Lamentations: ce n’est plus Thatcher-Reagan

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La fausse-vraie querelle, remake de la première guerre et sorte de “Guerre des Malouines – le retour”, permet à nouveau d’exprimer quelques lamentations de circonstance sur l’état des special relationships. Il s’agit de la nouvelle querelle entre l’Argentine et le Royaume-Uni à propos des Malouines, et des champs pétroliers qui rôdent autour de ces iles, qui éveillent des intérêts. A nouveau est posée la question de la souveraineté sur ces îles, ou sur leurs alentours navals et pétroliers, qui nous valut la “guerre des Malouines” du printemps 1982, et avec elle l’heure de gloire churchillienne de Margaret Thatcher.

C’est James Corum qui, dans The Daily Telegraph du 26 février 2010, soulève cette question, qui ne soulève pas, elle, les passions dans le monde. Il aborde la chose du point de vue particulier des special relationships entre UK et USA. Professeur (US) d’histoire militaire, Corum est actuellement détaché au Collège de Défense de la Baltique, en Estonie; cette assignation dans ce pays, autant que le journal où il écrit et ce qu’il écrit montre à suffisance que l’homme n’est pas étranger au réseau d’inspiration neocons qui courent de Washington aux pays d’Europe de l’Est.

Son propos est une dénonciation sévère de l’attitude prise par les USA dans cette querelle…

«The Bush administration got a lot of things wrong – but at least they usually had some idea of who America’s adversaries were and who America’s friends were. For example, Bush’s policy of maintaining the special relationship with Britain was a simple recognition of the close bonds of alliance, friendship and interests that the British and Americans have had since World War I… […] The declaration of neutrality on the issue of the sovereignty of the Falklands issued by the US State Department is clear proof of the uselessness of the Obama administration.

»In the grand scheme of things it makes little sense for America to give moral support to the Kirchner government in Argentina. Kirchner is no friend of the US and Kirchner’s government is in deep domestic trouble for its gross mismanagement of the economy and its attempts to suppress the press criticism of the regime at home. One has to wonder what benefit America gets out of hurting Britain on this issue. Perhaps Obama thinks that the more Leftist Latin American regimes will somehow approve of the US. If that is the case, he is truly mistaken, as most Latin American nations dislike the Argentineans, and have little sympathy for the mess Argentina got into over the Falklands. […]

»On assuming office, Obama’s vision of foreign policy was simple: he would repudiate past American policies and the whole world would melt before the president’s charm. The administration somehow thought that we really didn’t have enemies with agendas completely hostile to our own – there were just countries that had become offended by US actions and they would happily cooperate with America as soon as the evil Republicans were gone. Well, it hasn’t worked – and there was no Plan B.

»With a president overwhelmed by domestic problems, Hillary Clinton has failed to step in and set a foreign policy vision. Simply put, she does not have the brains or the experience to develop a coherent foreign policy vision for America. This is how we get policy mistakes on issues such as the sovereignty of the Falklands.»

Notre commentaire

@PAYANT Lorsque, en mars 1982, l’Argentine prit possession des îles Malouines, ouvrant une crise majeure avec le Royaume-Uni, les USA se trouvèrent immédiatement dans l’embarras. Il y avait d’un côté la politique panaméricaine de Washington, basée sur l’interventionnisme illégal et la violence par les actions clandestines ou maquillées, et une politique de communication officielle de solidarité panaméricaine. D’un autre côté, il y avait les habituelles special relationships avec le Royaume-Uni, renforcées par les intérêts puissants de maintenir une cohésion à l’intérieur de l’OTAN basée sur l’axe anglo-saxon. Le débat fut sévère à l’intérieur de l’administration Reagan. La faction pro-argentine et panaméricaine était menée par l’ambassadeur US à l’ONU, Jeane Kirkpatrick, la faction pro-UK et transatlantique par le secrétaire d’Etat Alexander Haig. La seconde l’emporta finalement et les USA se proclamèrent aux côtés des Britanniques, avant même que le conflit n’entre dans sa phase opérationnelle effective.

(Ensuite, durant le conflit lui-même, les USA vinrent en aide aux Britanniques d’une façon discrète, notamment en assurant un soutien logistique et opérationnel avec des ravitailleurs en vol, des avions de surveillance et de contrôle AWACS, etc.; les USA étaient même prêts à fournir un porte-avions sorti de leurs réserves, si l’un des deux porte-avions britanniques envoyés aux Malouines avec la force aéronavale avait été touché ou détruit. De leur côté, les Français aidèrent d’une façon indirecte mais importante les Britanniques en leur donnant, notamment par des informations et des essais opérationnels lors d’intervention vers la force britannique en route vers les Malouines, des indications cruciales pour contrer les missiles air-mer MM39 Exocet que les Français avaient vendus aux Argentins.)

La différence est frappante avec la situation actuelle. Certes, la situation est différente, dans la mesure où il semble bien qu’on doive envisager d’écarter la possibilité d’un conflit, notamment avec l’affirmation de l’Argentine qu’il n’y aura pas de tentative d’intervention contre les Malouines. (On trouve à cette occasion, largement et justement posée, la question de savoir si les Britanniques seraient encore capables aujourd’hui de monter une opération de projection de force, opération navale, avec une composante aérienne importante et une composante terrestre conséquente, comme celle qu’ils menèrent en 1982. Dans le Daly Mail du 19 février 2010, le capitaine de vaisseau Michael Clapp, qui fait partie de la National Defence Association, publie une analyse pour montrer que les Britanniques n’ont plus aujourd’hui cette capacité: «It's the bitter truth: We couldn't send a task force to the Falklands today.»)

Néanmoins, cette probabilité d’absence de conflit ne supprime nullement la valeur analogique de la situation, puisqu’il s’agit en l’occurrence, comme en 1982 lorsque Washington prit la position qu’on a rappelée, d’abord d’une position diplomatique de principe. Le fait est qu’aucun débat réel n’a eu lieu au sein de l’administration Obama. D’une part, la question n’a pas été jugée importante pour Washington, même si elle l’est pour Londres, d’où l’absence de débat stratégique. D’autre part, la décision du département d’Etat, prise sans guère de consultations internes, n’a soulevée aucune opposition d’aucun autre département, y compris du Pentagone. La position de neutralité du département d’Etat revient en fait, par rapport à ce que les Britanniques attendaient des Américains après près d’une décennie d’engagement intense auprès des USA en Irak et en Afghanistan, à un camouflet donné à ces mêmes Britanniques. Effectivement, de ce point de vue, les special relationships ne soulèvent plus guère d’intérêt à Washington, sinon pour exiger de Londres des efforts partout où les USA en ont besoin…

Le point intéressant à observer est qu’il s’agit plus, de la part des USA, d’une position de retraite que d’une position effective de politique extérieure. Cette neutralité dans le conflit n’implique pas nécessairement une prise de position implicite en faveur de l’Argentine, comme le problème était posé en 1982. A cette époque, le choix était pour ou contre (pour ou contre les Britanniques, pour ou contre l’Argentine). Dans ce cas, la position de neutralité est une véritable déclaration de désintérêt du problème, essentiellement due à l’affaiblissement considérable de la puissance US et à la crise interne US, à Washington même. Corum laisse entendre le constat de cette situation lorsqu’il écrit «With a president overwhelmed by domestic problems…», mais il n’en tire pas la véritable conséquence puisqu’il enchaîne sur la mise en question des capacités d’Hillary Clinton dans cette affaire, en même temps qu’il met l’accent sur sa faiblesse et son inexpérience. Quoi qu’il en soit de l’expérience ou non de Clinton, le fait de sa “faiblesse” ne correspond pas à une spécificité de son action, ou de sa position à l’intérieur du cabinet, mais il est plutôt un reflet de la faiblesse des moyens dont dispose la diplomatie US en général, et d’une politique générale partout sur la défensive et sur le repli.

Pour le reste de l’article de Corum, on retrouve une récrimination classique des factions néo-conservatrices à l’encontre de la politique de l’administration Obama, sans beaucoup d’intérêt. Aucun compte n’est tenu de la situation réelle de la puissance US aujourd’hui, à la dégradation de laquelle le courant néo-conservateur a si puissamment contribué depuis 2001.


Mis en ligne le 27 février 2010 à 13H09