très rapide et succinct passage en revue de quelques avatars des relations germano-polonaises, c’est la dimension européenne qu’est en train de prendre cette querelle. L’occasion en est évidemment l’affaire des BMD (euromissiles-II), puisque cette affaire s’inscrit dans le cadre des relations germano-polonaises, pour les rendre encore plus difficiles, alors qu’elle constitue elle-même une crise stratégique européenne potentielle d’une extrême gravité, impliquant les acteurs principaux du continent et les Etats-Unis. De cette façon, effectivement, ces relations bilatérales deviennent une composante majeure de la situation et des relations intra-européennes en général.
Nous écartons ici résolument les possibles conséquences de ces querelles, les risques stratégiques, etc. Nous voulons mettre en évidence l’importance soudaine, au niveau continental, qu’acquiert cette relation bilatérale, sans que cela implique nécessairement un bouleversement de l’ordre des puissances en Europe. Notre propos est, dans sa finalité, de l’ordre de la psychopolitique plutôt que de la géopolitique.
Il s’agit d’une évolution insensible d’une immense importance. “Insensible” parce qu’il ne s’agit pas, à notre sens, d’une évolution de puissance, ni même une évolution d’un poids stratégique ou d’un poids politique décisif. Il s’agit d’une évolution d’un ou du point maximal de la tension en Europe, avec les modifications d’équilibres et de déséquilibres qui sont liées à ce déplacement. Ce “point maximal de la tension” serait défini par un mélange de contestations politiques, de désaccords divers, de tensions psychologiques, etc. La Pologne, dans ses rapports avec l’Allemagne, est en train d’acquérir cette position.
Qui remplace-t-elle? (Qui remplacent-elles ? si l’on tient compte de l’Allemagne.) La France, bien entendu, et la France dans nombre de ses rapports bilatéraux et dans ses rapports avec “le concept européen” perçus (généralement de façon exagérée mais c’est la perception qui compte) souvent comme ambigus ou difficiles au sein de l’Europe. Comme on voit bien, parlant de “point maximal de la tension”, on ne parle évidemment pas d’une orientation politique donnée puisque la Pologne est à peu près d’orientation inverse à celle de la France.
Le résultat n’est pas un changement d’orientation, un changement politique, mais un changement de la perception psychologique (justifié ou pas, qu’importe), d’une part des responsabilités dans les événements politiques selon les jugements conformistes en vogue ; d’autre part, un changement de la perception des zones importantes, des zones de tension, des zones stratégiques, — et, dans ce cas, une réorientation des tensions européennes vers l’Est, tournant le dos (c’est le plus important) au centre transatlantique.
Ce n’est ni l’échec d’une géométrie de l’Europe, ni l’échec de la France pour reprendre ce cas (la France est un pays tourné vers tous les points cardinaux, dans ce cas aussi bien vers l’Est que vers l’Ouest, et il s’adapte à ces orientations et il est d’une importance européenne aussi grande dans toutes ces orientations), — c’est un échec du schéma transatlantique de l’Europe (rapports privilégiés EU-USA), une re-“continentalisation” du continent (sic), — et une importance accrue de la Russie par conséquent, avec une quasi-intégration de cette puissance dans la problématique européenne. Cette tendance implique une évolution des mentalités, des psychologies, un renforcement du sentiment européen, de la perception continentale aux dépens de la perception océanique. Elle implique aussi une extension des responsabilités et, dans ce cas, la France ne serait plus la seule à assumer une “responsabilité européenne”, c’est-à-dire la responsabilité de rechercher par son poids et ses tendances un renforcement de la personnalité européenne ; nous voulons dire que cette modification de la perception des situations tendrait à sortir la France de sa solitude de seul véritable acteur stratégique actif de l’Europe.
Cette tendance est de l’ordre du court terme et du long terme selon ses implications. Les insupportables Polonais, trouble-fêtes mais aussi révélateurs de certaines réalités, en sont la cause principale. La deuxième cause est le réseau BMD et l’aveuglement américaniste, qui élargissent la querelle germano-polonaise à l’échelle du continent et donnent à la tendance qu’on tente ici de décrire une dimension peut-être décisive. A cet égard, nous pourrions nous juger avec bien des arguments comme étant en plein paradoxe puisque ce sont exactement des ennemis d’une possible identité européenne et d’une possible indépendance européenne qui introduisent des éléments plutôt favorables à l’une et à l’autre. C’est bien un phénomène de notre étrange temps historique.