L'Allemagne, entre deux eaux très agitées

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L'Allemagne, entre deux eaux très agitées

La rencontre Merkel-Obama à Washington, après les folies non-autorisées par Washington de la semaine dernière, montre ce que nous nommerions un “réalignement marginal” sur les thèses US. Une autre interprétation est de parler de “divergence tactiques”, suggérant que les deux pays sont stratégiquement alignés. C’est l’image du verre à moitié vide ou du verre à moitié plein ; notre image du “réalignement tactique” indique que nous choisissons l’option du verre à moitié vide, non parce que nous aurions confiance dans le comportement pseudo-ferme de cette chancelière plutôt de fer-blanc, mais parce que nous ne voyons rien dans les événements à venir et dans l’intransigeance-Système du fondement de la non-politique US matière à remplir un peu plus ce verre vide, – et plutôt diablement le contraire, certes.

La chancelière aura bien du mal à maintenir son pseudo-réalignement avec les mesures qu’on peut attendre de la poursuite de la politique US présentée comme rationnelle et bien calibrée par le président Obama, et en fait répondant aux poussées hyper-hystériques des relais du Système qui tiennent le haut du pavé à Washington. Elle aura bien du mal parce qu’il s’avère que le climat politique intérieur en Allemagne est de plus en plus marquée par une virulente opposition à la politique US, marquée pour l’instant par la possibilité de livrer des armes dites “létales” au régime de Kiev. (L’option de ces livraisons est “toujours sur la table”, a aimablement indiqué BHO à Merkel, tandis que le Congrès, notamment l’inusable McCain, continue à affirmer haut et fort que sa position en faveur des livraisons suffit complètement à effectuer effectivement ces livraisons.)

Russia Today (RT) le 10 février 2015 : «The option of supplying Kiev with “lethal defensive weapons” is on the table, Barack Obama said in a joint press conference with Angela Merkel. However, the German chancellor reiterated there is no “military solution” to the conflict in eastern Ukraine. “The possibility of lethal defensive weapons is one of those options that’s being examined,” the US president said during a joint press conference with Merkel in Washington.

»Merkel [...] struck a less antagonistic, if equally firm, tone. “We continue to pursue a diplomatic solution, although we have suffered a lot of setbacks. But, I've always said I don't see a military solution in this conflict,” she said through a translator. [...] “I myself, actually, would not be able to live with not having made this attempt,” said Merkel, who still accuses Moscow of “violating” the initial terms of the Minsk treaty and continuing support to anti-Kiev rebels.

»Yet both leaders appeared somewhat skeptical at the prospect of a diplomatic solution. “If, at a certain point in time, one has to say that a success is not possible, even if one puts every effort into it, then the United States and Europe have to sit together and try and explore further possibilities, what one can do,” admitted the 60-year-old German chancellor.

»Yet despite admitting some tactical disagreements, the two leaders tried to present a common front. “Russian aggression has only reinforced the unity between the United States, Germany and other European allies,” the president said. “There’s going to continue to be a strong, unified response between the United States and Europe – that’s not going to change,” said Obama. “For somebody who comes from Europe, I can only say, if we give up this principle of territorial integrity, we will not be able to maintain the peaceful order of Europe. It's essential,” said Merkel, condemning Crimea’s secession from Ukraine, as well as the splintering of the Donetsk and Lugansk regions.»

• Nous disions donc que, du côté politique intérieur en Allemagne, il n’est nullement assuré que le “réalignement”, marginal ou pas, de Merkel à Washington obtienne un soutien enthousiaste. Il y a des signes extrêmement significatifs à cet égard, y compris dans son gouvernement, comme le montre la déclaration du ministre des affaires étrangères allemand Steinmeier annonçant rien de moins que, dans certains cas, il se pourrait qu’il faille décider de sanctions contre l’Ukraine (celle de Kiev)... C’est sur la station de TV ARD que Steinmeier a fait cette déclaration (voir Fortrus.blog, le 9 février 2015). Steinmeier a estime que, si aucune décision politique (concernant la guerre) n’était atteinte en Ukraine, le gouvernement allemand «se réserve le droit d’agir d’une façon décisive contre la direction ukrainienne, jusques et y compris l’instauration de sanction» Les vertueux Ukrainiens de Kiev ont réagi au bord de la suffocation. Le ministre des affaires étrangères ukrainien Oleforiv a convoqué l’ambassadeur allemand et lui a fait une scène quasi-hystérique. Les Allemands ont laissé courir mais Steinmeier n’est pas revenu sur sa déclaration. (Vieille habitude, l’hystérie chez ces diplomates ukrainiens et chevronnés. En décembre 2014, le représentant de l’Ukraine à l’UE était intervenu en vociférant pour commenter une déclaration du même Steinmeier affirmant que l’Ukraine n’entrerait pas dans l’OTAN, par cette étrange affirmation : «Personne ne peut empêcher l’Ukraine d’entrer dans l’OTAN!» ... Et si, pourtant, l’OTAN elle-même qui propose une adhésion, et puis chacun des 27 membres de l’OTAN qui ont un droit de veto.)

• Voici maintenant un débat intéressant sur la chaîne TV allemande ARD, dimanche soir, dont Sputnik.News donne des extraits intéressants, ce 9 février 2015. (Sputnik.News, désignée comme une officine de propagande par le vertueux Economist. Par bonheur, The Economist ne perdra pas son temps à retranscrire les détails de ce débat, – diantre, on a sa dignité, même dans les poubelles.) Le débat impliquait notamment le président du Parlement Européen Schulz, l’ambassadeur US Kornblum, un général allemand venu de l’OTAN, une journaliste... Ce qui est remarquable, c’est la vigueur des propos de la part des intervenants allemands, dont certains directement destinés aux USA (Schulz, répondant à Kornblum qui avait affirmé que «Rien ne se réglera sans la participation des États-Unis» : «Je veux insister sur le fait les USA ne sont pas des voisins de la Russie, et cette guerre n’a pas lieu aux portes des USA. Je veux insister sur le fait que c’est un problème européen et je crois que les USA devraient se tenir à distance respectueuse.»... Ou encore, le général Kujat, ancien président du Comité Militaire de l’OTAN, répondant lui aussi à Kornblum qui affirmait que les Russes se battent en Ukraine  : «Si les forces régulières russes participaient à cette guerre, l’affaire serait finie en 48 heures[...] [Si] nous avions la stupidité d’entrer dans cette guerre, nous ne serions pas capables de la gagner; nous perdrions et ce serait catastrophique.»)

«Former US ambassador to Germany John Kornblum riled up his hosts by playing down the importance of the Franco-German peace negotiations on Ukraine, stating that “Russians respect only strength, not conciliation.” The ambassador noted that while “it's wonderful that Europe is doing something…nothing will be achieved without the participation of the United States.” In his words, “the bottom line is that the power lies in Washington.”

»European Parliament President Martin Schulz quickly jumped to challenge Kornblum's view, noting that “on the contrary, everything will work out if Europeans come to an agreement with their European neighbors. The USA is not a neighbor of Russia, and this war is not occurring at the gates of the US. I want to emphasize that this is a European problem, and I believe that the United States must stay some distance away from it.” Schulz added that President Barack Obama's statements about Russia losing its status as a great power are “simply wrong,” and that with Russia a nuclear superpower with a permanent place at the UN Security Council, “I ask myself – what is the point of such a provocation?” [...]

»Journalist and former ARD Moscow correspondent Gabriel Krone-Schmalz agreed with her colleague, noting that now “the showing of strength or of weakness is not the important criteria.” Rather, what's most important “is how to stop what is happening in Ukraine, as soon as possible, because people there are dying every day.” Krone-Schmalz went on to note the absurdity of “arguments [presenting] Putin as distanced from reality, crazy, bloodthirsty, autistic even, instead of learning about the situation in Russia, learning the interests of the Russians.” [...]

»Retired German Air Force General and former NATO Military Committee Chairman Harald Kujat joined in on the conversation, pointing out dramatically that what's at stake with these negotiations is the threat of a general war in Europe. He noted that “there is the danger that the war in Ukraine will turn into the war for Ukraine. This would be a development which no one would support.” Furthermore, the General noted that “if we stupidly enter into this war, we won't be able to win it; we will lose, and this will be catastrophic.” Kujat noted that with the Merkel/Hollande peace mission, “no effort can be wasted in order to do something in the name of peace and for the people of the Ukraine.”

»When Kornblum claimed that “Russians are fighting this war,” Kujat retorted, noting that “we are always told from various sides that regular Russian forces are participating in the conflict. Ukraine's president has consistently repeated this. However, I have no evidence that would prove this with absolute plausibility.” The general added that in his view, “if the regular forces of the Russian army were participating in the conflict, it would have been finished in 48 hours.”»

On comprend essentiellement ce qui se passe, qui est intervenu dans 3-4 derniers jours, et qui représente certainement l’“événement historique” à propos duquel nous nous interrogions, concernant cette crise, – finalement, il semble qu’il ait bien eu lieu. Il n’est plus tant question de l’Ukraine, de la recherche de la paix, des responsabilités, des échanges d’accusation, etc., il est désormais question de la guerre.... Celle qui est en cours, celle qui peut s’étendre, celle qui peut aller jusqu’aux folies indescriptibles de la possibilité d’un conflit nucléaire. Cette rhétorique-là est complètement différente et sépare radicalement les Européens et les USA, comme l’explique Shulz ; parce que cette guerre concerne directement l’Europe, pèse sur le destin de l’Europe, menace son existence même, tandis que pour les USA elle est bien loin, si loin... Il s’agit du fameux “découplage” qui fut tout au long de la Guerre froide l’objet de débats et crises sans fin, et constitua le principal motif opérationnel du retrait de la France de l’OTAN et du développement de la force nucléaire française (substantivation par cette sorte de question : “Croyez-vous que les USA risqueront l’existence de Chicago pour sauver Hambourg ?”). Mais pendant la Guerre froide, le débat état théorique, aujourd’hui il est concret, immédiat, opérationnel, et d’autant plus dramatique et antagoniste que ce sont les USA qui, pratiquement les seuls avec quelques clowns ukrainiens, poussent à la guerre. Ce “découplage”-là, dans des circonstances qui ne peuvent être que de plus en plus dramatiques et n’apporteront donc pas l’apaisement d’une détente de la tension, risque de conduire à un divorce, à une rupture, rien de moins.

Ce changement du thème de la rhétorique vers le thème de la guerre est aussi audible en France, dont on a vu combien le climat était en train de changer. Sans parler de ceux (Marine Le Pen) dont la position est connue, à l’UMP, après Sarkozy, Fillon a fait des déclarations allant dans le même sens extrêmement dur. (Les USA sont en train de «chercher à déclencher une guerre en Europe, ce qui serait catastrophique... Et une fois que la guerre aura éclaté, ils chercheront à prendre leurs distances»... Les USA agissent dans un «aveuglement complet», ils essaient constamment de «régler les problèmes par la force ... Ils commettent erreur sur erreur et aujourd’hui ils sont complètement discrédités...» «Aujourd’hui, l’Ouest essaie de représenter la Russie comme une menace pour le monde entier, en oubliant que la Russie est puissante et que c’est un grand pays, pour ne rien dire du fait que c’est une puissance nucléaire...»).

Le constat est donc bien que l’“événement historique”, le changement de paradigme qui fait passer le thème central de la soi-disant intégrité de l’Ukraine à la possibilité d’une guerre majeure en Europe, et l’accusation de la Russie aux USA, est en train de pénétrer avec une virulence extraordinaire les milieux politiques, au moins en France et Allemagne. Dans ces conditions, les dirigeants de ces deux pays, qui continuent (surtout Merkel) a développer une rhétorique ambiguë, à double face, risque de se trouver dans des difficultés grandissantes. Le danger intérieur pourrait devenir majeur pour Merkel, qui dépend de sa base politique et parlementaire, au contraire du président français. Si elle poursuit son discours actuel (qui est peut-être le fruit d’obligations secrètes) et si les milieux politiques allemands continuent à évoluer, ce n’est rien de moins que sa position de chancelière qui serait en jeu.


Mis en loigne le 10 février 2015 à 11H29