L’âme des USA : 392 “guerres” en 243 ans

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L’âme des USA : 392 “guerres” en 243 ans

RapSit-USA2022. • Un travail de compilation, de documentation et d’analyse fait par deux chercheurs nous informe des activités guerrières des USA depuis leur fondation, selon des données et des références scientifiquement précisées qui définissent ce qu’on entend par “guerre” (ou “intervention militaire”). • Le résultat est impressionnant et sans aucun équivalent : 392 “interventions militaires” en 243 ans d’existence (données de 1776 à 2019). • Notre époque 9/11 domine évidemment le lot. • Avec un article de Nick Turse, de ‘Antiwar.com’.

Voilà un document intéressant parce qu’il détaille selon un recensement nouveau des chiffres les plus officiels concernant les activités guerrières des USA depuis leur fondation, avec nombre de détails sur les diverses opérations. La conclusion est bien connue pour ceux qui font l’effort de tenter de connaître les USA ; mais lorsqu’on parle des USA “fauteur de guerre” et “utilisateurs de la force militaire”, on énonce un jugement général et à l’emporte-pièce qui n’engage pas trop... Il faut réaliser combien il est véridique et d’un poids formidable.

Avec la documentation que détaille l’article que nous citons, à partir d’un compte-rendu général sur leur propre travail de deux chercheurs (Sidita Kushi et Monica Duffy Toft), dans la fameuse revue ‘Journal of Conflict Resolution’, dans le numéro du mois d’août disponible depuis une dizaine de jours, on dispose d’éléments qui nous font quitter le domaine de l’emporte-pièce. Le travail exposé fait partir d’un programme spécial, le Military Intervention Project (MIP), qui est conduit par une institution  de haut standing, le  Center for Strategic Studies de la Fletcher School of Law and Diplomacy de l'université Tufts. Les “conflits” sont compris dans le sens le plus large du terme : les événements où la force militaire est impliquée pour ce qu’elle est, qu’elle soit ou non utilisée, et désignés par les chercheurs par l’expression “intervention militaire”. Ils sont recensés, détaillés, explicités, etc., à partir d’une définition d’une “intervention militaire” fortement affinée à l’aide de 200 variables

On donne ici quelques précisions parmi les plus remarquables :

• Depuis la fondation des États-Unis en 1776, les USA ont été impliqués dans 392 “interventions militaires” , ce qui est sans le moindre doute le chiffre de loin le plus haut enregistré par une puissance sur un laps de temps (246 ans) relativement court par rapport aux durées historiques des nations jouant un rôle politique important.

• La géopolitique des interventions n’apporte guère de surprise, avec une forte majorité effectuée dans les pays d’Amérique Latine, l’“arrière-cour” ou la “basse-cour” des USA “protégée” par la doctrine Monroe.

« Les États-Unis ont mené 34% de leurs 392 interventions contre des pays d'Amérique latine et des Caraïbes, 23% en Asie de l'Est et dans la région du Pacifique, 14% au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et seulement 13% en Europe et en Asie centrale ... »

• Dans l’ordre d’importance, les trois périodes les plus guerrières, selon une périodicité chronologique définissant une “période” établie par les chercheurs et répondant à une cohérence historique sont : 1) 1946-1989, l’époque de la Guerre Froide ; 2) 1868-1917, l’époque du “capitalisme sauvage” à l’intérieur et à la première vague d’expansionnisme impérialiste à l’extérieur (Cuba, les Philippines, etc.) ; 3) notre époque depuis 1990, symboliquement considéré comme la période-9/11 (11 septembre 2001).

• Les chiffres examinés étant ceux qui sont disponibles jusqu’en 2019, notre époque (toujours en développement) s’étend donc sur 29 ans contre 43 ans (Guerre Froide) et 49 ans pour les deux époques précédentes. Il ne fait aucun doute qu’en termes relatifs, notre époque depuis 1990 et 9/11 est la plus guerrière, et dans tous les cas la plus directement interventionniste, par exemple au contraire de la Guerre Froide où certaines “interventions militaires” se constituèrent en “menace d’emploi de la force militaire” sans passage à l’acte. Les “interventions militaires” jusqu’aux plus extrêmes (“guerres”) de la période-9/11 commencé en 1990 comportent un quart de toutes les “interventions militaires” des USA depuis 1776 : un quart des près de 400 “interventions militaires” pour un huitième de la durée de l’existence des USA.

« Contrairement aux époques antérieures où l’on recourait à des démonstrations et à des menaces de recours à la force sans y recourir, ces dernières années ont été marquées par l’utilisation systématique de toutes les formes de violence militaire. Les deux auteurs constatent que les États-Unis se sont [durant cette période] “engagés dans 30 interventions de niveau 4 (usage de la force) ou 5 (guerre)”. »

• Le constat définitif pour cette période-9/11 reste de savoir jusqu’où l’on fera durer la période pour en donner tout le poids interventionniste et guerrier ; une suggestion autant qu’une remarque d’évidence pourrait être, par exemple, de la faire durer jusqu’à l’effondrement des États-Unis d’une part, en arguant d’autre part qu’elle durera d’elle-même jusqu’à cet événement du fait de son extrême proximité :

“PolitiqueSystème” et « the burlesque of an Empire »

Il apparaît ainsi clairement que le développement de ce que nous nommons la “politiqueSystème” a atteint sa période de surpuissance qui la définit complètement durant notre époque, et par conséquent la “politiqueSystème” définit absolument les USA dans la modernité-tardive et durant son processus de dégénérescence et d’effondrement. Cela, au moins, correspond au destin habituel des empires qui ne sont jamais aussi agressifs et guerriers que dans la période de déclin, avec un emploi de forces de plus en plus composites, de plus en plus douteuses (emploi de “forces spéciales”, de mercenaires dont des contractants civils, de bandes du crime organisé, de divers “proxies”, etc.). Les USA parviennent même à des pratiques qui font de moyens non-militaires  des catégories qui devraient correspondre à des “interventions militaires” (la politique des sanctions) et des directives secrètes (“127e”, “Section 1202” selon nos auteurs) permettant des interventions secrètes.

Le plus remarquable avec les USA dans cette période considérée est la constance presque absolue des échecs et des défaites dissimulées dans une folle activité de la communication et du simulacre, en même temps que l’absence complète d’une stratégie cohérente jusqu’à des situations de perversion et d’inversion. En même temps, l’irrespect complet, arrogant et complètement irresponsable des règles du droit international établies à l’origine par ces mêmes USA, est la marque de ces années où l’activisme confine à la folie. C’en est au point où la diplomatie est devenue une “diplomatie cinétique” dont l’un des deux auteurs (Monica Duffy Toft), qui propose cette expression, écrivait en 2018 :

« Cette progression est importante car elle souligne une tendance qui s'intensifie : la réduction du leadership américain dans la politique mondiale à ce que j’appelle la ‘diplomatie cinétique’ : la diplomatie par les forces armées. Deux statistiques le montrent clairement. En mai 2018, l'administration Trump a nommé 75 ambassadeurs sur 188, tandis qu'elle a déployé des forces d'opérations spéciales dans 149 pays (une augmentation par rapport à 138 sous l'administration Obama en 2016). Dit autrement, alors que les ambassadeurs américains opèrent dans un tiers des pays du monde, les opérateurs spéciaux américains sont actifs dans trois quarts d'entre eux. Et s'il est vrai que les États-Unis maintiennent des ambassades dans des pays sans ambassadeur, et que tous les opérateurs spéciaux déployés ne sont pas en mission de combat, le symbolisme compte : “La tuerie oui, la diplomatie non”. »

Cette “diplomarie cinétique” vient de loin, certainement d'Henry Kissinger dans sa position de conseiller pour la sécurité nationale puis de secrétaire d'Etat (1969-1976) ; il avait l'habitude, lorsqu'une crise se déclenchait, de poser aussitôt la question: « Where are the carriers ? » (le porte-avions constituant le meilleur moyen de pression militaire, il s'agissait d'en rameuter au moinds un à bonne portée de la crise). Dans ce cas de notre époque de “diplomatie cinétique” décidément complètement assumée, la méthode de la “politiqueSystème“ rejoint dans un mouvement complètement irrationnel la prévision faite par William Pfaff en 1992, que nous citions encore récemment :

« ...Et aussitôt nous vient à l’esprit l’article visionnaire de notre vieux compagnon William Pfaff. Il l’écrivit le 12 mars 1992, en commentaire du fameux plan-Wolfowitz de “domination mondiale” des États-Unis par la force, sous le titre de “To Finish in a Burlesque of an Empire ?” :

» “Il s'agit d'un plan de leadership mondial américain par l'intimidation. C'est un programme politiquement et moralement informe et stérile, dont l’issue logique serait de faire des États-Unis eux-mêmes cette “menace mondiale résurgente/émergente” que le Pentagone prétend combattre justement grâce à ce plan. Est-ce là ce que veulent les Américains ? Finir dans la caricature burlesque d’un Empire ?” »

Il restera à observer une fois encore que cette étude doit être considérée par rapport à ce qui est constamment dit des États-Unis, grâce à un réseau de communication dans tous les domaines d’une puissance inouïe, un art contraignant de la répétition, une persuasion au consentement à l’opinion présentée et perçue comme “dominante”, une exaltation quasi-religieuse du conformisme, – qui pourrait être le surnom donné aussi bien à l’“atlantisme” qu’au “proaméricanisme”... La “torche de la liberté”, la “Maison sur la Colline”, la nation “exceptionnelle”, tous ces lieux communs ont été dotés par une exceptionnelle capacité communicationnelle d’un simulacre grossier mais très puissant de sacralité qui semble les protéger de toute agression que serait l’expression d’un esprit critique à son égard (on ne dit même pas “à son encontre”, l’esprit critique ne pouvant s’exprimer dans ce cas, que dans un seul sens possible qui est celui de l’évidence).

Les États-Unis ont ainsi établi à l’origine une sorte de modèle archétypique du simulacre auquel le temps de la modernité a suggéré pendant plus de deux siècles à l’essentiel des populations étrangères et surtout de leurs élites de le prendre pour vrai sans une hésitation, et même avec un enthousiasme qui semblait défier l’usure du temps. (L’emploi de l’imparfait est au moins une incantation d’espérance.) Sur le tard et dans le chaos inverti de la dégénérescence apparaît l’une de leurs plus puissantes productions qui est l’institution de la “guerre” comme un état naturel des relations internationales, et non plus comme un accident, encore moins comme « la poursuite de la politique par un autre moyen ». Ce faisant, ils confirment qu’ils ont bien été les messagers préférés, et le bras armé de ce que nous identifions comme “le déchaînement de la Matière”. C’est cette situation notamment, mais principalement sinon essentiellement, qui est devenu avec Ukrisis l’enjeu principal de la GrandeCrise.

 « L’emploi de la force militaire dans l’histoire des USA

Le texte sur le palmarès guerrier des États-Unis est de Nick Turse, – très utile, bonne référence et excellent auteur. Il est publié sur ‘Antiwar.com’ le 10 août 2022.

« Les États-Unis ont mené près de 400 interventions militaires [392 exactement] depuis 1776, selon des recherches menées par les universitaires Sidita Kushi et Monica Duffy Toft.

» La moitié de ces conflits et autres utilisations de la force, – y compris les démonstrations et les menaces de force ainsi que les opérations secrètes et autres, –- ont eu lieu entre 1950 et 2019, la dernière année couverte par un nouvel ensemble de données. Ce constat est présenté par Kushi et Toft dans un article du Journal of Conflict Resolution publié [la semaine dernière]. Plus d'un quart d'entre elles ont eu lieu depuis la fin de la guerre froide.

» Les États-Unis ont mené 34% de leurs 392 interventions contre des pays d'Amérique latine et des Caraïbes, 23% en Asie de l'Est et dans la région du Pacifique, 14% au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et seulement 13% en Europe et en Asie centrale, selon une version récemment affinée de l'ensemble de données du Military Intervention Project (MIP), une initiative du Center for Strategic Studies de la Fletcher School of Law and Diplomacy de l'université Tufts.

» En plus de fournir le compte le plus précis jamais réalisé des interventions militaires américaines, – doublant [par rapport aux évaluations acceptées jusqu’ici] le nombre de cas trouvés dans les données existantes, tout en utilisant des sources et des méthodes d’évaluation rigoureuses, – le MIP décompte 200 variables qui permettent des analyses complexes des descriptions et des effets des guerres et autres utilisations de la force.

» Fait crucial, Kushi et Toft, le directeur du Centre d'études stratégiques de la Fletcher School, ont constaté que les interventions américaines ont “augmenté et se sont intensifiées” au cours des dernières années. Si l'époque de la guerre froide (1946-1989) et la période entre 1868 et 1917 ont été les plus “militairement actives” pour les États-Unis, l'ère 1990 et post-11 septembre a déjà pris la troisième place dans toute l'histoire des Etats-Unis. 

» Contrairement aux époques antérieures où l’on recourait à des démonstrations et à des menaces de recours à la force sans y recourir, ces dernières années ont été marquées par l’utilisation systématique de toutes les formes de violence militaire. Les deux auteurs constatent que les États-Unis se sont en fait “engagés dans 30 interventions de niveau 4 (usage de la force) ou 5 (guerre)”.

» Jusqu'à la fin de la guerre froide, notent Kushi et Toft, l'hostilité militaire des États-Unis était généralement proportionnelle à celle de leurs rivaux.  Depuis, “les États-Unis ont pratiqué l’intensification de leurs opérations hostiles à mesure que leurs rivaux pratiquaient la désescalade, marquant ainsi l’installation d’une politique étrangère cinétique des Etats-Unis”.  Ce modèle récent de relations internationales menées en grande partie par la force armée, que Toft a appelé “diplomatie cinétique”, a de plus en plus ciblé le Moyen-Orient et l'Afrique.  Ces régions ont été le théâtre de guerres américaines à grande échelle, comme en Afghanistan et en Irak, et de combats discrets dans des pays comme le Burkina Faso, le Cameroun, la République centrafricaine, le Tchad et la Tunisie.

» Les données du MIP intègrent des opérations secrètes confirmées et des interventions discrètes des forces d'opérations spéciales, mais la combinaison du secret du gouvernement américain et des normes d'approvisionnement scrupuleuses de la base de données garantit que les chiffres de l'après-11 septembre sont sous-estimés, selon Kushi, professeur adjoint de sciences politiques à l'université d'État de Bridgewater et chercheur non résident au Centre d'études stratégiques de Tufts.

» Récemment, par exemple, Alice Speri et moi-même avons révélé l'existence de programmes dissimulés de guerre par procuration menés en Afrique, au Moyen-Orient et dans la région indo-pacifique. Alors que les experts affirment que le Pentagone a probablement utilisé la directive secrète “127e” pour mener des combats au-delà de toute autorisation de recours à la force militaire ou de légitime défense, en violation de la Constitution, ces opérations hautement confidentielles peuvent échapper à la saisie dans l'ensemble de données MIP.  Si les programmes “127e” en Somalie et au Yémen, par exemple, se recoupent avec des interventions militaires américaines connues, d'autres utilisations de cette directive, comme en Égypte et au Liban, peuvent ne pas l'être.  Il en va de même pour des pouvoirs moins connus comme la Section 1202, qui fournit un soutien aux forces irrégulières étrangères visant des forces jugées antagonistes des USA.

» Au fur et à mesure que le PIM est développé et affiné, Kushi et Toft espèrent déterminer une compréhension plus nuancée des conditions qui poussent les États-Unis à lancer des interventions militaires et des effets sur les États-Unis et les nations qu'ils ciblent, y compris le bilan économique et humain et les effets involontaires. 

» Ils demandent « quels ont été les coûts à long terme et les conséquences involontaires de l'intervention en Afghanistan et comment cette intervention a influencé les engagements des États-Unis en Irak, en Libye, en Syrie et au Yémen ? ».  Les réponses, espèrent-ils, permettront d'améliorer les données et, en définitive, la politique étrangère des États-Unis.

 

Mis en ligne le 15 août 2022 à 14H55