L’ambiguïté bienvenue du “parti” Tea Party

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La formation du caucus du mouvement Tea Party à la Chambre des Représentants se déroule dans une ambiguïté qui rend bien compte du caractère du mouvement. Un article de l’Independent du 22 juillet 2010 détaille la présentation du caucus, hier à Washington, par son initiatrice, la républicaine Michele Bachmann. Vingt-quatre parlementaires républicains s’y sont affiliés, ce qui n’est pas rien.

La situation est très particulière et spécifique puisque le parti républicain, qui n’a pas encore réagi, n’a même pas été informé par Bachmann de son initiative. («The party's top leadership has so far not joined or even voiced support for it, perhaps because Ms Bachmann revealed only last weekend that she was creating the caucus after not bothering, apparently, to tell anyone in the Republican hierarchy what she was up to…»)

@PAYANT L’article rend justement compte de la réserve et du désarroi de la direction du parti républicain, et aussi du parti démocrate à sa façon, devant cette initiative qui ne fait que concrétiser formellement la réserve et le désarroi où le mouvement Tea Party met les deux partis, c’est-à-dire l’establishment washingtonien, même si on dépeint ce mouvement comme la droite populiste du parti républicain. La tendance générale des commentaires est aussi d’identifier la création d’un “parti” alors qu’il ne s’agit que d’un caucus, qui ne peut être confondu avec un parti. Pourtant, une enquête de politico-Com montre que 25% des Américains pensent que Tea Party peut devenir “un troisième parti viable”… Bref, tout et son contraire, à propos de Tea Party.

Même les accusations de “racisme” soulèvent des polémiques, y compris à gauche et chez les progressistes. L’affaire qui a opposé le NAACP de défense des droits civiques des Africains-Américains à Tea Party, que nous avions évoquée le 20 juillet 2010 en annonçant la formation du caucus, amène quelques appréciations dubitatives à propos du même NAACP (voir sur Truthdig.org, le 22 juillet 2010) autant que de l’emploi immodéré du mot “racisme”. Il est évident que l’accusation de “racisme” fait partie de l’arsenal bureaucratique du système, comme dans tous les pays du système occidentaliste, et son emploi systématique risque parfois de provoquer des effets de boomerang. Dans tous les cas, on est loin, dans ce domaine, d’approcher une situation de discrédit de Tea Party, et il est très probable qu’il existe une frange non négligeable de l’ensemble progressiste US qui croit à un possible rapprochement avec Tea Party, considéré dans ce cas plus comme une dissidence du système.

Dans ces divers exemples de situation, on retrouve le même caractère d’insaisissabilité de Tea Party, selon les normes, positives ou négatives, du système. Le mouvement a déjà subi bien des vicissitudes, il a été fortement attaqué, dénoncé, etc., mais son caractère déstructuré, très divers et sans organisation bien précise semble toujours le protéger. L’initiative de Bachmann est aussi bien une tentative de l’ambitieuse et très extrémiste parlementaire républicaine et populiste pour s’approprier, dans tous les cas à la Chambre, la dynamique Tea Party. On verra ce qu’il en restera. En attendant l’initiative est faite d’une façon qui conforte objectivement les caractères de Tea Party qu’on a rappelés, et la façon dont la direction républicaine a été écartée de l’opération, la gêne et la méfiance évidentes qui caractérisent l’attitude de cette direction renforcent le statut “à part” de Tea Party, même à l’intérieur d’un des temples sacrés du système.

Encore une fois, peu importe les “idées” de Tea Party, d’autant qu’elles sont nombreuses, diverses, parfois proches d’être contradictoires ; et l’on pourrait dire la même chose des appréciations pour et contre Tea Party. L’essentiel est bien que Tea Party continue à être, par sa nature même et presqu’involontairement, un ferment de déstructuration du système et, comme tel, quelque chose qu’il faut suivre avec attention et intérêt. L’espoir n’est pas ici que Tea Party parvienne à être un “troisième parti”, ce qui serait proche d’une institutionnalisation, et donc en grand danger de récupération. L’important est que Tea Party continue à semer trouble, méfiance et désarroi, qu’il continue à évoluer toujours un peu en marge, – puisqu’un caucus n’est décidément pas un “parti”. L’important est que personne, dans l’establishment, surtout chez les républicains, ne peut lancer une attaque radicale et destructrice contre Tea Party parce qu’il y a les élections en novembre prochain, puis les élections en novembre 2012, et ainsi de suite.

Encore une fois est fait le constat que le système ne parvient plus à résoudre aucune des crises qui l’assaillent, au cœur de la structure crisique qui le caractérise aujourd’hui. Car, bien entendu, Tea Party est une crise du système, rien d’autre et rien de moins. C’est cet aspect qui le rend intéressant, et rien d’autre, ni ses intentions, ni ses “idées“, ni toutes ces choses qui constituent l’habituel arsenal d’une force politique prétendant à l’originalité et qui se prépare à être récupérée en bonne et due forme.


Mis en ligne le 22 juillet 2010 à 10H02