L’ambassadeur US interdit de Palais à Prague

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L’ambassadeur US interdit de Palais à Prague

Le président de la république tchèque Milos Zeman a annoncé que les portes de sa résidence officielle seraient désormais closes pour l’ambassadeur des USA en Tchécoslovaquie Andrew Schapiro ; Zeman signifie par là qu’il n’accueillera plus l’ambassadeur des Etats-Unis dans les salons du Château de Prague, pour protester contre un commentaire critiquant son intention d’assister à Moscou aux cérémonies du 70ème anniversaire de la victoire de mai 1945. Reuters rapporte ainsi cette décision du président, le 6 avril 2015 (dans Les Echos).

«L'ambassadeur des Etats-Unis en République tchèque trouvera désormais “porte close” au Château de Prague, la résidence officielle du président du pays, après des commentaires jugés critiques de la décision tchèque de se rendre à une commémoration de la Deuxième guerre mondiale en Russie. [...] “Je ne vois pas l'ambassadeur tchèque à Washington dire au président américain où il doit se rendre pour ses déplacements. Je ne laisserai aucun ambassadeur dire quoi que ce soit au sujet de mes voyages à l'étranger”, a déclaré Milos Zeman, cité par le portail d'informations Parlamentni Listy.»

Dans cette dépêche étaient insérées des informations “convenables” de commentaire, résumant la position officielle-narrative de la presse-Système, et conformément aux instructions du Système ; écrivant cela, nous-mêmes, puisque décidément, quand il s’agit de cette sorte de journalistes, il faut en parler comme l’on ferait d’automates : «Dans leur grande majorité, les dirigeants de l'Union européenne ont l'intention de boycotter cette cérémonie en raison du rôle joué par la Russie dans la crise en Ukraine, mais Milos Zeman, le président tchèque qui a déjà marqué par le passé sa singularité par rapport à la ligne européenne, a dit qu'il assisterait à l'événement. [...] S'exprimant à la télévision, l'ambassadeur américain a dit il y a quelques jours que ce serait “étrange” que Milos Zeman se rende aux cérémonies organisées par la Russie puisqu'il serait le premier chef d'Etat de l'Union européenne à le faire.»

... Par conséquent, pour avoir une information plus précise et plus équilibrée, il importe de compléter Reuters, par exemple, par RT le 6 avril 2015. Ainsi apprend-on que le président tchèque a exprimé, dans la même intervention, sa préoccupation de voir les tentatives occidentales d’isoler la Russie, non seulement pour des raisons commerciales mais également pour des raisons de bonnes relations stratégiques, notamment pour la lutte contre le terrorisme. Dans une autre intervention, Zeman avait expliqué, – puisqu’il faut effectivement aujourd’hui s’expliquer d’un tel déplacement, – qu’il se rendrait aux cérémonies du 9 mai à Moscou “en signe de gratitude pour n’être pas obligé de parler allemand dans ce pays (la Tchéquie)” et pour saluer la mémoire des 150.000 soldats soviétiques morts dans la bataille pour libérer la Tchécoslovaquie. Tout cela, – le soulagement de n’avoir pas à parler allemand, la gratitude pour ceux qui sont morts pour la libération de l’Europe tout en étant Russes, – ne faut pas partie de “la ligne européenne”.

«In the interview, the president also voiced his concern over the current Western attempts to isolate Russia. “It is essential to maintain and develop relations with Russia not only on a commercial basis, but also, for instance, based on the strategic partnership in the fight against international terrorism,” he said. Previously, Zeman said that his visit to Russia would be a “sign of gratitude for not having to speak German in this country.” He also intended to pay tribute to the memory of 150,000 Soviet soldiers who died liberating Czechoslovakia.»

• Le cas personnel de Schapiro est intéressant et constitue un étrange mélange de souvenir d’une tragédie historique exploitée pour des fins de communication et de pratiques politiciennes partisanes ; tout cela renvoie aux pratiques générales de la communication qui exploitent tous les aspects des situations et du comportement, des plus humainement historiques et tragiques au plus vénaux. D’une part, il y a le fait que Schapiro descend d’une partie d’une famille tchèque juive qui quitta la Tchécoslovaquie occupée par les Nazis pour les USA ; sa mère, âgée de 5 ans, avec sa sœur de 7 ans, réussit à fuir la Tchécoslovaquie occupée avec un grand-oncle de Schapiro. Un deuxième grand-oncle et sa grand’mère, restés en Tchécoslovaquie, furent déportés et exterminés par les Allemands. (Sa mère Raya Czerner Schapiro est la co-auteure d’un livre, Lettres de Prague, 1939-1941, qui retrace le sort tragique de son frère et de sa mère.) Cette expérience personnelle tragique, qui eut sa part dans la confirmation aisée de sa nomination par un Sénat toujours tatillon pour les confirmations de hauts fonctionnaires, sonne assez étrangement par rapport à l’opération de boycott des cérémonies de commémoration faites par le pays qui joua le rôle principal dans la victoire sur l’Allemagne et la libération des camps. D’autre part, l’argument principal pour la nomination reste, du côté de l’administration et de son chef, le fait que Schapiro est l’un des champions de la levée de fond ($1,26 million) pour les campagnes électorales du président, avec lequel il fit ses études de droit à la Harvard Law School.

(Schapiro est le 25ème ambassadeur nommé et la 50ème nomination politique de haut rang en général de l’administration Obama depuis janvier 2013, pour “remerciement” de levée de fonds pour fins électorales du candidat Barack Obama. C’est un record fameux pour une pratique pourtant très courante chez les présidents US ; Obama éclipse aisément Clinton, jusqu’ici champion incontesté de la chose. On peut trouver des détails sur ces divers aspects de la nomination de Schapiro, effective depuis 6 mois à Prague, le 7 mars 2014 sur PublicIntegrity.org, le 11 mars 2014 sur ChicagoMag.com, le 1er juin 2014 sur Allgov.com.)

• Sur cette affaire, RT mentionne également une réaction (tweet) du président de la commission des relations extérieures de la Douma, Alexeï Pouchkov : «A en juger par l’hystérie de l’ambassadeur des USA en république tchèque, Washington est nerveux à propos du déplacement de dirigeants européens à Moscou le 9 mai. Panique que la manœuvre d’isolement ne marche pas.»

Effectivement, les cérémonies à Moscou du 9 mai 2015, 70 ans après la capitulation de l’Allemagne, constituent désormais un grand enjeu de “la guerre de communication” entre la Russie et le bloc BAO, et l’on devrait en parler beaucoup d’ici le 9 mai. (Actuellement, 26 chefs d’État ou de gouvernement, dont le président Zeman comme seul membre de l’UE, ont accepté l’invitation de la Russie.) C’est une situation typique de notre époque, à la fois dérisoire sur le fond, à la fois d’une réelle importance pour la forme. L’incident Schapiro-Zeman en témoigne : il est dérisoire, et notamment par le degré d’irresponsabilité qu’il semblerait montrer du côté US, où l’ambassadeur outrepasse grossièrement les limites de son champ d’action en transgressant, d’une certaine façon par la simple impolitesse, les limites de la souveraineté du pays qui l’accueille. Il est pourtant d’une réelle importance, dans la mesure où Schapiro outrepasse volontairement le cadre de sa mission, selon une consigne spécifique de la politique US ; dans la mesure où son geste est pris comme tel, et traité effectivement comme une grossière ingérence par le président du pays qui l’accueille, et condamnée à mesure.

La situation qui en résulte, – l’interdiction d’accès du Palais de Prague faite à l’ambassadeur des États-Unis, – représente sans aucun doute une mesure symbolique d’ordre diplomatique qui a une réelle importance. Ainsi le veut la politique US aujourd’hui, qui se ramène de plus en plus à une politique de communication affirmant l’hégémonie US, alors que les USA n’ont plus les moyens de cette hégémonie, qu’ils n’en ont aucunement la légitimité, etc. Par conséquent, cette espèce de “politique de la grossièreté légitime” est aussi la politique mortifère d’une décadence accélérée. Elle tend d’ailleurs à prendre pour cible à peu près tout ce qui bouge en-dehors de Washington D.C., et notamment les pays européens, considérés comme “alliés privilégiés” et donc comme les supplétifs les plus obéissants. Il ne s’agit pas à cet égard d’une situation de crise politique mais d’une situation, si l’on veut, de “crise d’une pathologie”, ou “crise d’une démence politique” (c’est-à-dire doublement crise si l’on considère, comme on serait fondé de faire, qu’une crise, surtout du type de celles qui nous sont en général servies, est en elle-même une sorte de pathologie de la politique)...

Les commémorations du 9 mai sont un aimant idéal pour cette sorte de crise où il n’existe plus aucune mesure, plus aucune référence objective. Après tout, nous en sommes au point où chacun récrit l’histoire comme il lui plaît, – que ce soit les Ukrainiens ou un ministre polonais de affaires étrangères. Compte tenu des effets politiques d’une telle politique du symbole, de la subjectivité de l’histoire, de la récriture et du révisionnisme effectués par des incultes sans la savoir-faire ni l’habileté du faussaire professionnel, avec le poids de la vérité historique fortement référencée pour ce qui concerne la Deuxième Guerre mondiale et son terme, les débats et polémiques d’ici le 9 mai pourraient bien provoquer des effets en retour dévastateurs.

... Par exemple, mais exemple fondamental et qui tient tout le reste, si le débat historique parvenait au cœur du questionnement sur le véritable rôle de chacun dans le conflit. L’on sait que la première place évidente que tient l’URSS est totalement occultée par la communication du bloc BAO. Ouvrir un tel débat, c’est courir le risque de la mise en lumière du véritable rôle et du poids de l’intervention US pendant la guerre, donc saper encore un peu plus, peut-être décisivement, la légitimité de la présence abusive des USA en Europe, la fausseté de leur hégémonie historique et morale et tout le toutim. Risque important, dont nul n’a la moindre conscience aux USA puisque la narrative sur la prépondérance hollywoodienne des USA pendant la Deuxième Guerre mondiale constitue les bornes de la culture washingtonienne courante.


Mis en ligne le 6 avril 2014 à 11H47