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1402Dans cette période qu’on dirait d’“entre-deux”, – la menace d’utiliser la force contre la Syrie, cette menace remplacée par des négociations et un accord encore fragile, – de très nombreuses réflexions ont été et sont développées à propos de l’idée même de l’emploi de la force, et cela dans le chef des États-Unis d’Amérique, puisque seul ce pays en a fait ce qui pourrait être définie comme une politique fondamentale, – on dirait presque une politique principielle selon l’usage de l’inversion dans le sens des choses, usage propre au Système. C’est un exercice par ailleurs fascinant, comme seule peut nous offrir notre époque absolument acquise au système de la communication dans tous ses excès et ses vertus ; cette structuration des caractères de l’époque permettant d’observer, comme si l’on en était détaché jusqu’à y exercer un regard critique comme dans un débat académique, une situation de grande tension en cours qui, en d’autres temps, aurait mobilisé toutes les énergies et clos tous les débats, y compris académiques, et interdit de facto les regards critiques. C’est cette situation étrange où nous vivons de “ni guerre ni paix” avec la menace constante d’une guerre (contre l’Iran, contre la Syrie) qui semble ne jamais devoir se concrétiser, jusqu’à ce point où, comme on le constate, on peut prendre une complète liberté vis-à-vis d’elle.
Nous nous attachons d’abord à une réflexion de cette sorte, du plus haut intérêt, venue d’Hillary Mann Leverett (nous faisons souvent référence au couple Leverett, Hillary Mann Leverett et Flynt Leverett). Le 13 septembre 2013, le site des Leverett, GoingToTeheran.com, mettait en ligne un texte comportant des extraits d’une longue intervention d’Hillary Mann Leverett, à la CNN, le 9 septembre, la veille du jour de la proposition russe de contrôle de l’armement chimique syrien et du discours du président Obama. Leverett a expliqué ce que ferait apparaître essentiellement une intervention armée US ...
«[
»“If we decide to strike, there is no victory, there is no military victory; it will be a failure. Even President Obama is not claiming there is a military solution to this, that he is proposing. He is saying that there just needs to be a message sent—punishment. Nobody out there claims, puts forward, that there is a victory. What this shows the world is that after Afghanistan, after Iraq, after Libya, the United States is less and less able, less and less capable of pulling off what it says it needs to pull off—militarily, politically, and economically.”
»If the United States continues with this not just quixotic but grossly counterproductive quest for regional hegemony, Hillary notes, “This could be the nail in the coffin for American influence in the Middle East. We have seen a precipitous decline in U.S. influence over the past decade. We have squandered so much, so fast, that I think historians will look back and be stupefied that we have used our military force, unconstrained, to go into countries that we don’t understand, trying to force political outcomes that, time and time again, were shown not possible. We couldn’t do it in Afghanistan, we couldn’t do it in Iraq, we couldn’t do it in Libya, and we keep trying. And each time we try, we come out weaker…We [remain] interested in forcing a political outcome with our military force—something that we have now seen, over and over and over again, is not working.”»
La mise en cause développée par Leverett concerne donc bien la question de la puissance des USA, par rapport à l’usage de la force dont ce pays a fait une politique. L’appréciation de Leverett est parfaitement fondée par l’évolution de la puissance militaire des USA, en tenant compte de tous les engagements tenus par ce pays au niveau global malgré l’affaiblissement de ses moyens. Il s’agit d’un déclin continu depuis l’attaque contre l’Irak, et qui est en constante accélération, multiplié bien entendu par la situation économique et budgétaire, et le phénomène d’emprisonnement législatif de la séquestration. En même temps qu’étaient publiées ces réflexions, on pouvait par exemple prendre connaissance des perspectives immédiates du développement de la flotte sous-marine de l’US Navy, telles qu’exposées par le contre-amiral Breckenridge, qui dirige cette force, lors d’une audition au Congrès que le site PressTV.ir se fit un devoir de rapporter le 14 septembre 2013.
«The US Navy, facing a budget shortage, is cutting its submarine force by 30 percent as other powerful countries build up their undersea warfare capabilities, a US admiral told Congress. Rear Adm. Richard Breckenridge, director of Navy undersea warfare programs, said the decline of US submarines is placing a key US military advantage at risk. “Our adversaries are not standing still, and so even though we have an advantage and we have a lead, we can't sit on our lead,” Breckenridge told a hearing of the House Armed Services seapower subcommittee on Thursday. “We have to continue to move or we do have the potential within 20 years of losing this crown jewel, this advantage that we have in the undersea domain,” he said.»
Parallèlement à ces réflexions et à ces nouvelles, et concernant toujours cette question de l’usage de la force, mais cette fois d’une façon plus générale, en ne se cantonnant pas aux seuls USA, le même texte de GoingToTeheran.com citait un extrait d’une interview du ministre des affaires étrangères d’Iran Javad Zarif, donnée à PressTV.ir le 11 septembre 2013. Zarif parla notamment de la question de l’emploi des armes chimique, du cadre légal de cette sorte d’événement, de la façon dont les USA s’arrogent le pouvoir d’intervenir avec la force sans aucune assise légale («Unfortunately it seems to me that the United States seems to be living in the 19th century when the use of force was a prerogative of states; it is not…When [the President of the United States] concedes, as he did last night before the American people, that there is no imminent or direct threat against the United States, then the United States doesn’t have any standing under any provision of international law, to take law in its own hands.») Vint alors cette réflexion sur l’usage de la force per se, hors du seul cas de la Syrie et des USA :
«There is a need for the United States to come to the realization, and I believe this is an important realization for the United States, that not only the use of force is illegal, that not only the threat of force is against a preemptory international norm of law, but also and more importantly the use of force is ineffective. Force has lost its utility in international relations and it lost its utility a long time ago.»
Il est remarquable que ces appréciations de l’usage de la force, et de l’inefficacité grandissante de ce choix de “politique”, sont d’une certaine façon confirmées par une intervention précédente d’une des grandes voix de l’establishment américaniste, acteur et théoricien d’une politique “réaliste” dure qui ne chicana jamais, justement, sur le moyen de l’emploi de la force. Mais on sait que Zbigniew Brzezinski, qui vaut tout de même mieux que les diverses têtes de piaf peuplant les bureaux majestueux des ministères des pays du bloc BAO, est capable d’acter les bouleversements en cours de la situation générale, et l’affaiblissement à mesure des USA. Son constat sur “l’insurrection du monde”, ou «Global Political Awakening» (voir le 28 novembre 2012), est particulièrement judicieux ... C’est justement ce thème qu’il reprenait, selon Storyleaks.com le 29 août 2013 rapportant une interview de Brzezinski à un média allemand, pour juger “difficile” d’engager une guerre en Syrie productive de conditions meilleures pour la solution de la crise, volonté de guerre dans le chef bien entendu des USA sous la conduite incertaine d’Obama (et conduite incertaine, justement en raison des conditions rendant “difficile” cette guerre). On voit que Brzezinski met effectivement en question l’efficacité, sinon même la possibilité de l’emploi de la force.
«During a short interview with Germany’s DW News last Monday, former US National Security Adviser and Trilateral Commission co-founder Zbigniew Brzezinski commented on the growing inefficiency of war due to the increased political knowledge of the public. “Given the contemporary reality of what I have called in my writings ‘Global Political Awakening,’ a policy of force based primarily on Western and in some cases former colonial powers does not seem to me a very promising avenue to an eventual solution to the regional problem,” said Brzezinski, referring to the situation in Syria. Despite Brzezinski’s noted long-term relationship with Obama which included a top foreign policy adviser position, Brzezinski denied any specific knowledge of his plans regarding Syria, saying that if the administration has a strategy, it’s a “very well-kept secret.” [...]
»Brzezinski’s call of warning to the “global political awakening” has only intensified in recent years. Last year during a speech in Poland, Brzezinski noted that it has become “increasingly difficult to suppress” and control the “persistent and highly motivated populist resistance of politically awakened and historically resentful peoples.” Brzezinski also blamed the accessibility of “radio, television and the Internet” for the “universal awakening of mass political consciousness.”
»
D’une certaine façon, la suite des événements a montré la justesse de ce jugement, confirmé par les interventions de Leverett et de Zarif, c’est-à-dire qu’elle a montré par défaut que pour ce qu’il s’agit de la force et de l’emploi de la force le roi américaniste est particulièrement dénudé. Ce que Brzezinski ne dit pas, par contre, parce qu’il ne pouvait de toutes les façons pas encore le constater à l’heure de son interview, c’est que le «Global Political Awakening» s’est concrétisé et renforcé d’une façon remarquable, à partir du 31 août, par un “National Political Awakening” impliquant d’abord le Congrès des États-Unis relayant un mécontentement populaire qui se manifesta essentiellement par des moyens de communication d’une efficacité incontestable par la perception qu’ils imposèrent. Tout cela forme un ensemble remarquable, qui constitue l’événement le plus important de cette séquence de crise, bien plus que l’évolution de la situation en Syrie : il s’agit certes de l’évolution interne du Système aux USA, avec cette fracture apparue au sein même d’une de ses institutions majeures (le Congrès), face à un président irrémédiablement affaibli. (En un sens, l'annonce par Larry Summers, l'homme qui a initié la politique pro-Wall Street en 2009 en tant que conseiller du président, qu'il abandonne la perspective de sa nomination pour remplacer Bernanke à la tête de la Federal Reserve [Russia Today, le 16 septembre 2013], est un signe de cet affaiblissement du président face au Congrès. La cause en est que la confirmation de Summers par le Congrès aurait été si difficile et houleuse, à cause de son rôle après 2008, qu'elle aurait mis encore plus en évidence la puissance de la contestation du pouvoir exécutif par le législatif.) Il s'agit donc d'une crise majeure des USA, apparue à l'occasion de cette séquence de la crise syrienne, et qui est bien entendu d'une importance potentielle considérable.
Quant au président lui-même, on le voit mal nous dispenser une pensée originale, à l’instar de ce que disent Leverett, Zarif et Brzezinski, quand on constate l’état d’esprit dans lequel sa dialectique l’oblige à aborder sa prochaine rencontre avec le président iranien. (Voir ce même 16 septembre 2013 : «L’annonce de cette rencontre est accompagnée, dans le chef d’une déclaration de type pavlovien d'Obama, par celle que les USA préparent toujours “une action militaire contre l’Iran” (voir le même Guardian, le même 15 septembre 2013). La grossièreté et l’usure du propos, autant que son caractère grotesque après la déculottée que les USA viennent d’essuyer, avec l’exposition de ce qui est en vérité leur impuissance à agir militairement malgré leur ivresse de menaces à ce propos, éclairent l’habileté proverbiale des USA en matière de diplomatie. Rouhani en fera ce qu’il voudra, mais notre religion est faite quant à l’avenir de ces relations USA-Iran dans ce cadre nouveau, – aussi improductives et paralysées que ce qui a précédé, par contraste avec l’évolution des relations entre l’Iran et la Russie.»)
Mis en ligne le 16 septembre 2013 à 09H14
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