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106828 juin 2002 — Une succession d'articles, dans les journaux les plus prestigieux, suggèrent soudain un état général de l'Amérique particulièrement inquiétant. Le New York Times du 27 juin s'en tient à la description de l'état d'esprit du monde extérieur considérant la dégringolade du capitalisme américain (WorldCom après Enron, Andersen, etc). Le Christian Science Monitor du 26 juin décrit l'état précis de l'effondrement continu du marché financier et boursier à New York, avec des références qui équivalent aisément celles de la Grande Dépression. Le Washington Post du 27 juin adopte une vision plus large, plus ''culturelle'' en un sens et cite diverses affaires, l'économie et la finance certes, mais aussi les scandales de l'église catholique américaine, le formidable doute entré dans l'esprit du public à l'égard des capacités des grands services de sécurité nationale (FBI, CIA, etc). On pourrait poursuivre, la liste des déconvenues américaines est sans fin. Soudain, — on parle ici de la révélation médiatique, de la réalisation d'un événement en formation depuis de nombreuses semaines, depuis des mois, certes depuis 9/11 au moins, — soudain l'Amérique se retrouve dans un état de profonde dépression psychologique.
Voici la fin de l'article du Post, caractérisé effectivement par ce mot de « bleak »
« By way of precedent, periods of triumph in America are often followed by anxious stretches. These fears often take the form of both internal and external menaces: World War II yielded the Cold War and the McCarthy Era. The go-go '80s preceded the recession of the early '90s, and an abiding sense, as presidential candidate Paul Tsongas used to say, that ''the Cold War is over . . . and Japan won.''
» But rarely has stability yielded to instability as dramatically as in recent months. Sept. 11 put the country in a depressive phase, says Steven Stark, a cultural commentator for the public radio program ''The World.'' It stole from us a certain resiliency, he says, spurring a domino run of distrust that corporate America seems to reinforce systematically. ''You can't trust airplanes or July Fourth celebrations and you certainly can't trust that CEO who was on the magazine cover. . . . Can you say bleak?'' »
» Bleak. »
Ce que nous devons commencer à envisager comme une possibilité bien réelle, et effrayante pour l'avenir, c'est une plongée dans le désespoir et dans la dépression psychologique de l'Amérique qui n'aurait en fait comme précédent que celle de 1929-1930. Dans ce cas, certes, le 11 septembre 2001 aurait été une sorte de second great krach d'octobre 1929. Notre appréciation a toujours été que la Grande Dépression n'a été qu'en apparence une crise financière et économique, — financière pour le détonateur, le krach de 1929 ; économique pour les effets, à partir de l'automne 1930, avec l'effondrement de la production, le chômage, etc. Notre appréciation de cette vaste crise historique est que l'essentiel fut psychologique, une crise psychologique américaine, la Grande Crise du caractère américain de l'histoire américaine, au moins aussi grave que la Guerre Civile et psychologiquement peut-être plus grave encore. Selon cette façon de voir, FDR (Franklin Roosevelt) ne fut nullement remarquable par son new deal, qui fut loin d'être une potion-miracle économique, mais par son activité de communication (ses discours, ses conférences de presse, ses ''causeries au coin du feu''), qui suscita une mobilisation psychologique et mit un coup d'arrêt à la dépression psychologique du caractère américain, et même relança l'espérance pour un temps (jusqu'en 1935-36).
Le problème américain est simple aujourd'hui : y a-t-il un FDR à l'horizon ? Bien sûr, ne perdons pas notre temps à parler de GW, qui ne peut évidemment prétendre jouer aucun rôle utile, qui est un figurant mis à la place du président. Mais qui d'autre ? On ne voit personne puisqu'il n'y a sur la scène politique américaine, rien d'autre que des figurants des grandes forces en action (complexe militaro-industriel, business, etc). On doit douter, d'ailleurs, pour l'instant, que GW puisse céder sa place en 2004, alors qu'il dispose d'une machine de communication manipulatrice d'une puissance sans précédent, et d'un argument de relance permanente de la tension en sa faveur avec la Grande Guerre contre la Terreur. Ce dernier point aggrave la situation d'une manière paradoxale : la mobilisation contre la Terreur, au contraire de la mobilisation de FDR pendant la grande dépression, renforce le climat dépressif. (Voir ce que nous dit Steven Stark, ci-dessus : « You can't trust airplanes or July Fourth celebrations » ; la mobilisation style-GW prive les Américains de leurs références symboliques en les représentant menacés par les terroristes.) Le constat est glacial, — «bleak», effectivement.